dimanche 21 août 2011

Yopougon : On déserte les Maquis pour les "Koutoukoudromes"

10 Août 2011  par Nadevie Bosson-Achy

S’il est des lieux qui ne désemplissent pas dans les quartiers d'Abidjan, c'est bel et bien les bistrots de « koutoukou ». Cette boisson locale, obtenue généralement par distillation du vin de palme, est de plus en plus prisée par les populations pour son faible coût. A Yopougon, les « koutoukoudromes » (lieux de vente et de consommation) poussent comme des champignons.

Le « koutoukou » serait arrivé en Côte d’Ivoire dans les bagages d’un Ghanéen aventurier qui l'avait baptisé « eau de vie ». Sa fabrication et sa commercialisation étaient considérées comme un délit et punies sévèrement par une peine d'emprisonnement ou une forte amende.

Longtemps taxé de boisson de mauvaise qualité, vendu clandestinement et consommé par les populations des quartiers défavorisés, le « koutoukou » est désormais prisé par toutes les classes sociales.

« Des responsables de société viennent ici. Un tonton du quartier qui occupe un grand poste dans une banque de la place, passe boire un petit verre avant de se rendre au travail », révèle Martin, tenancier d'un bistrot au quartier Toits rouges.

Des élèves et même des femmes se comptent parmi les clients de Martin. «A la différence des hommes, les femmes font un tour rapide, prennent juste une gorgée puis s’éclipsent », ajoute le jeune gérant.

« Brûle en moi », « Ali va vite », « Akpètè », « Kpatch », « Sans dose » sont autant de qualificatifs pour désigner cette boisson locale.

Tous les quartiers d'Abidjan regorgent de « Gbèlèdromes » (autre appellation des lieux de vente). Mais c'est à Yopougon que revient la palme. Dans la « cité de la joie », chaque tenancière de bistrot a son petit secret pour attirer la clientèle.

« Moi, j'ai plus de 25 qualités de bouteilles. Il y a le « koko », le citron, le « gnamankou », « 4 heures du matin », « le général » et même « Frci », déclare fièrement Moh Loukou, l’une des pionnières de ce commerce. A la Sideci, tout le monde connaît « la vieille Moh », comme l’appellent affectueusement ses clients. L’on trouve que son breuvage a des vertus thérapeutiques. Et ce n’est pas Alexis, chauffeur de taxi communal (woro-woro), qui dira le contraire : « Je roule toute la journée. Et c'est cette boisson qui a soigné l’hémorroïde que j'ai contractée du fait de ma position assise ».

Pour certaines personnes, le « koutoukou » est un apéritif. « Quand je bois un verre, je mange mieux », nous confie Flora, une coiffeuse.

Contrairement à cette jeune dame, d'autres l’utilisent pour noyer leurs chagrins. C'est le cas de Coulibaly, un opérateur économique. « Depuis la crise post-électorale, plus rien ne marche pour nous les hommes d'affaires. Je ne m'en sors plus. Je ne peux même plus nourrir ma famille. Je viens ici pour oublier mes problèmes », se justifie-t-il.

Idem pour Jean-Claude, sans emploi. « Je ne trouve pas d’emploi depuis cinq ans que j'ai fini mes études. Le système ne me propose rien et je ne vois rien à l'horizon. Il n'y a que cette boisson qui répond à mes attentes. Elle est à ma portée et me fait oublier mes déboires ».

Installée dans les environs du Terminus 40, Tenin Thérèse, une jeune tenancière de bistrot d’une vingtaine d'années, réalise un bénéfice de plus de 20.000 francs Cfa par semaine à travers la vente de 70 litres de « brûle en moi ».

« Après un BTS en informatique de gestion, j'ai travaillé dans une entreprise privée avant de me retrouver ici, suite à un licenciement abusif. Aujourd'hui, je me frotte les mains parce que mon business me rapporte plus que mon salaire d'informaticienne ».

La livraison de Tenin vient tous les deux jours de Bonoua, localité réputée pour sa bonne qualité de « koutoukou ». Si le commerce de cette boisson génère beaucoup de bénéfices, force est de constater que sa présence dans un lieu rime souvent avec la violence. « Il ne se passe pas de jour sans qu’une bagarre n’éclate entre les clients », regrette Tenin.

Le bistrot est un lieu d’échanges. Chez Thérèse, l’on parle de tout et de rien. Il n’y a pas de sujets tabous. Mais certains débats, surtout ceux liés à la politique, déchaînent des passions et se terminent souvent en pugilat. Palabres, que la patronne des lieux règle généralement à travers une tournée générale gracieusement offerte.

Nadevie Bosson-Achy

Frat.matin

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