FRANCOPHONIE - "La présence du président Hollande n'aura de raison d'être que si elle permet à terme de libérer la politique africaine du pacte néo-colonial afin de la ramener à la raison démocratique", juge Anicet Mobe.
afp.com/Bertrand Langlois
[Express Yourself]
S'appuyant sur des argumentaires solidement articulés et fondés sur le respect des droits de l'homme, de nombreuses voix -congolaises et étrangères- exigent la délocalisation du prochain sommet de la Francophonie.
Le gouvernement socialiste paraît embarrassé comme si la diplomatie de l'OIF serait tributaire de la politique africaine de la France, toujours engluée dans la mélasse de la Françafrique?
Le récent voyage à Kinshasa de Yamina Benguigui, ministre française chargée de la francophonie n'a guère dissipé les malentendus ni clarifié les véritables enjeux que soulèvent les oppositions qu'expriment de nombreux Congolais à la tenue du sommet dans leur pays.
"Francophonie, démocratie et développement: coresponsabilité ou miroir aux alouettes?" Ainsi s'intitule l'étude d'un universitaire congolais, Bertin Makolo Muswaswa dans Congo-Afrique (n°274, avril 1993, pp.211-223).
Qualifier la francophonie de miroir aux alouettes ne me paraît pas excessif: la Belgique, le Canada, la France et le Luxembourg appartiennent à des pôles économiques, certes, rivaux mais régis par le capitalisme néolibéral où les intérêts vitaux des états africains francophones ne sont pris en compte que pour amplifier et fructifier les échanges inégaux entre les centres et les périphéries surexploitées.
Le parcours chaotique ayant conduit à l'échec du sommet Europe-Afrique au Portugal en décembre 2007 continue d'alimenter bien d'inquiétudes en Afrique. Particulièrement dans les régions meurtries par toutes sortes des violences: criminalité économique; violences sociales ;arbitraire des bandes armées souvent soutenues par des armées régulières et violations systématiques des droits de l'homme; déni de démocratie lors des consultations électorales et asservissement du judiciaire. Tel est le cas de la République démocratique du Congo.
Depuis le cuisant échec de Lisbonne, ni la Belgique ni la France qui ont à tour de rôle assuré la présidence de l'Union européenne n'ont pris des initiatives pour renforcer les relations entre l'UE et les pays du Groupe ACP. Pourtant, le substrat culturel de l'espace francophone pourrait utilement servir de fondement pour construire l'espace public européen où les états francophones de l'Union européenne et les pays francophones ACP pourraient conjuguer leurs initiatives diplomatiques afin de promouvoir le multilatéral, en l'occurrence le communautaire francophone.
Il convient donc de dépasser les contingences de l'événementiel pollué par de vaines controverses sur le report du sommet de Kinshasa pour s'interroger sur l'essentiel : l'avenir de la Francophonie se joue certainement à l'occasion du sommet-délocalisé ?- de Kinshasa où se rend la ministre française déléguée à la francophonie.
Un succès diplomatique du Congo- différent d'une perfide manoeuvre d'adoubement de Joseph Kabila pour valider un scrutin émaillé des fraudes et cautionner les assassinats des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme- fournirait aux Congolais -politiquement avisés et soucieux de restaurer l'indépendance de leur patrie et l'intégrité territoriale de leur pays- des outils pour s'employer à desserrer l'étau dans lequel le général Kagamé enserre l'échiquier politique congolais.
En revanche, délocaliser le sommet sans une alternative crédible et sans tracer des perspectives répondant aux interrogations et contestations fort légitimes de la jeunesse congolaise discréditerait fortement l'OIF. De ce fiasco, le Rwanda sortira victorieux et continuera à soutenir en toute impunité les rébellions qui exterminent les populations congolaises et pillent sans vergogne les ressources économiques.
Le champ politique congolais restera vassalisé et manipulé, car les principaux acteurs politiques et militaires sont redevables du Rwanda dont les interventions militaires ont assuré leur promotion.
Il n'est pas trop tard de faire prévaloir l'audace,la clairvoyance et le respect de la dignité des peuples africains dans la conception et la mise en oeuvre des politiques diplomatiques au sein de l'OIF et du nouveau gouvernement français.
Rappelons qu'en 1960-1961, la crise congolaise a failli engloutir l'Onu dont le secrétaire-général, Dag Hammarskjöld, est mort dans un mystérieux accident d'avion,le 17 septembre 1961.
Rappelons aussi que la crise congolaise a fait basculer l'Afrique dans la tourmente de la guerre froide avec des clivages fortement marqués: " groupe de Casablanca " progressiste et " groupe de Moronvia " modéré.
Ces clivages ont fragilisé dès sa création en 1963 l'Oua qui a été ébranlée après l'intervention militaire belgo- américaine au Congo en novembre 1964.
C'est en assumant avec lucidité leur appartenance à la francophonie que les Africains - particulièrement les Congolais - en feront un atout pour consolider les positions diplomatiques de leurs Etats afin de mieux défendre leurs intérêts vitaux dans les instances internationales.
L'Afrique est partie prenante active et dynamique de la francophonie institutionnelle, dès le départ le 20 mars 1970 à Niamey, au Niger lors de la création de l'Agence de coopération culturelle et technique. L'ACCT a été une étape décisive dans l'évolution institutionnelle ayant conduit à la création en 1997 à Hanoï, de l'Agence intergouvernementale de la francophonie.
Si le français a été d'abord pour les Africains la langue de l'oppression coloniale ce n'est plus seulement le cas. Au fil du temps, nous nous sommes appropriés cet instrument culturel. Nous en avons fait un outil d'expression et d'affirmation de nos identités culturelles et un vecteur de nos créations littéraires.
Le concours littéraire organisé lors de la visite du Président sénégalais Léopold Sédar Senghor à Kinshasa en janvier 1969, a révélé à quel point le Congo recèle d'immenses ressources littéraires. Depuis trente cinq ans, de concours littéraires et colloques internationaux en publication d'anthologies et autres ouvrages de critiques littéraires, les oeuvres des Congolais prouvent que ce pays est un prodigieux gisement culturel qui irrigue d'une riche sève fertilisante les oeuvres littéraires congolaises de langue française.
Alors qu'une effroyable tragédie endeuille le Congo avec son cortège des malheurs; la créativité culturelle des Congolais demeure pourtant vivace. L'extrême pauvreté économique des Congolais ne rabougrit nullement leur merveilleux jardin musical et cinématographique. Celui-ci continue d'exhaler une esthétique sans cesse raffinée...
Aussi, la francophonie est appelée à renforcer sa coopération intellectuelle et culturelle avec le Congo - et l'Afrique en général - pour que les Congolais disposent des infrastructures requises afin de produire et d'affiner des outils conceptuels permettant d'appréhender l'intelligence de cette expression culturelle et d'en expliciter les logiques sous-jacentes.
Ce travail d'explication pourrait créer les conditions d'une plus grande lucidité des pratiques culturelles et de leurs rapports fertilisants avec des politiques de coopération soucieuses d'un réel développement de l'Afrique.
En renforçant ainsi sa coopération culturelle, la francophonie accroîtrait les capacités d'action des Congolais à creuser les sillons d'un renouveau culturel - et donc à donner un contenu dynamique et démocratique à la culture - dont a besoin le Congo en cette phase de reconstruction du pays.
La tragédie de la région des Grands Lacs hypothèque gravement l'avenir d'un grand pays francophone. Aussi devient-il urgent de se dégager du manque d'audace politique actuel qui empêche la Francophonie d'assumer sur le plan diplomatique les devoirs que lui impose sa volonté affichée de répondre "aux profonds bouleversements politiques, économiques, technologiques et culturels" (Françoise Massart Pierard, Redimentionnement des relations internationales et francophonie, Studia Diplomatica, vol. LIII, n°3, Bruxelles, 2000, p. 18).
Force est cependant de constater que les Francophones ne se donnent pas tous les moyens requis pour assumer diplomatiquement la mutation historique de l'après guerre-froide. La frilosité de l'" institutionnel " francophone étonne face aux ambitions diplomatiques du monde anglo-saxon.
C'est ainsi qu'"alors que l'anglophonie est, depuis 1948, pensée comme le fondement d'un bloc géopolitique, la francophonie se dit davantage qu'elle ne se fait" (B. Cassen, Les langues, ces fils d'or du combat contre la mondialisation libérale", Manière de voir, n°57, Monde Diplomatique, Paris, mai-juin 2001, p. 88).
Mené avec succès, l'engagement diplomatique de la francophonie en RDC, servirait de référence politique dans le redimensionnement des relations internationales. Ce succès en appellerait d'autres et féconderait d'autres initiatives diplomatiques francophones.
Il se murmure dans les chancelleries qu'une initiative hardie serait en gestation du côté de Brazzaville pour dégager l'Afrique centrale- majoritairement francophone- de la lutte d'influence opposant l'Afrique australe à la région des Grands Lacs.
Que peuvent espérer les Congolais du Canada ? Rien du tout et beaucoup : des entreprises minières canadiennes ou ayant des capitaux canadiens participent activement aux pillages des ressources économiques congolaises depuis les "rébellions" de 1996-1998.
Pourtant, le concours du Canada est indispensable pour renforcer le trio Belgique, France et Luxembourg afin de consolider la francophonie. N'ayant pas de passé colonial en Afrique, le Canada devrait aborder le continent africain sans a priori défavorable. Le dynamisme du gouvernement canadien ainsi que ceux des provinces du Québec et du Nouveau Brunswick et leur "engagement dans l'institutionnalisation de la francophonie" peuvent infléchir leur politique de coopération en faveur de l'Afrique francophone et aussi amplifier la promotion d'une francophonie plus "politique", facteur essentiel pour aborder efficacement une crise majeure comme celle de la région de Grands Lacs.
Hantée par le syndrome mitterandien de 1981 avec, notamment la démission brutale de Jean-Pierre Cot, la majorité socialiste se retrouve dans un piège grossier dont il n'est pas sûr qu'elle s'en échappe indemne d'autant que l'héritage de Sarkozy est fort encombrant comme l'illustre le curieux contrat portant sur l'uranium au bénéfice d'Areva conclu lors du voyage-éclair du président Sarkozy à Kinshasa, le 26 mars 2009.
Ayant habilement transformé le génocide- qu'il faut condamner sans ambiguïté- en un fond de commerce diplomatique; comptant sur les immenses capacités de son armée de se projeter victorieusement sur de lointains théâtres d'opérations; enivré par les louanges d'une certaine presse belge et anglo-saxonne; fort du soutien diplomatique américain et britannique; adulé par le FMI et la Banque Mondiale,le général Kagamé reste plus que jamais le maître d'oeuvre d'un vaste ballet diplomatique dont il est un acteur avisé alors que le peuple congolais subit l'arbitraire des agresseurs au milieu du silence assourdissant de leur Chef de l'état, en dépit du rapport accablant de l'Onu mettant explicitement en cause le Rwanda.
Dans son dernier entretien sur le plateau de la télévision nationale,il n'a pas exprimé avec force sa ferme volonté de contrer les visées expansionnistes du Rwanda et de soustraire la politique et la diplomatie congolaises de l'emprise de Kagamé.
Payant un lourd tribut de son aveuglement lors du génocide et du cuisant échec de la ténébreuse opération Turquoise, le coq gaulois semble prêt à passer par perte et profit la francophonie sur l'autel du " réalisme politique " pour ne pas mécontenter le maître de Kigali.
C'est aussi- paraît- il- le prix à payer pour continuer à profiter du juteux marché de ce vaste entrepôt minier qu'est devenu le Congo. Par ailleurs, selon certaines sources dignes de foi, les entraînements s'intensifient au sein des unités d'élite de l'armée ruandaise pour -dit-on- recruter un commando qui serait chargée de mener une expédition- punitive contre le sommet.
Le régime de Kigali entend ainsi démontrer- si besoin en était- qu'il peut intervenir militairement sur n'importe quel recoin du territoire congolais ; réaffirmer sa ferme volonté de maintenir une pesante tutelle sur l'échiquier politique congolais afin de régenter sa politique intérieure et extérieure pour le plus grand profit des intérêts économiques, commerciaux et stratégiques ruandais.
Le sommet de Kinshasa -s'il est maintenu- n'aura de sens que si le peuple congolais en sort grandi et respecté dans ses droits de décider librement de son devenir. La francophonie tirerait un immense crédit du sommet de Kinshasa si l'OIF se structure en un solide point d'ancrage diplomatique d'où devraient émerger des solutions efficaces afin de résorber la tragédie qui n'en finit pas de démolir le plus grand pays francophone d'Afrique.
La présence du président Hollande n'aura de raison d'être que si ce voyage est l'occasion de poser fermement les fondamentaux- éthiques, culturels et intellectuels -pour libérer la politique africaine du pacte néo-colonial afin de la ramener à la raison démocratique.
Par sa brillante élection à la présidence de la république- après avoir remporté haut la main la primaire socialiste au milieu d'avanies et de quolibets de ses camarades- François Hollande a magistralement remis au goût du jour une leçon d'intelligence- critique de l'histoire, d'intelligence politique et de l'intelligence du politique illustrée par diverses éminentes personnalités qui ont conçu, initié et/ou fait réaliser de profondes mutations à leurs pays.
Osons espérer qu'en Afrique, particulièrement au Congo,François Hollande osera oser comme il y a un an,lorsque- couvert de railleries et de sarcasmes-il s'est déclaré candidat alors que les sondages donnaient gagnant un autre socialiste. Nous savons ce qu'il advint de son audace...
Par Anicet Mobe, citoyen congolais, conseiller culturel du collectif des intellectuels congolais DEFIS (Paris)
S'appuyant sur des argumentaires solidement articulés et fondés sur le respect des droits de l'homme, de nombreuses voix -congolaises et étrangères- exigent la délocalisation du prochain sommet de la Francophonie.
Le gouvernement socialiste paraît embarrassé comme si la diplomatie de l'OIF serait tributaire de la politique africaine de la France, toujours engluée dans la mélasse de la Françafrique?
Le récent voyage à Kinshasa de Yamina Benguigui, ministre française chargée de la francophonie n'a guère dissipé les malentendus ni clarifié les véritables enjeux que soulèvent les oppositions qu'expriment de nombreux Congolais à la tenue du sommet dans leur pays.
La francophonie: atout et/ou miroir aux alouettes pour le Congo et l'Afrique?
"Francophonie, démocratie et développement: coresponsabilité ou miroir aux alouettes?" Ainsi s'intitule l'étude d'un universitaire congolais, Bertin Makolo Muswaswa dans Congo-Afrique (n°274, avril 1993, pp.211-223).
Qualifier la francophonie de miroir aux alouettes ne me paraît pas excessif: la Belgique, le Canada, la France et le Luxembourg appartiennent à des pôles économiques, certes, rivaux mais régis par le capitalisme néolibéral où les intérêts vitaux des états africains francophones ne sont pris en compte que pour amplifier et fructifier les échanges inégaux entre les centres et les périphéries surexploitées.
Le parcours chaotique ayant conduit à l'échec du sommet Europe-Afrique au Portugal en décembre 2007 continue d'alimenter bien d'inquiétudes en Afrique. Particulièrement dans les régions meurtries par toutes sortes des violences: criminalité économique; violences sociales ;arbitraire des bandes armées souvent soutenues par des armées régulières et violations systématiques des droits de l'homme; déni de démocratie lors des consultations électorales et asservissement du judiciaire. Tel est le cas de la République démocratique du Congo.
Depuis le cuisant échec de Lisbonne, ni la Belgique ni la France qui ont à tour de rôle assuré la présidence de l'Union européenne n'ont pris des initiatives pour renforcer les relations entre l'UE et les pays du Groupe ACP. Pourtant, le substrat culturel de l'espace francophone pourrait utilement servir de fondement pour construire l'espace public européen où les états francophones de l'Union européenne et les pays francophones ACP pourraient conjuguer leurs initiatives diplomatiques afin de promouvoir le multilatéral, en l'occurrence le communautaire francophone.
Il convient donc de dépasser les contingences de l'événementiel pollué par de vaines controverses sur le report du sommet de Kinshasa pour s'interroger sur l'essentiel : l'avenir de la Francophonie se joue certainement à l'occasion du sommet-délocalisé ?- de Kinshasa où se rend la ministre française déléguée à la francophonie.
Un succès diplomatique du Congo- différent d'une perfide manoeuvre d'adoubement de Joseph Kabila pour valider un scrutin émaillé des fraudes et cautionner les assassinats des journalistes et des défenseurs des droits de l'homme- fournirait aux Congolais -politiquement avisés et soucieux de restaurer l'indépendance de leur patrie et l'intégrité territoriale de leur pays- des outils pour s'employer à desserrer l'étau dans lequel le général Kagamé enserre l'échiquier politique congolais.
En revanche, délocaliser le sommet sans une alternative crédible et sans tracer des perspectives répondant aux interrogations et contestations fort légitimes de la jeunesse congolaise discréditerait fortement l'OIF. De ce fiasco, le Rwanda sortira victorieux et continuera à soutenir en toute impunité les rébellions qui exterminent les populations congolaises et pillent sans vergogne les ressources économiques.
Le champ politique congolais restera vassalisé et manipulé, car les principaux acteurs politiques et militaires sont redevables du Rwanda dont les interventions militaires ont assuré leur promotion.
Il n'est pas trop tard de faire prévaloir l'audace,la clairvoyance et le respect de la dignité des peuples africains dans la conception et la mise en oeuvre des politiques diplomatiques au sein de l'OIF et du nouveau gouvernement français.
Rappelons qu'en 1960-1961, la crise congolaise a failli engloutir l'Onu dont le secrétaire-général, Dag Hammarskjöld, est mort dans un mystérieux accident d'avion,le 17 septembre 1961.
Rappelons aussi que la crise congolaise a fait basculer l'Afrique dans la tourmente de la guerre froide avec des clivages fortement marqués: " groupe de Casablanca " progressiste et " groupe de Moronvia " modéré.
Ces clivages ont fragilisé dès sa création en 1963 l'Oua qui a été ébranlée après l'intervention militaire belgo- américaine au Congo en novembre 1964.
C'est en assumant avec lucidité leur appartenance à la francophonie que les Africains - particulièrement les Congolais - en feront un atout pour consolider les positions diplomatiques de leurs Etats afin de mieux défendre leurs intérêts vitaux dans les instances internationales.
L'Afrique est partie prenante active et dynamique de la francophonie institutionnelle, dès le départ le 20 mars 1970 à Niamey, au Niger lors de la création de l'Agence de coopération culturelle et technique. L'ACCT a été une étape décisive dans l'évolution institutionnelle ayant conduit à la création en 1997 à Hanoï, de l'Agence intergouvernementale de la francophonie.
Si le français a été d'abord pour les Africains la langue de l'oppression coloniale ce n'est plus seulement le cas. Au fil du temps, nous nous sommes appropriés cet instrument culturel. Nous en avons fait un outil d'expression et d'affirmation de nos identités culturelles et un vecteur de nos créations littéraires.
Le concours littéraire organisé lors de la visite du Président sénégalais Léopold Sédar Senghor à Kinshasa en janvier 1969, a révélé à quel point le Congo recèle d'immenses ressources littéraires. Depuis trente cinq ans, de concours littéraires et colloques internationaux en publication d'anthologies et autres ouvrages de critiques littéraires, les oeuvres des Congolais prouvent que ce pays est un prodigieux gisement culturel qui irrigue d'une riche sève fertilisante les oeuvres littéraires congolaises de langue française.
Alors qu'une effroyable tragédie endeuille le Congo avec son cortège des malheurs; la créativité culturelle des Congolais demeure pourtant vivace. L'extrême pauvreté économique des Congolais ne rabougrit nullement leur merveilleux jardin musical et cinématographique. Celui-ci continue d'exhaler une esthétique sans cesse raffinée...
Aussi, la francophonie est appelée à renforcer sa coopération intellectuelle et culturelle avec le Congo - et l'Afrique en général - pour que les Congolais disposent des infrastructures requises afin de produire et d'affiner des outils conceptuels permettant d'appréhender l'intelligence de cette expression culturelle et d'en expliciter les logiques sous-jacentes.
Ce travail d'explication pourrait créer les conditions d'une plus grande lucidité des pratiques culturelles et de leurs rapports fertilisants avec des politiques de coopération soucieuses d'un réel développement de l'Afrique.
En renforçant ainsi sa coopération culturelle, la francophonie accroîtrait les capacités d'action des Congolais à creuser les sillons d'un renouveau culturel - et donc à donner un contenu dynamique et démocratique à la culture - dont a besoin le Congo en cette phase de reconstruction du pays.
La tragédie de la région des Grands Lacs hypothèque gravement l'avenir d'un grand pays francophone. Aussi devient-il urgent de se dégager du manque d'audace politique actuel qui empêche la Francophonie d'assumer sur le plan diplomatique les devoirs que lui impose sa volonté affichée de répondre "aux profonds bouleversements politiques, économiques, technologiques et culturels" (Françoise Massart Pierard, Redimentionnement des relations internationales et francophonie, Studia Diplomatica, vol. LIII, n°3, Bruxelles, 2000, p. 18).
Force est cependant de constater que les Francophones ne se donnent pas tous les moyens requis pour assumer diplomatiquement la mutation historique de l'après guerre-froide. La frilosité de l'" institutionnel " francophone étonne face aux ambitions diplomatiques du monde anglo-saxon.
C'est ainsi qu'"alors que l'anglophonie est, depuis 1948, pensée comme le fondement d'un bloc géopolitique, la francophonie se dit davantage qu'elle ne se fait" (B. Cassen, Les langues, ces fils d'or du combat contre la mondialisation libérale", Manière de voir, n°57, Monde Diplomatique, Paris, mai-juin 2001, p. 88).
Mené avec succès, l'engagement diplomatique de la francophonie en RDC, servirait de référence politique dans le redimensionnement des relations internationales. Ce succès en appellerait d'autres et féconderait d'autres initiatives diplomatiques francophones.
Il se murmure dans les chancelleries qu'une initiative hardie serait en gestation du côté de Brazzaville pour dégager l'Afrique centrale- majoritairement francophone- de la lutte d'influence opposant l'Afrique australe à la région des Grands Lacs.
Que peuvent espérer les Congolais du Canada ? Rien du tout et beaucoup : des entreprises minières canadiennes ou ayant des capitaux canadiens participent activement aux pillages des ressources économiques congolaises depuis les "rébellions" de 1996-1998.
Pourtant, le concours du Canada est indispensable pour renforcer le trio Belgique, France et Luxembourg afin de consolider la francophonie. N'ayant pas de passé colonial en Afrique, le Canada devrait aborder le continent africain sans a priori défavorable. Le dynamisme du gouvernement canadien ainsi que ceux des provinces du Québec et du Nouveau Brunswick et leur "engagement dans l'institutionnalisation de la francophonie" peuvent infléchir leur politique de coopération en faveur de l'Afrique francophone et aussi amplifier la promotion d'une francophonie plus "politique", facteur essentiel pour aborder efficacement une crise majeure comme celle de la région de Grands Lacs.
Hantée par le syndrome mitterandien de 1981 avec, notamment la démission brutale de Jean-Pierre Cot, la majorité socialiste se retrouve dans un piège grossier dont il n'est pas sûr qu'elle s'en échappe indemne d'autant que l'héritage de Sarkozy est fort encombrant comme l'illustre le curieux contrat portant sur l'uranium au bénéfice d'Areva conclu lors du voyage-éclair du président Sarkozy à Kinshasa, le 26 mars 2009.
Ayant habilement transformé le génocide- qu'il faut condamner sans ambiguïté- en un fond de commerce diplomatique; comptant sur les immenses capacités de son armée de se projeter victorieusement sur de lointains théâtres d'opérations; enivré par les louanges d'une certaine presse belge et anglo-saxonne; fort du soutien diplomatique américain et britannique; adulé par le FMI et la Banque Mondiale,le général Kagamé reste plus que jamais le maître d'oeuvre d'un vaste ballet diplomatique dont il est un acteur avisé alors que le peuple congolais subit l'arbitraire des agresseurs au milieu du silence assourdissant de leur Chef de l'état, en dépit du rapport accablant de l'Onu mettant explicitement en cause le Rwanda.
Dans son dernier entretien sur le plateau de la télévision nationale,il n'a pas exprimé avec force sa ferme volonté de contrer les visées expansionnistes du Rwanda et de soustraire la politique et la diplomatie congolaises de l'emprise de Kagamé.
Payant un lourd tribut de son aveuglement lors du génocide et du cuisant échec de la ténébreuse opération Turquoise, le coq gaulois semble prêt à passer par perte et profit la francophonie sur l'autel du " réalisme politique " pour ne pas mécontenter le maître de Kigali.
C'est aussi- paraît- il- le prix à payer pour continuer à profiter du juteux marché de ce vaste entrepôt minier qu'est devenu le Congo. Par ailleurs, selon certaines sources dignes de foi, les entraînements s'intensifient au sein des unités d'élite de l'armée ruandaise pour -dit-on- recruter un commando qui serait chargée de mener une expédition- punitive contre le sommet.
Le régime de Kigali entend ainsi démontrer- si besoin en était- qu'il peut intervenir militairement sur n'importe quel recoin du territoire congolais ; réaffirmer sa ferme volonté de maintenir une pesante tutelle sur l'échiquier politique congolais afin de régenter sa politique intérieure et extérieure pour le plus grand profit des intérêts économiques, commerciaux et stratégiques ruandais.
Appartenir à la francophonie: une valeur ajoutée pour la diplomatie?
Le sommet de Kinshasa -s'il est maintenu- n'aura de sens que si le peuple congolais en sort grandi et respecté dans ses droits de décider librement de son devenir. La francophonie tirerait un immense crédit du sommet de Kinshasa si l'OIF se structure en un solide point d'ancrage diplomatique d'où devraient émerger des solutions efficaces afin de résorber la tragédie qui n'en finit pas de démolir le plus grand pays francophone d'Afrique.
La présence du président Hollande n'aura de raison d'être que si ce voyage est l'occasion de poser fermement les fondamentaux- éthiques, culturels et intellectuels -pour libérer la politique africaine du pacte néo-colonial afin de la ramener à la raison démocratique.
Par sa brillante élection à la présidence de la république- après avoir remporté haut la main la primaire socialiste au milieu d'avanies et de quolibets de ses camarades- François Hollande a magistralement remis au goût du jour une leçon d'intelligence- critique de l'histoire, d'intelligence politique et de l'intelligence du politique illustrée par diverses éminentes personnalités qui ont conçu, initié et/ou fait réaliser de profondes mutations à leurs pays.
Osons espérer qu'en Afrique, particulièrement au Congo,François Hollande osera oser comme il y a un an,lorsque- couvert de railleries et de sarcasmes-il s'est déclaré candidat alors que les sondages donnaient gagnant un autre socialiste. Nous savons ce qu'il advint de son audace...
Par Anicet Mobe, citoyen congolais, conseiller culturel du collectif des intellectuels congolais DEFIS (Paris)
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