dimanche 5 août 2012

Professeur Tshiyembe : «Le Congo souffre de deux maux incurables à ce jour : l’absence d’organisation et d’esprit des lois»

le jeudi 2 août 2012

Deux modes de gestion du pouvoir pour la République démocratique du Congo défraient la chronique. Il s’agit, pour le pouvoir central, de céder la gestion d’une Entité administrative décentralisée (EAD) et d’opter le fédéralisme qui est un système politique consacré au partage des compétences législatives entre le gouvernement central et les Etats fédérés.

Quel est le système politique ou le mode de gestion qui conviendrait le mieux pour la RDC ?

Quelles sont ses forces et faiblesses ?
C’est autour de ces questions et tant d’autres que Télé 7 s’est entretenu avec le professeur et analyste politique Mwayila Tshiyembe. Entretien que reprend Le Potentiel avec la retranscription d’Olivier Dioso.

Quelle démarcation faites-vous entre la décentralisation et le fédéralisme ou même le régionalisme ?

Comme vous l’avez, vous-même, indiqué dans l’introduction, ce sont des termes voisins. La véritable différence est que, pour l’Etat centralisé, le pouvoir appartient à l’Etat. C’est lui qui décide sur une demande des populations ou celle d’individus de transférer une partie de ses compétences aux Entités territoriales décentralisées (ETD). Nous sommes dans le cadre d’un pouvoir centralisé qui, pour des raisons de convenance, décide de transférer certaines compétences de l’Etat à l’échelon local.

C’est un pouvoir fondé, à l’origine, sur une autonomie, c’est-à-dire de la base vers le sommet. Donc, des Etats-nations, c’est-à-dire des communautés indépendantes qui, à un moment ou à un autre, décident de se doter d’un Etat. Cela peut être une démarche de la base vers le sommet ou bien un Etat existant qui décide de se décomposer en Etats fédérés.

A ce moment-là, il y a transfert de certaines compétences. Des compétences que certains des Etats fédérés, l’équivalant de nos provinces, peuvent détenir à titre exclusif, des compétences partagées.

Et l’autre différence est que, dans les Etats fédérés, chaque Etat (fédéré) dispose d’une constitution sur une base juridique par delà de la Constitution fédérale de l’ensemble du territoire national. Mais, dans le modèle régionalisé ou celui de la décentralisation classique, cela dépend des nuances ou des rapports.

Parce qu’on peut trouver dans le système du modèle régionalisé, le transfert des compétences qui donne à l’Etat des compétences soit à titre exclusif comme dans le modèle fédéral, soit celles que les provinces partagent avec l’Etat central.

Donc, au-delà de la séparation formelle, il y a une sorte de complémentarité selon l’application de tel ou tel mode. Bien que le centralisme, lui, soit différent du fédéralisme, le régionalisme est plus proche du fédéralisme que le centralisme où tout se décide par l’Etat au centre alors que la périphérie reçoit les ordres de l’Etat central.

C’est dire que si le régime fédéral se fait par la base, des entités qui existent déjà la confédération des entités autonomes qui gardent une sorte de qualité des compétences, par exemple des affaires étrangères, des finances ou la défense. Le reste des compétences par chaque entité à la base. Ou bien, on a des entités ou des Etats qui, à un moment donné, préfèrent se doter d’un Etat fédéral.

On l’a vu avec la Suisse et le modèle américain qui restent, jusqu’aujourd’hui, les modèles classiques. Tout ceci, bien sûr, sur le plan du principe. Pour la superposition des compétences, comme je viens de le dire tout à l’heure, il y a la participation du pouvoir au Sénat américain qui représente chaque Etat ; la deuxième représentation, celui des peuples ou du peuple, c’est-à-dire la chambre des députés.

Mais on a, dans le régionalisme, comme c’est le cas du Congo, les sénateurs qui sont des représentants des provinces. Mais pour la deuxième chambre de la République, c’est l’Assemblée nationale qui représente les citoyens, tout individu quel que soit, nonobstant son appartenance ethnique ou religieuse.

Pour harmoniser les vues des unitaristes et des fédéralistes, l’Etat congolais a opté pour un système qui est à cheval : celui fortement décentralisé sur le terrain ?

Bien sûr. Le choix du milieu est lié à l’histoire du Congo. La colonisation, la sécession du Katanga et du Sud-Kasaï ont laissé des traumatismes tels que même ceux qui n’ont pas vécu les réalités des années 60 en ressentent encore, à tort ou à raison, dans l’esprit des gens.

Il n’y a jamais eu débats entre Congolais pour voir quel est le meilleur système politique que nous souhaitons mettre en œuvre pour des raisons que je venais d’évoquer. Et chaque fois qu’il s’est agi – rappelons qu’à la Conférence nationale souveraine (CNS) en 1992, il a été adopté un projet d’un Etat fédéral. Il n’en est rien sorti. Même par référendum.

Toute tentative de transférer le pouvoir du centre vers la périphérie pose des problèmes, non pas de fonctionnalité, parce qu’onne l’a pas encore expérimenté en transférant les ressources vers les provinces. Cela permet, évidemment, le développement des provinces. Des tentatives, comme dans la Constitution de 2006, consacrent la décentralisation. Le pays est coupé en trois blocs : l’Etat, les provinces et les Entités territoriales décentralisées (ETD).

Dans le cadre de la régionalisation, le Congo est le seul pays à avoir opéré ces trois distinguos. Aux institutions gouvernement, parlement, Cours et tribunaux, on a ajouté les compétences exclusives de l’Etat et les compétences que celui-ci partage avec les provinces.

C’est ce qui se fait dans le système fédéraliste. Et l’autre bloc, les provinces, a ses institutions (gouvernement, assemblée ou parlement et leurs compétences exclusives et celles partagées avec l’Etat congolais).

Quant aux Entités territoriales décentralisées, normalement, si on avait poursuivi la logique du constituant, on devrait trouver les compétences exclusives des ETD et les compétences que celles-ci partagent avec les provinces. Mais les ETD ont leurs assemblées, gouvernements. Il en est de même des chefferies et secteurs. Tout ceci est déjà dans la loi, dans les textes, y compris dans la Constitution.

Très peu de gens, non seulement les usagers de la décentralisation, même ceux qui gouvernent ou sont dans l’administration, savent ce qui est écrit dans la Constitution. Cela ne se fait pas parce que beaucoup de gens ignorent le contenu de la Constitution.

Tout se trouve dans la Constitution. Mais qu’est-cequi fait que cette décentralisation ne se matérialise toujours pas alors qu’elle devait l’être 36 mois après l’entrée en vigueur de la Constitution ?

La régionalisation est une voie du juste milieu entre ceux qui demandaient le fédéralisme et ceux qui voulaient la centralisation excessive telle qu’on l’a connue à l’époque de Mobutu. On est dans une tangente.

Au lieu de le faire sur le centralisme, par crainte d’aller vers le fédéralisme et que le pays n’éclate, le constituant a coupé la poire en deux, pour parler d’une manière triviale, on est resté dans le juste milieu.

Nous avons choisi le régionalisme. Malheureusement, pour ce régionalisme, le constituant, lui-même, ne l’a pas inscrit dans la Constitution. Mais c’est le législateur qui, dans la mise en œuvre de la décentralisation, s’en est emparé, en regardant ce qui est dans le contenu de la Constitution.

Mais cela ne risque-t-il pas de créer une confusion dans l’application de cette régionalisation dans la mesure où le législateur…

Vous avez raison. C’est une confusion sémantique tout simplement. Il est vrai qu’à l’instar des Etats fédérés, on n’a pas déniéaux provinces le droit de rédiger leurs propres Constitutions. Mais la Constitution nationale leur donne un ordre juridique que l’on appelle «l’Edit».

La province peut légiférer sur toutes les matières qui ne sont pas contraires à la Constitution, aux lois. Si les provinces trouvent qu’il y a intérêt d’aller vers la gouvernabilité… D’ailleurs, pourquoi a-t-on choisi le régionalisme ? Justement parce que ce pays souffre de deux problèmes, à savoir la gouvernabilité et le développement.

Quels sont les avantages de la décentralisation ? Vous avez expliqué comment fonctionnent le fédéralisme, le régionalisme et la décentralisation. Apparemment, c’est la même chose. Nous aimerions que vous puissiez y aller en donnant des avantages par rapport à chaque mode de gestion.

Disons que l’avantage le plus reconnu, c’est l’autonomie qui est accordée. Que ça soit un Etat fédéré ou une province, il y a l’autonomie de gestion. Dans tous les pays, l’idée selon laquelle tous les pouvoirs sont concentrés au niveau l’Etat central a montré ses limites.

Alors, on a convenu que l’Etat central exerce les compétences lui reconnues et que les provinces ou les Etats fédérés en fassent de même. Dans le cadre républicain, si une province ou un Etat fédéré décide de ses propres affaires, est doté de l’autonomie de gestion, s’administre, ce serait autant qu’un Etat fédéral des Etats-Unis d’Amérique ou les landers allemands, par exemple.

On est là sur le créneau d’accorder l’autonomie à chaque entité territoriale décentralisée ou régionalisée à se gouverner elle-même. Se gouverner librement, c’est la libre administration. Chaque province est logée à la même enseigne. Il n’y a pas plus d’avantages pour l’une parce que ayant les mêmes compétences et les mêmes devoirs.

Avec la réalité congolaise pour laquelle toutes les provinces ne se ressemblent pas, chacune ayant sa ou ses particularités, si on leur donne les mêmes droits, n’y aurait-il pas un certain déséquilibre qui pourrait se créer ?

Le déséquilibre est de fait. Les hommes naissent libres et égaux en droit. En tant qu’être humains, vous et moi avons les mêmes devoirs. Mais pas à la naissance parce que si vous naissez dans une famille riche, vous avez plus d’avantages que celui qui naît dans une famille pauvre. Mais pas pour les inégalités naturelles ou sociales, l’Etat, comme lieu de la République, a posé des règles.

Donc, l’égalité des provinces, c’est celle au regard des lois. Il n’y a pas de compétences plus importantes pour le Katanga et moins importantes pour le Maniema ou quelle autre province du Congo.

Le Katanga a les mêmes compétences que le Maniema. C’est cela l’égalité en droit. Mais le Katanga peut avoir des avantages dans le sens que c’est l’une des provinces qui était industrialisée, qui a des infrastructures, etc.

Mais ce sont des acquis de la colonisation. On n’y peut rien pour là où cela n’existe pas. La République reconnaît l’inégalité sociologique en donnant les mêmes compétences, les mêmes pouvoirs de se gouverner, de s’autogérer à l’ensemble du territoire. Elle est allée dans le sens de créer de bonnes conditions de gestion des biens publics et même du développement.

Parce qu’en fait, le but du constituant, c’est d’aller vers le développement local. L’Etat ne pouvant pas tout faire. Dans ce cas, il faut que d’autres entités puissent avoir la capacité d’entreprendre les choses. C’est pour cela que chaque entité (ETD, provinces ou l’Etat) a des ressources propres.

Et puis, il y a des ressources qu’on appelle la caisse de péréquation qui existe. C’est-à-dire que, pour les provinces qui n’ont pas de moyens substantiels, l’Etat, sur ses ressources nationales, prélève une partie pour l’affecter à ces provinces.

Nous avons assisté dernièrement à un atelier sur la décentralisation organisé par le ministère de l’Intérieur. Nous avons suivi que le gouvernement est déterminé à poursuivre la mise en œuvre de la décentralisation. Et que cela devrait se faire de manière graduelle, progressive. Les ETD, les provinces se retrouvent, une fois de plus, sur un rendez-vous manqué comme tous les autres rendez-vous depuis 1960.

Qu’est-ce qui garantit encore aujourd’hui que ce que le gouvernement central dit pour la mise en œuvre de la décentralisation sera appliqué ? N’est-ce pas ouvrir une brèche à ceux qui réclament à cor et à cri le fédéralisme ?

Je pense que c’est le pari que le gouvernement prend aujourd’hui. Un pari constitutionnel. Il est prévu dans la Constitution que, dès que la 3ème République démarre au 36ème mois, il fallait appliquer la décentralisation avec la création de nouvelles provinces.

Malheureusement, les députés et les sénateurs nationaux ont bouclé leur mandat de 5 ans sans que ces provinces ne soient créées. C’est tout à fait inacceptable. Je pense que le gouvernement a pris conscience qu’il faut maintenant aller à la besogne…

Cette fois-ci serait-elle la bonne ?

Je ne sais pas. Mais je le crois parce qu’il y a ce rendez-vous manqué. J’ai participé, il y a quelques années, à un atelier sur la décentralisation. J’avais présidé une commission sur la mise en œuvre de la décentralisation.

Il y avait beaucoup de débats entre la progressivité et le fait de faire démarrer la décentralisation dès le 36ème mois comme le prévoit la Constitution. Je continue toujours à penser que la différenciation entre les provinces ne constitue pas un handicap car on ne peut pas doter les infrastructures du Katanga à toutes les provinces. Même pendant les 32 ans de règne de Mobutu, on ne pouvait pas le faire.

Mais il faut donner quand même le strict minimum ?

On doit souhaiter que les richesses soient distribuées aux provinces et aux ETD. Lorsqu’on donne à une chefferie, à un secteur, à une commune, à une ville des compétences, celles-ci vont leur permettre de créer des richesses. S’il y a des bâtiments à construire, c’est, par exemple, à la commune ou à la chefferie qui a des compétences et des ressources propres ou qui reçoit par la péréquation les ressources de l’Etat de le faire.

Elle peut également jeter des ponts, construire des routes. Même si demain l’Etat congolais changeait ce qu’on appelle la «Révolution de la modernité», il n’aurait pas les moyens de jeter les ponts partout.

Et le constituant a confié ce devoir aux Entités territoriales décentralisées, aux provinces. A mon avis, le gouvernement doit se décider maintenant d’amorcer la décentralisation pour tout le monde, au même moment et sans condition.

Où va-t-on appliquer cette décentralisation ?

Attention ! Nous sommes là sur deux choses différentes. Un Etat peut exister – comme celui qui existe au Congo – avec plusieurs peuples qu’on appelle tribus, ethnies, etc. Le terme de l’Etat-nation, fabriqué en Europe, c’est-à-dire l’identité entre les peuples et l’Etat, est inapplicable ici.

Ce pays, avec ses 450 peuples qui ont appartenu à des Etats (Luba, Kuba, Kongo, etc.), a connu ces réalités avant l’Etat indépendant du Congo.

Même les peuples qui n’ont pas atteint la dimension d’un Etat dans leur évolution historique ont inventé ce qu’on appelle la démocratie de proximité. C’est-à-dire que ce soit chez les Yaka, Azandé ou d’autres peuples du Congo, ils ont inventé ce genre de démocratie.

Là, il y avait les gouvernements de clan, du lignage et des tribus. Après le gouvernement de tribu viennent ceux des principautés, des royaumes ou des empires. Même s’ils ne sont pas parvenus à la construction des Etats tels que nous les connaissons, ces peuples ont quand même inventé la démocratie de proximité. Le terme n’est pas congolais mais c’est la réalité que nos ancêtres ont vécue.

Aujourd’hui, les tribus et les villages sont des réalités qui font vivre la RDC. L’unité de ce pays ne dépend pas d’un individu, même pas de Mobutu, mais de l’ensemble des peuples du Congo.

Il est difficile pour un étranger, soit-il Rwandais, de corrompre tous les peuples du Congo en leur disant que vous allez voir ce que vous allez voir. C’est une chance pour la RDC, un pays multinational, un pays de plusieurs peuples qui vivent ensemble dans un Etat.

Regardez le pays Lunda, pour ceux qui connaissent le Katanga. Si vous demandez à quelqu’un qui sont les peuples constitutifs de Lunda, il ne le saura parce qu’à l’intérieur même, vous avez une kyrielle de communautés. Il en est de même du royaume Kongo qui, même disparu, est composé de Tandu,Yombe, Teke … qui sont toujours là.

Ils parlent leurs langues et pratiquent leurs religions. C’est une chance que nous soyons ces Etats multinationaux, Etats constitués de plusieurs peuples. L’Etat-nation n’existe pas. Il a été copié. Il est une réalité en Europe. La quasi-totalité des pays africains sont des Etats multinationaux.

Je préfère d’ailleurs l’expression «Etats de plusieurs peuples» au lieu de multinationaux.Parce que ce terme fait peur et que les gens ne le comprennent pas. On peut avoir plusieurs peuples dans un Etat et qui, le cas échéant, peuvent constituer une nation.

 Alors, la nation au Congo n’a pas la même signification qu’en Europe : un seul peuple, une même langue, une même religion, un même terroir. Ce qui est impossible au Congo.

Alors, si nation il y a, c’est une communauté des ethnies et des citoyens qui, chaque jour, vivent ensemble dans la reconnaissance de leurs différences pour un destin commun. C’est la philosophie qui est dans la sociologie congolaise mais qui n’est pas dans les textes de loi.

Quelles sont les précautions à prendre pour appliquer la décentralisation une fois pour toutes ?

Il y a des lois. Prenez la Constitution…

Qui n’est toujours pas appliquée ?

C’est le drame congolais. Depuis 1960, le Congo souffre de deux maux incurables à ce jour : l’absence d’organisation et celle de l’esprit de l’Etat. Nous n’avons pas l’esprit des lois. La décentralisation devrait être lancée automatiquement.

Le Potentiel

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