mardi 13 novembre 2012

RDC : L'armée, cette chimère...

12/10/12

Alors qu’elle devait être la garante de la réconciliation nationale après des années de guerre, l’armée, corrompue, mal payée, livrée à elle-même, est au contraire source de violence et de divisions.

Où est la réforme fondamentale, prônée par le pouvoir et ses partenaires internationaux, qui aurait pu changer la donne ?



« Nous vivons comme des chiens. Nous errons aux crochets des civils en mendiant auprès d’eux des bananes. Cela fait trois mois que nous n’avons pas été payés ou reçu quelque chose à manger. »

Lâché à un membre d’une ONG internationale, le témoignage de ce militaire congolais, en fonction à Minova, dans le Sud-Kivu, traduit bien l’état de clochardisation et d’abandon dans lequel sont tombées les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC).

À la fin de la guerre de 1998-2002, la réforme du secteur de la sécurité (RSS) avait été déclarée objectif prioritaire par les acteurs locaux et étrangers du dialogue inter-congolais de Sun City.

Or, dix ans après, l’État congolais ne dispose pas, comme le stipule la Constitution, d’une armée « apolitique » capable de « défendre l’intégrité du territoire national et des frontières ».

Et cela en dépit de la volonté affichée par les bailleurs de fonds autant que par les nouvelles élites issues du processus de transition (2003-2006), puis du cycle électoral de 2006, d’œuvrer en ce sens.

À partir de 2003, les Nations unies (NU) et l’Union européenne (UE) sont intervenues pour soutenir Kinshasa dans le cadre de la formation d’une armée républicaine intégrée. Les premières à travers leur force de maintien de la paix en RDC, la Monuc, devenue Monusco en 2010.

Celle-ci comprend un effectif de 20 000 personnes et un budget annuel de 1,35 milliard de dollars, soit la mission la plus importante de l’Onu. Les NU interviennent aussi via leurs agences, comme le Programme pour le développement (Pnud) ou le Haut Commissariat pour les réfugiés.

L’UE, elle, a établi un programme de coopération, l’Eusec, qui, depuis 2005, a pour « objectif général […] de soutenir les autorités congolaises pour reconstruire une armée et la mise en place d’un appareil de défense efficace qui garantira la sécurité à toute l’étendue du pays et les conditions favorables pour le retour du développement social et économique ».

Le projet préconisait en particulier de mettre de l’ordre dans la chaîne de paiement des militaires afin de combattre toute forme de corruption, notamment le détournement des salaires des soldats par les hauts gradés. À l’évidence, la mission n’a pas été remplie. Et, partant, « l’objectif général » n’a pas été atteint, pourtant au fondement du programme européen.

D’autres partenaires bilatéraux – les États-Unis, la Belgique, le Royaume-Uni, l’Angola et l’Afrique du Sud – se sont également activés aux côtés des FARDC. « Nous avons un grand partenariat militaire avec votre pays et avons formé beaucoup de soldats et d’officiers congolais et un bataillon à Kisangani », déclarait encore en juin aux autorités de Kinshasa l’ambassadeur américain James Entwistle.

À la même période, les bataillons commando et de réaction rapide, dont le 322e et le 145e, entraînés par des instructeurs américains, belges et sud-africains à Bukavu (Sud-Kivu) et à Kindu (Maniema), étaient défaits dans l’Est par les combattants du Mouvement du 23 mars (M23).

Cette organisation politico-militaire, issue des divers groupes rebelles qui ont intégré les FARDC après l’accord de paix de mars 2009 avec Kinshasa, est entrée en rébellion en avril dernier.

En août, devant l’impuissance de la troupe face aux insurgés, le gouvernement a lancé une campagne d’enrôlement. Avec peu de résultats. « Au Congo, avait déclaré à la chaîne télévisée France 24 un jeune étudiant de Goma, capitale du Nord-Kivu, ce n’est pas une fierté d’entrer dans l’armée.

Pour des parents, c’est même une désolation de voir son enfant enrôlé. » Les raisons immédiates ? Une solde de 50 dollars par mois largement insuffisante qui, de surcroît, n’arrive pas souvent à destination ; l’absence d’équipement nécessaire ; de rares camps pour l’accueil des familles et aucune formation dans le domaine de la protection des populations. Mal payés, mal équipés, pas formés…

Au lieu de garantir leur protection, les membres de l’armée régulière constituent la première source d’insécurité pour les civils (1). Ils sont devenus les protagonistes de pillages, de viols et d’autres atrocités, et beaucoup désertent.

Le mécontentement règne aussi dans les rangs, et des groupes de militaires ne manquent pas de donner de temps à autre des avertissements musclés au pouvoir. Ainsi, des hommes en tenue des FARDC ont attaqué à deux reprises, en janvier 2011 et en février 2012, l’aéroport de Lubumbashi, au Katanga, fief du chef de l’État, puis le camp Kokolo et la résidence de Kabila lui-même, à Kinshasa, en février 2011.

Les FARDC, dont l’hémorragie continue de soldats ajoute au délabrement général, sont de plus célèbres pour leurs défaites – ou leur fuite – lorsqu’elles sont confrontées au combat. Lors de la prise de Bunagana par le M23 en juillet dernier, les loyalistes ont déguerpi sans opposer de résistance, laissant sur place lance-roquettes, mortiers, canons antichars et antiaériens, caisses de munitions…

Après avoir franchi la frontière pour se réfugier en territoire ougandais, les 600 militaires qui n’avaient pas troqué leurs uniformes contre des habits civils ont été désarmés par l’armée de Kampala. À la suite de cette véritable débandade, l’armée régulière ne s’est plus battue contre les mutins du M23.

Lesquels, pour donner une chance aux négociations entreprises en août dans le cadre de la Conférence internationale de la région des Grands Lacs (CIRGL), ont arrêté leur progression vers Goma.

Poussé par la CIRGL à prendre langue avec la rébellion après l’avoir refusé pendant six mois, le président Joseph Kabila a pas mal agacé ses partenaires internationaux, pourtant généralement bienveillants à son encontre.

Le 27 août, pendant une session du Conseil de sécurité de l’Onu consacrée à la crise congolaise, le diplomate guatémaltèque Edmond Mulet, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix des Nations unies, a qualifié les performances des FARDC d’« effrayantes ».

« On aurait dû mettre la pression sur le président Kabila pour qu’il entreprenne finalement la réforme cruciale de son armée et du secteur de la sécurité dans son ensemble. La guerre contre le M23 n’est pas du ressort de la Mission de stabilisation au Congo des Nations unies, mais du gouvernement de la RDC », a-t-il précisé.

Ainsi, aux défaillances coupables des uns s’ajoutent les ambiguïtés des autres. Car si les critiques faites au chef de l’État congolais ne sont pas dénuées de fondement, celles adressées aux partenaires qui le soutiennent depuis bientôt onze ans sont tout aussi pertinentes.

Un groupe de onze ONG, congolaises et étrangères qui s’est penché sur la question de la réforme militaire pose le diagnostic suivant : « L’échec de la mise en œuvre du RSS est imputable à un manque de volonté politique aux échelons les plus élevés du gouvernement congolais.

Celui-ci a permis à des réseaux corrompus actifs, présents au cœur même des services de sécurité, de prospérer en dérobant les ressources censées couvrir les salaires de base et en profitant de l’exploitation des ressources naturelles. […]

La communauté internationale porte également une responsabilité significative. Ainsi, les partenaires internationaux de la RDC ont fait preuve d’incohérence politique et d’une coordination déficiente. » (2)

De surcroît, entre 2006, année de la présidentielle gagnée par Kabila, et 2010, l’aide publique au développement concernant les problèmes sécuritaires en général a été chiffré au 6 % de l’aide totale, montant qui n’atteint plus que 1 % lorsque l’on considère les dépenses consacrées à la RSS !

Un désengagement qui n’est pas sans poser la question des intérêts réels des différentes forces politiques, locales et étrangères, qui se sont occupées de la RSS.

En réalité, les causes du raté de la réforme sont profondes et remontent au moins à la période de la transition. En mars 2003, le débat sur les principes fondateurs de la nouvelle armée provoque une crise politique entre la composante de l’ex-gouvernement et les autres.

Malgré l’option indiquée dans le dialogue inter-congolais d’assumer, comme critère de base, la fusion des trois armées issues de la guerre, le Comité international d’accompagnement de la transition (Ciat) soutient le camp gouvernemental où l’on exige de procéder à l’« intégration » des deux armées rebelles dans la sienne. Ce qui n’est pas tout à fait la même chose.

Cette attitude partiale du Ciat, qui favorise la famille politique de Joseph Kabila au détriment, surtout, du Rassemblement congolais pour la démocratie, présent en particulier dans l’Est, est déterminante dans la transition, de moins en moins « consensuelle » et « inclusive ».

La même erreur est répétée à propos du désarmement, condition préalable à la réforme de l’armée dans toutes les situations post-conflit. Comme le dit Aldo Ajello, ancien envoyé de l’UE dans les Grands Lacs, à propos du processus de désarmement confié à la Banque mondiale : « Ce genre d’opération doit être fait de façon neutre, afin qu’aucune des parties ne puisse penser que l’autre est favorisée.

Au Congo en revanche, la Banque mondiale a appliqué les principes de la politique d’aide au développement à la démobilisation des soldats : elle a lancé le « government ownership », c'est-à-dire qu’elle a donné au gouvernement – l’une des parties – le pouvoir de décision.

Elle a mis les décisions à prendre dans les mains de gens qui n’avaient pas intérêt à faire avancer le processus parce qu’ils profitent pécuniairement du statu quo. C’est une erreur. » (3).

Un manque de neutralité néfaste, qui a conforté les forces liées à Kabila dans leur conduite fondée sur l’exclusion et l’affairisme. La faillite de la réconciliation nationale, pourtant but essentiel du dialogue inter-congolais, est à inscrire dans cette dynamique négative.

Et l’inexistence d’une véritable armée en RDC figure certainement parmi ses causes principales. Les différentes opérations de « brassage » ou de « mixage » entre les différents groupes en armes n’ont jamais abouti. L’armée demeure, tragiquement, la première caisse de résonance du tribalisme et du chauvinisme ambiants dans les milieux gouvernementaux.

Le 10 septembre dernier à Burhinyi, dans le Sud-Kivu, quatre officiers des FARDC ont été froidement exécutés en raison de leur appartenance à la communauté tutsi. Le énième épisode de ce genre, qui témoigne de l’absence de leadership au plus haut degré de l’État.

Sans lui, la construction d’une force publique, en mesure d’assurer la protection des populations et l’exercice de la souveraineté nationale sur l’ensemble du territoire, reste une chimère.

by Luigi Elongui
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(1) « Une enquête menée auprès de plus de 10 000 ménages dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu a désigné les FARDC comme la deuxième source la plus fréquente d’insécurité, après le banditisme. Et avec un nombre d’exactions commises supérieur au nombre des atteintes perpétrées par les groupes armés ? » In « Prendre position sur la réforme du secteur de la sécurité », avril 2012.

(2) Idem, page 3.

(3) Interview à « La Libre Belgique » du 07/02/2007.

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