Depuis sa luxueuse cellule à La Haye, l’homme aura vécu un début de semaine tout particulier, la libération de Bangui. Anticipe-t-elle une autre? La sérieuse analyse du Journal Le Matoiseur
Kinshasa, Le Matoiseur n°4, Edition du 15 au 21 Avril 2013
Les prisons de La Haye, la forteresse sensée garder les plus puissants des criminels, les plus forts, les plus riches. Un alvéole sensé, en sous-entendu, mettre en (au) placard, du moins pour un moment, ceux qui ne seront plus dans le jeu, ceux qui sont hors-jeux.
Le fortin d’une « juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l’humanité et de crime de guerre » … si fièrement nommée : Cour Pénale Internationale ou CPI pour les intimes ; fut-elle créée en 2002.
Certes, Slobodan Milošević en fut l’inaugurateur, lui qui s’y est suicidé d’ailleurs (tué ou décédé, c’est selon). Certes, d’autres viendront, sont attendus, arrivent…Mais, hélas, cette fameuse forteresse s’est de prime à bord Africanisée, congolisée précisément.
Oui ! Jean-Pierre Bemba sera l’heureux élu à y mettre pieds, lui qui venait d’échouer à une autre élection, celle-là présidentielle, au Congo natal.
En démêlé avec Joseph Kabila après sa défaite au deuxième tour de la présidentielle congolaise de 2006, le « fils Mobutu » est obligé de s’exiler au Portugal (natal), puis en Belgique après de violents combats contre les troupes de Kabila dans le centre-ville de Kinshasa en 2007.
II est cueilli à Bruxelles le 24 mai 2008 suite à un mandat (invisible) établi la veille par la CPI sur le dossier, tenez-vous bien, centrafricain.
Claustré, mis à l’écart, mis hors-jeu, Bemba récuse les charges qui pèsent contre lui : il n’était pas présent en Centrafrique pendant les exactions de ses troupes et ne commandait pas directement ses hommes sur place… il manquait donc quelqu’un sur le banc des accusés selon les avocats de Bemba : Ange-Félix Patassé lui-même.
Mais l’ancien président n’a jamais été inquiété par la justice internationale… trop tard. Ange-Félix Patassé est décédé le 5 avril 2011, dans un hôpital de Douala au Cameroun.
Dans la congolisation de la forteresse CPI, Lubanga, N’gudjolo (acquitté toutefois), et Ntaganda les suivront. Un mélange capable de produire une sacrée sauce rebelle depuis La Haye.
Dans l’Africanisation, Laurent Gbagbo avait déjà précédé le Rwandais, zut, le Congolais Ntaganda. Saïf Al-Islam y est attendu, et Omar El-Bechir y ira peut-être en cercueil, à la Kadhafi manière.
Mais on reparle du début de semaine, de Jean-Pierre Bemba, de Bangui, de Bozizé… de la chute.
Lundi 25 mars 2013 matin, un homme regarde vers sa fenêtre de cellule et sourie. S’il a le droit, il demande à utiliser le téléphone et appel une certaine Lyliane Bemba, lui demandant des nouvelles de Bangui, que ce passe-t-il ? Questionnera-t-il !
Si elle pouvait, l’ex-future Première Dame lui racontera la nouvelle : Bozize est chassé du pouvoir. Bangui est libérée, « tu seras bientôt libre », pourra-t-elle victorieusement entonné !
Coiffeur coiffé ou arroseur arrosé, comme on le voudra, le général-président-prophète François Bozizé a pris ses jambes à son cou, vers le Cameroun, devant l’avancée spectaculaire et paradoxale de la rebellion du Séléka.
Tout d’un coup, celui que semblaient résolument protéger par les armées sud-africaine, tchadienne, française, camerounaise et gabonaise… Rd-congolaise (s’il en existe) sans oublier une mission onusienne entière, s’est transformé en lapin fuyard, devant des troupes étonnamment aguerries face aux siennes, dans un schéma qui reproduisait presque point pour point les conditions de sa propre prise de pouvoir en 2003, par un coup d’Etat rondement mené contre le président élu d’alors, un certain… Ange-Félix Patassé.
« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis »
Changement de régime donc à Bangui, le nouvel homme fort, un certain Michel Djotodia. Autoproclamé Président de la Centrafrique. Cet homme, âgé d’une soixantaine d’années –sa date de naissance est inconnue pour les uns – , était l’un des leaders de la Sekela, la coalition des mouvements de rébellion créée en 2012.
« Les ennemis de mes ennemis sont mes amis », dit le dicton, la rue Kinoise raconte qu’il y aurait des « potes » à Bemba dans cette bande à rebelles, désormais ex-rebelles.
Sérieux, le départ de Bozizé changé considérablement les choses. Djotodia, qui a passé plus de 14 ans en Russie, polyglotte, aurait d’autres chats à fouetter qu’entretenir l’emprisonnement de Jean-Pierre du Congo voisin ; d’autant plus que quelques jours seulement après son accès au « trône », on raconte qu’à Bangui, contrat, uranium, revisitassions, bois et richesses… sont des mots les plus utilisés.
Avec des phrases… : «Je n’ai pas dit que dans trois ans, je remettrai le pouvoir (…) j’ai dit que dans trois ans, nous allions organiser des élections libres et transparentes», la pure sauce Africaine du putch !
Sans oublier un Bozize qui n’a pas (encore) fermer clapet, rouspétant contre … le Tchad, tant pis pour vous si vous n’y comprenez rien, nous non plus.
Plus de Bozize protégé, solidairement, par la Garde Présidentielle Rd-congolaise, plus de pressions sur des témoins qui peinent à se rappeler de dates… Jean-Pierre Bemba peut espérer (enfin) un procès équitable.
Candidat en 2016 ?
Place à lajustice
Le procès justement. Il y a cinq chefs d’accusation en relation avec les évènements en République Centrafricaine entre le 26 octobre 2002 et le 15 mars 2003 contre Jean-Pierre Bemba.
Deux de ces chefs d’accusation sont de crimes contre l’humanité (meurtre et viol) et trois sont de crimes de guerre (meurtre, viol, et pillage).
Le Procureur soutient que « M. Bemba est responsable de ces crimes commis par sa milice MLC » dans des endroits comprenant notamment Bangui, PK 12, Boy-Rabé, Fou, Mongoumba, Bossangoa, Damara, Bossembélé, Sibut, Bozoum et Bossemptele.
Bemba dont la dernière apparition en publique remonte à juillet 2009 lors des obsèques de son père, le sénateur Jeannot Bemba, à Bruxelles, a commencé à présenter sa défense le 14 août 2012.
Le 21 septembre 2012, la Chambre de première instance III de la CPI avait informé les parties de la possibilité de modifier le « mode de responsabilité » attribué à Jean-Pierre Bemba Gombo, en tant que « supérieur hiérarchique », ce qui conduira à une suspension des audiences depuis décembre 2012 pour 3 mois.
Depuis le début du procès en novembre 2010, les audiences ont été si suspendues que Christ pouvait, entretemps, revenir. Raisons évoquées : des difficultés à faire venir les témoins.
Le 24 mai, le chairman aura passé 5 ans en détention, provisoire.
L’accusation bat de l’aile
Le procès qui a depuis repris, connait autant de bouleversements que déclarations confuses et contradictoires.
La semaine dernière, un soldat congolais, qui servait dans un contingent accusé d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, a défendu la discipline des troupes du MLC.
Il a soutenu que les combattants de l’inculpé, Jean-Pierre Bemba, n’étaient même pas présents dans certaines des zones dans lesquelles les procureurs affirment que les crimes ont été commis.
Le ‘‘témoin D04-45’’ a indiqué que les soldats du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) n’étaient pas déployés dans les villes de Bossembélé et de Bozoum en décembre 2002.
Le témoin a fait cette déclaration après que l’avocat de l’accusation Eric Iverson lui ait montré des documents attestant que les combattants de l’accusé avaient commis des crimes dans les deux villes.
Il a également déclaré qu’aucun soldat de son groupe n’avait été déployé dans les villes de Boy-Rabé, Fou, et Mongoumba, qui sont les zones dans lesquelles les procureurs déclarent que les soldats de M. Bemba ont commis des crimes.
Le témoin a été membre du 28ème bataillon du MLC, un des deux bataillons que M. Bemba avait envoyés en République centrafricaine(RCA) .
Le ‘‘témoin D04-45’’, qui a été le seul témoin à comparaître cette semaine, a déclaré qu’il n’avait connaissance d’aucun crimes commis par ses collègues.
Un vrai procès casse-tête pour la Cour Pénale Internationale qui n’a pas tâche aisée dans un procès où il est si pas impossible, mais difficile de prouver, avec certitude absolue, quoi que ce soit.
Entre temps, Bemba peut calmement attendre l’issu de son procès. Difficile cependant d’imaginer que la CPI puisse changer son fusil d’épaule simplement parce que Bozize a pris la poudre d’escampette.
Autant savoir que Fatou Bensouda, qui vient de commencer son mandat de Procureur à la place du célèbre et intraitable Louis Moreno Ocampo, Africaine qui plus est, a l’obligation de « justifier son salaire », si pas d’écrouer au moins un accusé, soit-il un certain Jean-Pierre Bemba.
Nous nous acheminons dès lors vers une condamnation par défaut, à la Lubanga, qui lui, dont les crimes sont te qui en a écoper 14 ans seulement.
N’gudjolo, certes fretin, s’en est tiré sans condamnation. Alors, pourquoi pas Jean-Pierre, baleine (physiquement ?) soit-il.
Certes, même condamné, Bemba s’en tirera autour 5 ou 10 ans, estime un collègue. Ayant purgé déjà pas moins de 5 ans, il pourra ainsi se retrouver libre, voir-même avant 2016.
Libre, comme Bangui, Libre comme dans Bangui, « Igwe » aura surtout une revanche à prendre. Aussi, se mettra-t-il directement dans le costume d’un candidat président en 2016 ?
Non ! Réplique un analyste au Matoiseur, pour être candidat, dit-il, il faut un « casier judiciaire vide », affirme Me Pitshou Makambo, analyste politique. D’où l’obligation d’un acquittement.
Le suspense est total. A Kinshasa, les Etats-Majors politiques se préparent déjà à la grande bataille de 2016. Avec ou sans Bemba, elle sera néanmoins déterminante pour l’avenir du très cher beau Congo.
Benjamin Litsani Choukran,
Le Matoiseur, Direct.cd
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire