Le violent assassinat de Thomas Sankara est à la mesure de l’acharnement de ses assassins à le salir et à le faire disparaitre de la mémoire de ses compatriotes. De la même façon les tentatives de faire connaitre les circonstances de son assassinat semblent se heurter à des forces puissantes.
Il faut dire que l’hypothèse d’un complot international fait petit à petit son chemin. Quoiqu’il en soit Thomas Sankara a désormais reçoit le panthéon des figures révolutionnaires.
Non seulement il est largement adopté comme un modèle par de large couche de la jeunesse africaine mais il est aussi une source d’inspiration pour les artistes de nombreuses disciplines. Retour sur son assassinat et son rayonnement actuel 26 ans après.
Ce jour-là vers 16h30 un commando de militaires du régime de la sécurité présidentielle est arrivé aux abords d’une salle où Thomas Sankara tenait une réunion avec des collaborateurs. Il leur aurait dit : « restez c’est à moi qu’ils en veulent ».
Le commando après avoir tué deux hommes est entré dans le bâtiment a tué Sankara, puis tout ceux qui assistaient à la réunion, à l’exception d’un seul qui a fait le mort.
Le dénouement d’une crise interne.
Après 4 années de révolution qui avait bouleversé le pays, et dont le bilan, on le sait maintenant est considérable, cet assassinat mettait violemment fin à l’expérience révolutionnaire la plus importante du continent africain.
Ce n’est qu’aujourd’hui, après le recul, que l’on en mesure toute l’importance. La jeunesse africaine a fait de Thomas Sankara son héros, à l’image de ce qu’était devenu Che Guevara pour la jeunesse engagée sud-américaine et européenne.
Blaise Compaoré et ses amis, qui organisèrent cet assassinat, conscients de la popularité du président assassiné, s’employèrent à salir sa mémoire, à minimiser son bilan.
Les partisans de Thomas Sankara qui ne purent ou ne voulurent s’enfuir, furent poursuivis et souvent torturés. Peu avant ce dénouement tragique, Thomas Sankara affrontait des cadres de la révolution, ayant souvent rejoint ses rangs après la prise du pouvoir. Ils voulaient procéder à de nouvelles purges pour la « clarifier ».
En réalité pour mieux profiter des bénéfices du pouvoir, tandis que Sankara, conscient d’une certaine lassitude, voulait au contraire, construire un parti politique qui rassemblerait tous les courants révolutionnaires dans leur diversité, y compris ceux qui avaient été écartés ou qui s’étaient retirés pour divergence, pour aller de l’avant et ouvrir plus tard le jeu politique.
Blaise Compaoré, en qui Thomas Sankara avait une confiance aveugle, s’est appuyé sur les secteurs de l’armée qu’il contrôlait et sur ces révolutionnaires de circonstance.
Les plus influents de ceux ont cru que la révolution allait continuer furent assassinés, les autres se sont vite transformés en chantres du libéralisme économique, sans trop d’état d’âme. Ils sont le plus souvent encore au pouvoir.
Le climat lourd qui précéda cette issue violente et inattendue, s’explique par les pseudo-divergences au sein de la direction de la révolution, en réalité dans un discours trouvé récemment qu’il devrait prononcer le soir du 15 octobre, Sankara explique que ses ennemis étaient incapables d’affronter une discussion politique et d’énoncer de réelles ivergences, une certaine lassitude d’une partie de la population, les manœuvres de toute sorte, mais aussi l’organisation d’une fronde contre Thomas Sankara lui-même qui veillait personnellement au travail et à l’engagement de chacun quand ce n’est pas à la moralité de tous. De quoi se faire beaucoup d’ennemis.
Un leader d’envergure internationale qui dérangeait.
Depuis, petit à petit, cependant se sont dessinés les contours d’un complot international. La simple analyse politique de la situation internationale et le rôle de plus en plus important qu’y tenait Thomas Sankara l’impose comme une hypothèse plus que probable.
Bien qu’étant un petit pays, Thomas Sankara devenait de plus en plus populaire au sein de la jeunesse du continent, jusqu’à inquiéter les dirigeants des pays voisins qu’il n’hésitait pas à interpeller publiquement.
C’est ainsi qu’ils avaient commencé à refuser de le recevoir dans la capitales pour éviter des manifestations de soutien à ce jeune leader de plus en plus incontournable tout autant qu’incontrôlable.
Mieux Thomas Sankara avait même exfiltré des dirigeants d’institutions inter africaines, jusqu’ici intouchables pour les juger à Ouagadougou devant les Tribunaux populaires de la révolution.
Sa lutte implacable contre la corruption, l’élan qu’il avait su insuffler à son peuple, qu’il avait réussi rapidement à convaincre de son engagement sincère à construire le pays, de son intégrité, et qui s’était mis massivement au travail constituaient autant d’exemple qu’il pouvait en être autrement que ces régimes corrompus dans les pays voisins.
Un complot international se dessine petit à petit.
Les premières enquêtes journalistiques évoquaient déjà la thèse du complot. Le journaliste Sennen Andriamirado, aujourd’hui décédé, très au fait de cette révolution et ami personnel de Thomas Sankara en a développé la thèse dans ses premiers articles suivant l’assassinat avant de se contredire dans l’ouvrage qu’il fait paraitre un an plus tard.
Plus, dès 1993, des travaux universitaires de chercheurs anglophones avaient fait état de la présence de libériens au Burkina Faso à l’époque. Ils émettaient l’hypothèse de leur participation à l’assassinat de Thomas Sankara, ce que vont confirmer d’autres travaux en anglais par la suite.
En l’an 2000, François Xavier Verschave, alors président de l’association SURVIE (http://www.survie.org) dans son volumineux ouvrage Noir Silence ( Les Arènes), écrit page 346 à propos de « paradoxale » relation franco-libyennes : « L’Elimination du président burkinabè Thomas Sankara est sans doute le sacrifice fondateur … Foccart et l’entourage de Kadhafi convinrent en 1987 de remplacer un leader trop intègre et indépendant, au point d’en être agaçant, par un Blaise Compaoré infiniment mieux disposé à partager leurs dessins. L’ivoirien Houphouet Boigny fut associé au complot.»
Depuis différents témoignages sont venus confirmer l’hypothèse d’un complot international et notamment un documentaire italien de Silvestro Montanaro diffusé sur la RAI3 en juillet 2009 (voir la le film à et le traduction de certains passages àhttp://www.thomassankara.net/spip.php?article794).
Plusieurs anciens compagnons de Charles Taylor, affirment avoir été présents sur les lieux, mais évoquent aussi la participation de la Côte d’Ivoire, de la Libye, de la France et de la CIA américaine.
Les campagnes pour la vérité et la justice se heurtent à la mauvaise volonté du comité des droits de l’homme de l’ONU, et au blocage de la justice burkinabé.
C’est ainsi qu’en France, relayant une campagne de signatures (voir http://www.thomassankara.net/spip.php?article866) demandant l’ouverture d’une enquête indépendante, les députés des Verts et du Front de gauche ont tour à tour demandé l’ouverture d’une enquête parlementaire sur l’assassinat de Thomas Sankara en 2011 et en 2012 (voir http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion3527.asp ethttp://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/propositions/pion0248.asp).
Ces demandes n’ont toujours pas été mises à l’ordre du jour de l’assemblée nationale. Une autre campagne, à l’initiative du CIJS (Campagne international Justice pour Sankara) avait réussi à faire mettre cette affaire à l’ordre du jour du comité des droits de l’homme de l’ONU.
Celui-ci après avoir en 2006 en partie donné raison à la famille s’est en quelque sorte déjugée en 2008, en s’estimant satisfait des actions de l’Etat burkinabè.
Pourtant celui-ci s’était contenté de corriger le certificat de décès de Thomas Sankara qui comportait jusqu’alors la mention décédé « de mort naturelle » et de proposer de l’argent à la famille qu’elle refusé évidemment réaffirmant son exigence de justice et de vérité.
Aucune enquête n’avait été diligentée sur l’assassinat de Thomas Sankara. Différentes procédures judiciaires ont par ailleurs été engagées au Burkina. Aucune n’a abouti jusqu’ici. Toutes se sont heurtées à toute sorte de diversions, montrant sur cette affaire le manque d’indépendance de la justice de ce pays.
L’actuel président, Blaise Compaoré, ainsi que son Chef d’Etat major particulier, Gilbert Diendéré, décoré de la légion d’honneur en mai 2008, sont fortement soupçonnés d’être directement impliqués dans l’assassinat.
Un leader commémoré chaque année dans de nombreux pays.
Si l’exigence de justice sur l’assassinat de Thomas Sankara est loin d’être satisfaite, sa renommée croissante en Afrique mais aussi en Europe et en Amérique du Sud, ont fini par anéantir toutes les tentatives pour salir sa mémoire, comme son bilan.
De nombreuses ouvrages socio-politiques sont déjà parus en français, dont plusieurs écrits par des burkinabè, et en Italien tandis que plusieurs sont en préparation en anglais. Chaque 15 octobre, de nombreuses commémorations sont organisées à travers le monde pour honorer sa mémoire et son action.
Une trentaine d’associations altermondialistes organisent chaque année autour du 15 octobre une semaine contre la dette illégitime et les institutions internationales, Thomas Sankara constituant pour la plupart d’entre elles, le précurseur de leur combat (voirhttp://cadtm.org/Semaine-globale-d-action-contre-la,9433 ).
L’émergence politique difficile du « sankarisme » politique.
Au Burkina Faso, la jeunesse engagée très mobilisée, en quête de repère et de personnage symbolique, s’empare de sa pensée pour lutter contre le pouvoir en grande difficulté. De nombreux partis se réclamant du sankarisme revendiquent son héritage.
Mais leur division empêche que le sankarisme politique puisse véritablement s’épanouir pleinement. La clarification se fait cependant petit à petit.
En réalité l’un d’entre eux émergent réellement l’UNIR PS (Union pour la Renaissance / parti sankariste), avec 4 députés, et dans une moindre mesure le Front des forces sociales, en perte de vitesse cependant, les autres ne rassemblant que quelques individus, et n’existant que par quelques communiqués diffusés de temps en temps par la presse.
Par contre de nombreuses associations de jeunes voient le jour à travers l’Afrique. La dernière en date le balai citoyen, créé il y a quelques mois, se revendique directement de son héritage.
A l’initiative de deux musiciens très populaires au Burkina, Sams’K Le Jah et Smockey, elle fait preuve d’un dynamisme à toute épreuve, s’imposant comme le principal organisateur des cérémonies du 15 octobre à Ouagadougou aux côtés des partis sankaristes plus discrets.
Une source d’inspiration pour de nombreux artistes dans des disciplines très diverses
De nombreux artistes musiciens, dont certains très connus comme Tiken Jah Fakoly, ou Didier Awadi parlent de Thomas Sankara, durant leur spectacles quand ils n’ont pas composé des chansons qui lui sont consacrés.
Des graphistes s’emparent de son image et la reproduisent à l’infi et dsans tous les styles. Mais au-delà des chorégraphes tels Serge Aymé Coulibaly ou Auguste Ouedraogo ont créé des spectacles pour lui rendre hommage.
La littérature n’est pas en reste avec auteurs, tels Jean Billeter, Koulsy Lamko ou Jacques Jouet, pour n’en citer que quelques uns qui lui ont consacré des œuvres.
De nombreux documentaires, dont certains sont plusieurs fois passés à la télévision, et traduits dans différentes langues ont été produits. Citons « Thomas Sankara » de Balufu Bakupa-Kanyinda, le précurseur qui n’a pu mener son projet à bien, mais aussi « l’homme intègre » de Robin Shuffield,« Fratricide au Burkina, Thomas Sankara et la Françafrique » de Thuy Tien Ho, ou encore le tout récent « capitaine Thomas Sankara » de Christophe Cupelin qui a entamé une prometteuse tournée des festivals.
Et au milieu de ces productions professionnelles, impossible de ne pas citer le film « Sur les traces de Thomas Sankara », deux parties de près de 2 heures, très complet, lui aussi traduit en plusieurs langues, réalisé sans soutien par l’association Baraka et qui a été projeté aussi dans de nombreux pays.
La période qui vient verra sans doute se multiplier les premières productions de fiction portés à l’écran à l’image du tout nouveau « Twaaga », Cedric Ido qui entame aussi une tournée des festivals de court métrage. Outre l’aspect politique, l’histoire de Thomas Sankara, et cette histoire d’amitié trahie porte en elle en effet tous les ingrédients d’une grande tragédie romanesque.
Thomas Sankara est donc devenu tout à la fois, une référence d’intégrité, de probité, d’engagement, et de stratégie pour les révolutionnaires, une source d’inspiration pour les artistes de différentes disciplines, le précurseur des combats écologistes et d’un modèle de développement autocentré pour les citoyens à la recherche d’alternative au modèle libéral, une figure de référence pour les altermondialistes qui luttent pour le non paiement des dettes illégitimes, ou plus, un exemple pour les jeunes en quête de repère, de modèle, de figure à laquelle s’identifier et d’exemple à suivre.
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source : Bruno Jaffré
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