vendredi 21 février 2014

RDC: Les évêques tapent du poing sur la table

le 21 février 2014



Les évêques tapent du poing sur la table

« La situation dramatique actuelle du Katanga a plusieurs raisons parmi lesquelles nous citons : la faiblesse de l’autorité de l’Etat, la mauvaise répartition de la richesse, le déséquilibre économique entre milieux urbains et milieux ruraux, la frustration, l’impunité, etc. »

C’est ce qui ressort de la lettre pastorale des évêques de l’Assemblée épiscopale de la province ecclésiastique de Lubumbashi adressée le 13 février 2014 aux fidèles catholiques et à tous les hommes de bonne volonté. 

Les évêques katangais constatent dans leur province une triple insécurité, à savoir sociopolitique, socioéconomique ainsi qu’environnementale et sanitaire.

Le ton utilisé laisse entendre qu’il y a péril en la demeure. 

Surtout avec l’entrée en scène des « Bakata-katanga » considérés à juste titre comme des jeunes gens drogués, manipulés à souhait et transformés en tueurs impitoyables par d’obscurs personnages. 

Les signataires de la lettre pastorale s’insurgent contre tous ceux qui font des Katangais de la chaire à canon ; cela au détriment de la reconstruction et du développement de la province. 

Ils insistent sur l’urgence à publier le rapport d’enquête sur Gédéon Kyungu, un seigneur de guerre arrêté mais qui s’est évadé de la prison de Kasapa d’une manière non encore élucidée jusqu’à ce jour. 

Ils notent que « Depuis l’évasion en septembre 2011 de la prison de la Kasapa à Lubumbashi du seigneur de guerre Kyungu Mutanda alias « Gédéon », plusieurs zones de la province du Katanga sont rentrées dans un cycle d’insécurité et de violence qui sème la mort parmi les paisibles citoyens et jette des milliers d’autres sur le chemin de l’errance ».

Indignés, déçus et révoltés, les princes de l’Eglise catholique au Katanga dénoncent le non respect de la dignité de la personne humaine caractérisée par la dégradation aggravée du social de la population, laquelle est soumise à l’errance, à la disette, aux intempéries. 

Du fait, entre autres, des actes nocifs de « Bakata-Katanga ». Le drame qui se déroule au Katanga, s’il perdure, n’augure pas de lendemains qui chantent. 

La grande responsabilité incombe au gouvernement central dont l’attentisme favorise l’impunité pour tous ceux qui commettent des crimes contre l’humanité au Katanga.

Apparemment, le cri d’alarme a été entendu par la Monusco qui, par la bouche de son chef Martin Kobler, se dit prête à descendre dans le « triangle de la mort » (Pweto, Mitwaba et Manono) en vue de mettre un terme à l’aventure des Bakata-Katanga. 

Ci-dessous, l’intégralité de la déclaration des évêques du Katanga.

Pleurons avec ceux qui pleurent (Cf. Rom. 12,15b)

Lettre pastorale des évêques de l’Assemblée épiscopale de la province ecclésiastique de Lubumbashi aux fidèles catholiques et aux hommes de bonne volonté

0. Préambule

Réunis en Assemblée statutaire à Lubumbashi du 10 au 13 février 2014, nous Archevêque et Evêques de la province ecclésiastique de Lubumbashi, au Katanga, après avoir fait le point sur la situation socio pastorale de nos huit diocèses, lançons un cri de détresse en faveur des populations du Katanga, face aux drames dont elles sont victimes. 

En hommes de paix, nous invitons les gouvernants de notre pays, les responsables des Nations Unies présents sur le territoire national et les hommes de bonne volonté à travailler pour que prenne fin cette tragédie : « Pleurez avec ceux qui pleurent » (Rom. 12, 15b).

1. Respectons la dignité de la personne humaine

Nous rappelons à ce sujet l’enseignement de notre foi sur la dignité de la personne humaine. Ceux qui par la foi et le baptême appartiennent au Christ doivent confesser leur foi baptismale devant les hommes (cf. Matth. 10,32 ; Rom. 10,9). 

C’est ce devoir de notre foi qui nous pousse en ce moment de l’histoire de notre pays, et particulièrement de notre province, à rappeler la valeur inviolable de la vie de l’homme, tout en dénonçant ce qui porte atteinte au caractère sacré de la dignité de la personne humaine qui s’enracine dans sa création à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n°1700). 

Suivant cet enseignement, cette dignité s’accomplit dans sa vocation à la béatitude divine. Malheureusement, cette vocation à la béatitude est souvent contrariée par des situations antagonistes qui jalonnent la vie des hommes. 

Ces derniers temps, les populations du Katanga en font la douloureuse expérience sous diverses formes.

2. Une triple insécurité blesse la dignité de l’homme au Katanga

2.1. Insécurité sociopolitique

Depuis l’évasion en septembre 2011 de la prison de la Kasapa à Lubumbashi du seigneur de guerre Kyungu Mutanda alias « Gédéon », plusieurs zones de la province du Katanga sont rentrées dans un cycle d’insécurité et de violence qui sème la mort parmi les paisibles citoyens et jette des milliers d’autres sur le chemin de l’errance. 

La revendication de l’ «indépendance » du Katanga, comme le clame l’expression «Bakata-Katanga », est le prétexte généralement évoqué pour justifier un tel déchaînement de la violence. 

A cette étape de la démocratie dans notre pays, il existe, pourtant, des voies démocratiques pour exprimer noblement ses frustrations et ses aspirations. 

Au nom de cette cause, de nombreux jeunes, dont plusieurs mineurs, sont enrôlés de force et amenés à tuer leurs propres compatriotes. Continuellement drogués et soumis aux pratiques magico-religieuses, ils sont armés de fusils d’assaut et d’armes blanches. 

On leur promet un bonheur inespéré pour les motiver. Ils volent, pillent, violent, torturent, enlèvent et incendient sans distinction et sans aucun état d’âme. 

Les agents de l’Etat sont leurs principales cibles mais ils n’épargnent pas les chefs coutumiers et les civiles sans défense. 

Les Maï-Maï Bakata-Katanga ont érigé des sanctuaires dans plusieurs territoires de notre province. Leurs incursions sanguinaires créent une psychose au sein du peuple et l’image du Katanga en est ternie. Nous disons haut et fort que nos populations ne sont pas une chair à canon.

2.2. Insécurité socioéconomique

En plus de violations graves des droits humains, l’insécurité sociopolitique affecte le tissu économique de notre Province et amplifie la misère au sein de notre population. Les déplacés de guerre, qu’on compte par milliers, sont pour la plupart sans assistance humanitaire. 

On enregistre parmi eux un taux fort élevé de mortalité et de maladies. Vulnérables, les petits enfants, les femmes et les vieillards figurent parmi les premiers concernés et meurent en masse, sans soins appropriés, dans le plus grand dénuement. 

Quant aux jeunes en âge de scolarité, certains sont condamnés à ne pas étudier et d’autres se livrent à l’exploitation artisanale des minerais.

Eu égard à l’insécurité socioéconomique, comment peut-on tolérer que nos propres élus se soient autorisés à se tailler des salaires « pharaoniques » - dont ils seraient toujours encore insatisfaits – en laissant leur base électorale ainsi que les forces de l’ordre avec des salaires de misère ! 

Que l’on applique la tension salariale partant du plus haut fonctionnaire de l’Etat jusqu’au huissier.

La bancarisation est une excellente initiative qui permet de contenir l’effectif réel des salariés de l’Etat et facilite à chaque agent de toucher à temps son vrai salaire. Cependant, depuis son application, nous en constatons les limites. 

Car dans cet immense pays qu’est la RD Congo, certains salariés doivent parcourir plus de cent kilomètres pour toucher leur maigre salaire, laissant ainsi vide pendant plusieurs jours leur poste de travail. 

Quant aux célèbres contrats chinois, ils sont basés, surtout, sur l’exploitation minière au Katanga. Il va de soi que les populations de cette Province en soient bénéficiaires.

2.3 Insécurité environne-mentale et sanitaire

Pour le moment, le développement et la démocratie que réclame notre peuple, c’est aussi un environnement sain. 

A travers la Commission épiscopale des ressources naturelles (CERN), l’Eglise Catholique de la RD Congo s’est engagée, depuis 2007, dans le plaidoyer en faveur d’une exploitation des ressources qui profite aux populations locales et au pays. 

Cet engagement se justifie par le paradoxe qui se vit entre l’abondance des richesses issues de cette exploitation et la pauvreté criante de la population congolaise. 

La répartition de tout le pays en carrés potentiellement vendables, le problème de la radioactivité, la pollution des cours d’eau, et de l’environnement, nous mettent en présence d’une gestion de l’exploitation des ressources naturelles ne tenant pas compte du respect de la dignité humaine, de l’équilibre homme/environnement, de la bonne gouvernance et du développement intégral de tout homme et de tout l’homme. 

La santé de plusieurs travailleurs de sociétés d’exploitation minière reste hypothéquée. Les cas ne se comptent plus au Katanga d’hommes frappés de stérilité et d’enfants qui naissent avec des malformations corporelles graves à cause de la radioactivité. Nous rappelons que la santé n’a pas de prix et il est un devoir citoyen d’œuvrer pour un environnement sain.

3. Notre ministère prophétique nous presse

Vu l’ampleur du drame imposé à notre peuple, tel qu’exprimé dans cette triple insécurité qui constitue un cauchemar pour les populations du Katanga, aujourd’hui :

3.1 Nous dénonçons :

- la main noire qui manipule des jeunes gens transformés en tueurs impitoyables. Ceux qui les instrumentalisent doivent savoir qu’ils violent les droits de la personne humaine et commettent des crimes contre l’humanité passibles de jugement à la Cour pénale internationale;

- l’attentisme du gouvernement central. Celui-ci, en effet, devrait se préoccuper davantage de la souffrance si atroce des populations sinistrées. Qu’il prenne en compte les revendications légitimes des populations;

- l’approvisionnement en armes et munitions, dont bénéficient les miliciens, manipulés par d’obscurs personnages.

3.2 Nous déplorons :

- qu’une jeunesse si dynamique soit entraînée par des gens mal intentionnés et se livre à une aventure si funeste ;

- les incursions des Maï-Maï Bakata-Katanga en pleine ville de Lubumbashi et dans d’autres localités de la Province ;

- le laisser-faire de l’exploitation minière artisanale où les forces vives du pays sont exposées à des matières radioactives et à l’épuisement précoce de leur vigueur juvénile, pendant que leurs conditions de vie restent précaires.

3.3 Nous recommandons :

* Aux gouvernants :

- de rendre publics les résultats de l’enquête sur l’évasion du seigneur de guerre Kyungu Mutanda alias Gédéon de la prison de Kasapa le 7 septembre 2011;

- de lancer la procédure pour déférer à des juridictions internationales les sieurs Kyungu Mutanda alias Gédéon et Ferdinand Ntanda Imene ainsi que leurs complices ;

- de mettre fin aux conflits armés dans notre Province ;

- de secourir de manière efficace les sinistrés.

*A la Monusco :

- de prêter main forte aux FARDC, comme elle le fait ailleurs, afin de neutraliser les miliciens et d’instaurer une paix durable sur l’ensemble de la Province du Katanga ;

- de favoriser l’organisation de secours aux sinistrés dans la Province.

* Aux Maï-Maï Bakata-Katanga :

- de déposer les armes et de cesser de tuer leurs propres frères et sœurs ;

- de réintégrer la vie sociale et de contribuer au développement de la province.

* Aux Acteurs politiques du Katanga :

- de soutenir l’élan dynamique du développement de leur Province;

- de privilégier le dialogue dans la vérité pour régler les différends entre eux ;

- de prendre à cœur le développement du Katanga et de sa population.

4. Exhortation finale

Il convient de comprendre que la situation dramatique actuelle du Katanga a plusieurs raisons parmi lesquelles nous citons : la faiblesse de l’autorité de l’Etat, la mauvaise répartition de la richesse, le déséquilibre économique entre milieux urbains et milieux ruraux, la frustration, l’impunité, etc. 

Que les responsables à tous les niveaux s’appliquent à y trouver des solutions effectives. Ne perdons pas l’espérance. Le Seigneur est avec nous. 

Prions afin que la Vierge Marie, Notre-Dame de la Paix, nos Bienheureux Marie-Clémentine Anuarite et Isidore Bakanja, qui ont versé leur sang dans ce pays, intercèdent pour notre beau et cher pays la RD Congo et pour notre province du Katanga.

Fait à Lubumbashi, le 13 février 2014 Les évêques de la Province ecclésiastique de Lubumbashi
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Le Potentiel

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