jeudi 27 novembre 2014

Ma part c’est combien?: la formule magique du Katanga…

26 novembre 2014

Près d’un million de tonnes de cuivre par an ! 

Jamais, ni durant l’époque coloniale ni sous le règne de Mobutu le Katanga n’avait atteint un tel record de production. Et cependant, dans la capitale du Katanga, l’atmosphère est morose. 

Faute de contournement, d’immenses semi remorques, immatriculés en Zambie, au Zimbabwe, en Afrique du Sud, traversent le centre ville et les quartiers densément peuplés dans un halo de poussière et de pollution. 

Ils transportent des ballots de minerais bruts, qui seront transformés hors des frontières, ou des produits chimiques hautement toxiques. « En cas d’accident, nous connaîtrons un Seveso à la puissance dix » s’inquiète un médecin expatrié qui constate aussi une explosion de cancers affectant même de enfants en bas âge. 

Un ophtalmologue confirme : « à cause de la poussière et de la pollution, nous assistons à un multiplication de cancers de la rétine, entre autres chez les jeunes enfants… »

A la lisière de la ville, le site du Ruashi était autrefois le domaine des creuseurs artisanaux. Des milliers d’hommes, à mains nues, taillaient des galeries dans la terre meuble et en ramenaient des blocs striés de traînées rouges et brillantes. 

Aux abords de la carrière se pressaient les négociants, les femmes proposaient des brochettes, des bananes plaintain. Au milieu d’une musique assourdissante, l’argent, par petites coupures ou grosses poignées, circulait de main en main et il n’était pas rare de rencontrer des étudiants qui finançaient leurs études en devenant creuseurs à temps partiel.

Ruashi aujourd’hui offre un paysage lunaire : la terre semble avoir été retournée par des mains de géants, les derniers arbres ont disparu, quelques silhouettes furtives se faufilent encore sur les collines de terre fraîchement retournées, dans l’espoir d’en ramener quelque caillou négligé par les excavatrices géantes. 

Des gardes sud africains défendent le site, des barbelés barrent l’horizon. Au volant de son taxi déglingué, Jacques se lamente : « les creuseurs ont été chassés et même les sites qui avaient été légalement attribués à l’exploitation artisanale ont été cédés aux grandes compagnies minières… Elles amènent leurs propres travailleurs, originaires d’Afrique australe et pour nous il n’y a rien. »

Depuis la signature des contrats chinois en 2007 et l’irruption des géants de l’industrie minière, le Katanga connaît un boom spectaculaire, mais la population n’en bénéficie guère. 

Comment s’en étonner ? Le Congo est en passe d’être exclu de l’ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives) car 25 des principales sociétés minières de la place n’ont toujours pas pu prouver qu’elles payaient des impôts !

Certaines d’entre elles assurent qu’elles bénéficient d’exemptions aussi longtemps que leurs investissements n’ont pas été amortis, d’autres ont contourné la loi en bénéficiant de complicités politiques. 

« Ta kwangu ni ngapi ? », « ma part est de combien ? » Voilà une phrase que tous connaissent par cœur et qui a fini par être collée comme un surnom aux plus hautes autorités de l’Etat… 

Par ailleurs, le gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi Chapwe, ne cesse de réclamer que Kinshasa, au minimum, applique la loi qui prévoit de rétrocéder aux autorités provinciales 40% des taxes perçues dans la capitale. 

« L’an dernier, le Katanga a envoyé à Kinshasa trois milliards de dollars et il en a reçu trente en retour… » assure un responsable qui tient à rester discret, « c’est notre province qui finance la reconstruction du pays… Voyez les péages routiers : chaque camion qui franchit la frontière à Kasumbalesa doit payer une taxe de 300 dollars, et chaque jour, ce sont 1500 camions qui se dirigent vers la Zambie et les ports de l’Océan Indien…Faites le compte… »

Moïse Katumbi, le gouverneur du Katanga, est un personnage paradoxal : chacun sait que sa flotte de camions, heureusement appelée « Hakuna Matata » (pas de problème) franchit, elle, les péages sans rien débourser, que l’homme politique est aussi un homme d’affaires avisé, qui possède des journaux à sa dévotion, une station de télévision et une fortune personnelle se chiffrant en dizaines de millions de dollars. 

Mais nul ne lui en tient rigueur, bien au contraire : « puisqu’il est déjà riche, il ne volera plus » disent les uns, tandis que d’autres soulignent combien « Moïse » est un homme charismatique, qui adore les bains de foule et sait se montrer généreux. 

Et tous les Lushois (habitants de Lubumbashi) de nous montrer avec fierté la route de l’aéroport, élargie et asphaltée de neuf, le robot « made in RDC » qui, comme à Kinshasa règle la circulation du centre ville, les lotissements de luxe qui, du côté du Golf ou de l’hôtel Karavia, abritent des nouveaux riches…

En outre, le gouverneur est le « patron » de l’équipe de football locale, le Tout Puissant Mazembe, l’une des plus redoutables du continent. Aujourd’hui, en plus d’une aura qui dépasse largement les frontières de sa province, Moïse Katumbi apparaît comme une victime : alors qu’il séjourne à l’étranger depuis deux mois, entre autres à Londres, toutes les sources « bien informées » assurent qu’il aurait été empoisonné et que ses relations sont exécrables avec le président Kabila depuis qu’il aurait exprimé son opposition à tout changement de constitution…

Hier membre de la majorité présidentielle à la tête de son parti, « Solidarité katangaise pour la démocratie et le développement » Me Muyambo nous reçoit dans une luxueuse villa qui domine un parking où sont alignées des Hummer et autres 4x4de luxe. 

Passé à l’opposition, le bâtonnier se dit « hostile à l’idée d’un troisième mandat présidentiel. Il est certain que le changement de la Constitution provoquera des troubles au Congo : la population, au Katanga comme ailleurs, dit non. » 

Selon lui, dans la perspectives de prochaines contestations, le pouvoir se durcit : « alors que j’avais affrété un avion privé pour pouvoir aller tenir un meeting à Mbuji Mayi, au Kasaï oriental, c’est le Ministre de l’Intérieur lui-même qui, depuis Kinshasa, a ordonné à l’appareil de faire demi-tour. »

Le désaveu de l’avocat est partagé par l’opinion : alors que le Katanga est considéré comme le fief électoral, la « base » du président Kabila , nous n’y avons rencontré personne, ni dans la rue ni dans les milieux intellectuels, qui soutienne l’idée d’une reconduction du chef de l’Etat après 2016. 

Pourquoi ? 

Ici aussi, la formule magique revient « de combien est ma part ? » et chacun, exemples ou rumeurs à l’appui, énumère les propriétés du « chef » et de sa famille dans la province : une ferme sur la route de Kasumbalesa, l’acquisition d’un domaine de 26.000 hectares à proximité de la réserve naturelle des Kundelungu, la transformation d’Ankoro, lieu d’origine de la famille Kabila, en « petit Gbadolite » katangais doté d’un aéroport flambant neuf, des participations dans les innombrables stations service qui ponctuent chaque carrefour de Lubumbashi. 

Tenues par des Somaliens, elles fournissent le carburant des véhicules privés mais aussi des innombrables groupes électrogènes qui tentent de compenser les coupures d’électricité et autres délestages quotidiens.

Le boom minier, l’abattage des arbres, la multiplication des génératrices sont en passe de modifier le climat généralement tempéré de Lubumbashi, située à 800 mètres d’altitude : en pleine saison des pluies, le thermomètre est monté à 42 degrés. 

Sur le plan politique, la capitale du cuivre est tout aussi chaude : chacun assure que s’il devait s’avérer que « Moïse » a bel et bien été empoisonné, les explosions de colère seront inévitables. « Le Burkina, ce sera ici », proclame un étudiant, taximan à ses heures…
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Le carnet de Colette Braeckman

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