lundi 9 mars 2015

Le panafricanisme est-il encore utile?

02/03/2015

Les Henry Sylvester William, George Padmore, Lionel Cyril James (Trinidad), Joseph Anténor Firmin (Haïti), Marcus Garvey (Jamaïque), Edward Blyden (les Ȋles vierges des Usa), William Du Bois (Usa), initiateurs du mouvement panafricain et les Africains Jomo Kenyatta, Hastings Kamuzu Banda, Nnamdi Azikiwe, Kwame Nkrumah, Haïlé Sélassié, Ahmed Sékou Touré, Gamal Abdel Nasser, Modibo Keïta, Julius Nyerere, Amilcar Cabral, Ruben Um Nyobè, Barthélemy Boganda, Sylvanus Olympio, Patrice Lumumba, Kenneth Kaunda, Cheikh Anta Diop et Alioune Diop…, que voulaient-ils pour les Noirs d'Afrique et de la diaspora? 


Comment concevaient-ils le panafricanisme ? Ont-ils appliqué ce qu'ils ont prêché? 

Si oui, quels sont leurs réussites et échecs? Enfin, le panafricanisme est-il encore utile? 

Telles sont les questions que le présent article tentera d'examiner.


I/ Le panafricanisme selon Garvey, Padmore, Nkrumah et alii

Dans "panafricanisme" il y a le préfixe grec "pan" qui signifie "tout" et "Afrique", mot qui proviendrait du terme berbère "avrik" qui veut dire "noir". 


Appliqué au départ par les Romains aux habitants de la Tunisie, le nom "Afrique" désigne aujourd'hui un continent dont la majorité des habitants est de couleur noire. 

Pour Garvey, Padmore, Nkrumah et d'autres, le panafricanisme est non seulement une idéologie ou "une vision du monde articulée à une action sur la société" (Nkrumah) mais un mouvement dont les membres partagent une histoire commune (la traite négrière, l'esclavage et la domination), un mouvement qui prône l'unité, la solidarité entre les Noirs où qu'ils soient, l'estime de soi et la prise en charge de soi par soi-même. 

Ces thèmes occupent une place de choix dans les différents congrès organisés par les panafricanistes. Le dernier congrès de cette génération eut lieu en 1945 à Manchester (Grande-Bretagne). 

Il marque un tournant important dans le sens où le mouvement devient plus politique en demandant clairement l'accession des territoires africains à l'indépendance. Nkrumah, soutenu par Padmore, Cyril Lionel James et Garvey, s'affirme, au cours de ce congrès, comme le nouveau leader du mouvement panafricain, mouvement auquel il apportera une touche plus militante et qui, de son point de vue, devrait se montrer plus attentif aux classes populaires. 

Mais, si le Congrès de Manchester est révolutionnaire, c'est pour deux autres raisons. La première, c'est que le Congrès réclame l'abolition des lois foncières autorisant les colons blancs à prendre les terres des Africains, le droit pour les Africains de développer les ressources économiques de leur pays, la suppression de toutes les lois de discrimination raciale, la liberté de parole, d'opinion, d'association et de réunion, l'éducation obligatoire et gratuite, l'installation d'un service de santé et d'aide sociale pour tous, le droit de vote à tous les hommes et femmes de plus de 21 ans, la fin du travail forcé et l'introduction du principe de salaire égal à travail égal. 

La seconde raison, c'est que le Congrès de Manchester milite pour le respect de la souveraineté africaine. Toutes ces idées généreuses ont-elles été réalisées, une fois l'indépendance politique acquise? 

En d'autres termes, les panafricanistes sont-ils passés des discours aux actes? Si oui, qu'est-ce qui a marché et qu'est-ce qui n'a pas marché? 

II/ Succès et échecs des panafricanistes

L'une des grandes réussites des pères du panafricanisme est la création, le 25 mai 1963 à Addis-Abeba (Éthiopie), de l'OUA qui deviendra, en 2002 à Durban (Afrique du Sud), l'Union africaine. 


Pourquoi l'Éthiopie fut-elle choisie ? 

Parce que les troupes de l'empereur Ménélik, aidées par l'Érythrée, avaient défait en 1896 l'armée italienne lors de la bataille d'Adoua, au cœur de la région du Tigré (au Nord de l'Éthiopie). 

Pour Nkrumah et d'autres, l'Éthiopie était donc un puissant symbole: symbole d'une Afrique résistante et victorieuse, symbole d'une Afrique qui devient plus forte quand elle met ses forces ensemble. 

Qu'est-ce que l'organisation panafricaine, installée dans la capitale éthiopienne, a apporté aux Africains en termes de prise en main de leur destin, de mise en place de structures leur permettant de concevoir et d'agir librement? 

Qu'a-t-elle fait pour que les Africains et les Noirs de la diaspora se connaissent mieux, se rencontrent, réfléchissent et travaillent ensemble? 

Bref, l'OUA, puis l'UA ont-elles amélioré le sort du Noir au plan social, économique, culturel et politique? 

Voici la réponse donnée en janvier 2013 par Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, présidente de la Commission de l'Union africaine :"Si nous nous retournons sur ces cinquante dernières années, nous devons nous souvenir que notre première priorité était d'obtenir l'indépendance politique et d'éradiquer le régime de l'apartheid. Notre continent s'est rassemblé autour de ces causes, a consenti des sacrifices et a mutualisé ses ressources et ses efforts dans un élan de solidarité des mouvements anticoloniaux et de libération. Sous le leadership de l'Organisation de l'Unité africaine, l'Afrique a fait front uni sur ces questions, a émis un message clair et a parlé d'une seule voix. Cette unité d'objectif et d'esprit de sacrifice et de solidarité du continent, qui a amplifié les efforts des mouvements de libération, a conduit à la décolonisation et au démantèlement de l'Apartheid."

De cette "unité d'objectif et d'esprit de sacrifice" nacquirent quelques institutions et réalisations telles que la BAD (Banque africaine de développement) créée en 1964, la compagnie aérienne Air Afrique qui fonctionna du 15 octobre 1961 au 27 avril 2002, l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UÉMOA) la BCÉAO (Banque centrale des États d'Afrique occidentale), la BÉAC (Banque des États de l'Afrique centrale), la CÉDÉAO (communauté économique des États d'Afrique occidentale), l'UDÉAC (Union douanière économique d'Afrique centrale), l'OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle) dont le siège se trouve à Yaoundé.

En ce qui concerne la culture, il y eut le premier congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne (Paris) en 1956, le second congrès des écrivains et artistes noirs à Rome en 1959, le premier Festival mondial des Arts nègres à Dakar en avril 1966, le Festival panafricain d'Alger en juillet 1969, le second Festival mondial des Arts et de la Culture nègres et africains qui réunit plus de 700 personnes à Lagos en 1977 (Nigeria) autour du thème "Civilisation noire et éducation", l'élaboration et la publication d'une Histoire générale de l'Afrique sous le patronage de l'UNESCO et sous la direction de Ki-Zerbo, Djibril Tamsir Niane, Christophe Wondji, Ali Mazrui, Boahen et autres, la Semaine du Cinéma africain en 1969, qui deviendra 3 ans plus tard le Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou (FESPACO), le Festival Panafricain de Musique organisé dans les deux Congo, les conférences abritées par Brazzaville et Kinshasa en avril 1985 pour évaluer le poids du 19e siècle sur le devenir de l'Afrique et déterminer les choix politiques les plus indiqués en vue de son développement.

Mentionnons aussi les voyages effectués par plusieurs Haïtiens, Martiniquais, Guadeloupéens et Afro-Américains en Afrique, notamment au Bénin, au Ghana, au Kenya, au Sénégal et en Éthiopie avant et après la sortie du film "Racines" d'Alex Haley.

Ces exemples ne sont pas exhaustifs, tant s'en faut. D'autres structures, événements et initiatives mériteraient de figurer sur la liste des actions menées par les panafricanistes pour concrétiser l'unité qu'ils appelaient de tous leurs vœux. Une unité qui, à en croire Nkrumah, devait se construire par étapes. 


Il proposait, par exemple, l'adoption d'une constitution "à l'intention des États qui accepteraient de constituer un noyau, en laissant la porte ouverte à tous ceux qui désireraient se fédérer ou obtiendraient la liberté qui leur permettrait de le faire". Cette constitution "pourrait être amendable à n'importe quel moment où l'ensemble de l'opinion le jugerait bon". Le premier président ghanéen ajoute: "Peut-être pourrait-on donner une expression concrète à nos idées actuelles en instituant un parlement continental à deux chambres, dont l'une représenterait la population et discuterait des nombreux problèmes auxquels l'Afrique doit faire face, et l'autre, qui assurerait l'égalité des États, sans considération de taille ni de population, chacun d'eux y envoyant le même nombre de délégués, formulerait une politique commune dans tous les domaines qui concernent la sécurité, la défense et le développement de l'Afrique."

Un parlement continental à deux chambres? L'Afrique n'a pas encore réussi à le faire, pas plus qu'elle n'a réussi à se doter d'une armée commune, d'une monnaie commune, d'une langue africaine commune, d'un passeport commun ou d'une Cour de justice. 


Pourquoi en est-il ainsi? Pourquoi le panafricanisme échoua-t-il sur certains points? Je crois que les Occidentaux, qui ne voyaient pas le panafricanisme d'un bon œil, voulaient soit le voir mourir le plus vite possible, soit le récupérer, c'est-à-dire l'amener à servir les intérês de l'Occident. 

Pour cela, il fallait d'abord infiltrer toutes ses structures, ensuite les financer ou les subventionner, toutes choses qui auraient pu être évitées si chaque État africain s'acquittait de ses cotisations. 

La leçon que l'on pourrait tirer ici, c'est que les dirigeants africains, qui sont arrivés au pouvoir après les Nkrumah et Nyerere, avaient d'autres préoccupations que l'honneur, la dignité, la liberté du Noir et la prise en main de son destin par lui-même car comment comprendre que plusieurs d'entre eux soient plus nombreux aux sommets franco-africains qu'à ceux de l'UA, de la CÉDÉAO ou de la CÉÉAC? 

Comment comprendre que leur premier réflexe soit de faire appel à la France ou à l'ONU dès qu'un conflit ou une guerre éclate dans tel ou tel pays africain? 

Comment comprendre que les attentats de Paris contre le journal satirique français Charlie Hebdo les émeuvent plus que les tueries massives commises au Nigeria, en Côte d'Ivoire et en RDC? 

Comment comprendre qu'ils trouvent normal que les institutions africaines soient financées jusqu'à maintenant par l'Union européenne? 

Comment comprendre qu'ils n'aient pas été suffisamment solidaires de Mouammar Kadhafi qui, en plus d'avoir aidé nombre de pays africains, ne rêvait que d'une chose: contribuer à rendre l'Afrique plus autonome? 

Comment comprendre que, hormis Abdoulaye Wade, les chefs d'État africains se soient peu mobilisés après que la République d'Haïti fut dévastée en janvier 2010 par un tremblement de terre? 

Pour moi, de tels comportements ne peuvent s'expliquer que par le fait qu'un bon nombre de présidents africains préfèrent "dormir sur la natte des autres plutôt que sur leur propre natte", tendre continuellement la sébile à l'Occident, oubliant que celui qui donne est toujours enclin à ordonner, c'est-à-dire à imposer ses vues à celui qui reçoit. 

Et, si certains Africains préfèrent la natte du Blanc à leur propre natte, nourrissent un stupide complexe d'infériorité à l'égard du Blanc, pensent que les choses de ce dernier ont plus de valeur que celles du Noir, c'est parce qu'ils souffrent de ce que Cheikh Anta Diop (1923-1986) a appelé "l'aliénation mentale". 

Fanon parle, lui, de "dépersonnalisation" et estime que la colonisation est responsable de cette dépersonnalisation. Pour Carlos Lopes, l'une des conséquences de cette "aliénation" ou "dépersonnalisation", c'est que,"en dépit de l'optimisme affiché à l'époque [1963], l'Afrique n'est pas parvenue à achever le cycle de transformation, contrairement à l'Asie qui, dans une large mesure, l'a bouclé aujourd'hui". 

Lopes poursuit: "Si la part de l'Asie de l'Est dans les exportations mondiales est passée de 2, 25 % à 17, 8 % sur une période de 40 ans (de 1970 à 2010), celle de l'Afrique a, en revanche, marqué un net recul, passant de 4, 99 % au niveau actuel de 3, 33%." 

Notre incapacité à transformer ce que nous produisons: voilà une anomalie que nous devons corriger le plus vite possible. Comme le souligne Paul Daniel Bekima,"il serait avisé d'avoir un objectif plus ambitieux, celui de contrôler nos ressources depuis la phase de l'exploration jusqu'à celui de la distribution, et pour cela il est nécessaire de bâtir des universités régionales ayant pour mission la maîtrise des connaissances nécessaires dans l'exploitation de nos matières premières... 

Ces institutions devraient nous permettre de résoudre deux problèmes: 

1) celui de la transformation sur place de nos matières premières qui doit être une priorité. 

2) Nous garantir que nous aurons toujours, sous la main, les ressources humaines locales et compétentes nécessaires à notre politique des matières premières." 

À quoi peut-on attribuer le fait de vendre à vil prix nos matières premières sans jamais exiger des acheteurs qu'ils nous fournissent les moyens de transformer ces matières premières sur place, si ce n'est à notre légèreté?

C'est la même légèreté qui nous pousse à acheter des maisons ou châteaux et à ouvrir des comptes bancaires en Suisse ou ailleurs en Europe avec les deniers publics au lieu d'investir sur le continent africain et d'y créer des emplois pour les nombreux diplômés qui sortent chaque année des universités et grandes écoles. 


Nous ne pouvons pas prétendre aimer l'Afrique, nous ne pouvons pas parler de renaissance africaine et continuer à agir de la sorte. Est venu le moment d'imiter l'exemple du Nigérian Aliko Dangoté dont la compagnie, Dangote Group, opère dans plusieurs pays africains. 

Les Africains, qui se sont enrichis honnêtement ou frauduleusement, devraient se lancer dans l'industrialisation du continent comme Dangoté qui a déjà construit une raffinerie de sucre et une usine d'emballage au Nigeria pour les pâtes alimentaires et a commencé à installer des cimenteries en Afrique du Sud, en Zambie, en Éthiopie, au Sénégal, au Mozambique et au Cameroun. 

Le cas Dangoté est la preuve que le retard que nous avons pris dans la transformation de nos matières premières n'est pas un problème insurmountable, que nous ne sommes pas condamnés à vivre à la périphérie ou aux marges de l'Histoire. 

Devant les malheurs et les souffrances qui accablent notre continent, la tentation est grande de désespérer de l'homme noir et de l'Afrique, de penser que le panafricanisme n'est plus d'actualité. Non, le panafricanisme n'est pas dépassé. 

Lorsque Sékou Touré choisit en 1958 de sortir de l'empire colonial français, la France prit des mesures de rétorsion contre la Guinée. Environ 3000 Français quittèrent ce pays après avoir détruit tout ce qui ne pouvait être emporté par eux. 

Plusieurs nationalistes ou souverainistes africains parmi lesquels David Diop, Joseph Ki-Zerbo et Harris Memel-Fotê se mirent spontanément à la disposition de Sékou Touré pour l'aider à faire marcher le pays. 57 ans plus tard, en envoyant des soldats combattre Boko Haram au Cameroun, le Tchad d'Idriss Déby et le Niger de Mahamadou Issoufou sont en train de témoigner de la même solidarité et de nous dire que, si les Africains le veulent, ils peuvent unir leurs forces et déplacer des montagnes. 

Les pères du panafricanisme n'ont jamais prêché autre chose. C'est pourquoi nous pensons que l'Afrique a encore besoin du panafricanisme. 

III/ L'Afrique a encore besoin du panafricanisme

Ce serait une grave erreur de ne plus croire en l'Afrique. Nous n'avons pas le droit de rejoindre le camp des Afro-pessimistes. 


Notre camp est celui des Afro-optimistes comme Ben Okri qui, dans son essai Ways of Being Free, écrit: "Ils me disent que la nature veut la survie des plus forts. Et ils observent de merveilleux poissons dorés évoluer entre les rochers silencieux des fonds de l'océan, pendant que les requins sillonnent les eaux dans leurs rêves inatteignables de domination océanique et alors que les baleines disparaissent." 

Le poète Nigérian poursuit: "Combien de papillons et d'iguanes prospèrent alors que les éléphants s'éteignent et que même les lions feulent dans une solitude toujours plus grande." 

Okri conclut par cette phrase que j'aime bien: "Il n'y a pas de peuple impuissant. Il n'y a que ceux qui n'ont pas vu et pas mis en action leur force et leur volonté. Ce serait peut-être un exploit inespéré à certains yeux, mais ceux qu'on sous-estime peuvent tout à fait contribuer à l'avènement d'une nouvelle ère de l'histoire humaine. Un nouvel élan doit venir de ceux qui souffrent le plus, et qui sont le plus attachés à la vie."

Robert Mugabe nommé président de l'Union Africaine.

Les Africains ont perdu confiance en eux-mêmes, sont devenus la risée du monde, se sont repliés chacun sur son ethnie parce que, à l'exception de Thomas Sankara, les dirigeants qui ont succédé à la génération des Nkrumah, Lumumba et Nasser s'est écartée des valeurs et intuitions des pères du panafricanisme. 


Aliénés, complexés, corrompus et incapables de voir grand et loin, les dirigeants que nous avons eus ces 3 dernières décennies cherchent à plaire à l'Occident plutôt qu'à l'Afrique. 

Ce qui les intéresse, ce n'est pas donner à l'Afrique les moyens de devenir plus forte et plus maîtresse de son destin mais se mettre au service de ceux qui pillent les richesses du continent tout en méprisant l'homme noir. 

Si Afrique Media, Cameroonvoice.com et d'autres médias africains jouent indéniablement un rôle capital dans l'éveil des consciences africaines, nous ne renverserons vraiment la vapeur, ne renouerons avec les valeurs du panafricanisme, ne regagnerons le respect et la considération des autres peuples que si nous sommes dirigés par des panafricanistes convaincus et acquis à la cause de l'homme noir. 

C'est la raison pour laquelle je me réjouis personnellement de l'arrivée de Robert Mugabe à la tête de l'Union africaine. 

Pour mémoire, le président zimbabwéen est un des héros de la lutte pour l'indépendance contre le régime ségrégationniste et liberticide qui dirigeait la Rhodésie du Sud d'alors. 

Avec d'autres nationalistes comme Joshua Nkomo, il mit fin en 1980 à la colonisation britannique. 

Ce n'est pas ce Mugabe-là qui pourrait être effrayé ou impressionné par les Cameron, Hollande et autres dirigeants occidentaux qui n'étaient rien quand lui, Mugabe, se battait pour son pays. 

Ce n'est pas un tel homme qui rampera ou s'agenouillera facilement devant l'Occident. Parce qu'il incarne cette Afrique libre et digne, le nouveau président de l'UA mérite d'être soutenu dans son projet de retirer l'Afrique de la Cour pénale internationale. 

Les Africains doivent sortir de cette cour parce qu'elle est raciste, partiale et au service de l'Occident; ils doivent suivre l'exemple de Césaire qui, choqué par le refus du Parti communiste français (PCF) de condamner les crimes et les méthodes de Staline, démissionna en 1956 de ce parti en adressant une lettre au secrétaire général du PCF. 

En un mot, Mugabe est un insoumis et cette insoumission est l'une des choses qu'il a en commun avec Césaire mais également avec Laurent Gbagbo qui dans son message du 6 décembre 2014 au peuple ivoirien faisait remarquer que "s'aplatir ou se soumettre, sous prétexte que la soumission peut adoucir les cœurs de ceux qui sont en face de nous, n'a jamais payé dans le monde". 

Ce n'est donc pas un hasard si plusieurs centaines d'Ivoiriens, d'Africains et d'Afro-Américains se retrouvèrent le 26 septembre 2012 devant le siège de l'ONU pour exprimer leur soutien et leur attachement à Robert Mugabe et à Laurent Gbagbo considérés par eux comme des panafricanistes prêts à sacrifier leur vie pour le respect de la souveraineté des peuples noirs. 

Se soumettre à ceux qui veulent nous voir à la traîne ou bien leur résister? Je ne sais pas quel choix chacun de nous fera. Je sais seulement avec Ki-Zerbo que, "si nous nous couchons, nous sommes morts".

Avant la création de l'OUA, deux camps s'affrontaient: d'un côté, on avait les partisans du fédéralisme (groupe de Casablanca) conduits par Kwame Nkrumah; de l'autre, il y avait ceux qui étaient pour une "Afrique des États". 


Le second courant (groupe de Monrovia), qui avait pour leader Senghor, imposa sa vision. L'OUA devint ainsi un outil de coopération entre les États. 

Face à une Europe qui "maintient une politique de prédation sur le continent africain" (Amzat Boukari-Yabara)", le temps n'est-il pas venu d'essayer la fédération comme le préconisaient les Nkrumah, Cheikh Anta Diop et Joseph Ki-Zerbo? 

Certains feront remarquer à juste titre que tous les problèmes du continent ne disparaîtront pas automatiquement avec le fédéralisme mais, comme le note Bienvenu Okiémy, la fédération "permet de s'unir sur des projets communs (économiques, scolaires, sanitaires) par un contrat qui peut être rompu par l'une des parties en cas de désaccord". 

Pour le politologue congolais, "cette flexibilité est la condition qui permet de transcender les oppositions entre États jaloux de préserver leur souveraineté". 

Il poursuit: "Un modèle répondant à cette vision devrait transférer les compétences régaliennes de l'État au gouvernement central (rôle qui pourrait être endossé par la Commission). Chacun devrait alors contribuer financièrement pour fournir des moyens correspondant aux objectifs visés. 

Cependant, ce modèle centralisé doit répondre à la réalité du terrain. Il faut donc se diriger vers une gouvernance collégiale et une part de décentralisation. Il faut penser en termes de citoyenneté, et non d'État, et associer les populations" 

Conclusion

De Nations Nègres et Culture, un des ouvrages majeurs de Cheikh Anta Diop, Aimé Césaire disait qu'il est "le livre le plus audacieux jamais écrit par un Nègre". 


L'audace: voilà une des choses qui caractérisaient les Pères du panafricanisme dont la vision pourrait être résumée en 4 mots: unité, solidarité, compter sur ses propres forces et ne jamais courber l'échine. Cette audace et cette vision, il nous revient de les retrouver. 

Pour cela, nous devons nous débarrasser non seulement de tout faux complexe d'infériorité mais aussi de l'idée que l'Afrique francophone peut s'affranchir de l'ancienne puissance colonisatrice sans sacrifices.

Comme on peut le voir, le panafricanisme est encore utile aux Africains et aux Noirs de la diaspora. Mais le panafricanisme ne fera aucun miracle si nous continuons de penser que le Noir est maudit, que nous ne pouvons rien faire sans le Blanc et que chaque pays peut s'en sortir tout seul. 


Ce n'est pas non plus en nous arcboutant sur des micro-États, ni en nous repliant sur nos petites ethnies, que nous tiendrons tête aux pays occidentaux qui font bloc, y compris pour semer la mort et la désolation dans nos pays comme ils l'ont fait en Irak et en Libye. C'est plutôt unis que nous serons forts. 

Pour dire les choses autrement, il nous incombe aujourd'hui de concrétiser l'appel de Nkrumah, d'admettre une fois pour toutes que, si l'Afrique veut "contribuer à l'avènement d'une nouvelle ère de l'histoire humaine", elle doit s'unir, aller vers le fédéralisme continental. 

En résumé, le panafricanisme est d'une brûlante actualité parce qu'il nous appelle à "abandonner toutes les vieilles routes, celles qui ont mené à l'imposture, à la tyrannie, au crime, [parce que] nous ne voulons plus nous contenter d'assister à la politique des autres, au piétinement des autres, aux combinaisons des autres, aux rafistolages de consciences ou à la casuistique des autres". 

Et notre première tâche doit être ce que Jean Ziegler appelle "l'insurrection des consciences" qui consiste à briser "les chaînes de l'aliénation [qui] sont passées de nos pieds à nos nuques".
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Jean-Claude DJEREKE
Chercheur associé au Cerclecad, Ottawa (Canada) et enseignant à Drexel University, Philadelphie (USA)
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Cameroonvoice

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