samedi 30 octobre 2010

Dans son livre « Congo 60 » - France Debray : « La RDC a besoin de trois générations pour se remettre du choc d’une indépendance aussi mal partie »



France Debray estime que le Congo-Kinshasa d’aujourd’hui a besoin de trois générations pour se remettre du choc d’une indépendance aussi mal partie, pour se défaire de toutes les mauvaises habitudes prises.

Auteur du livre « Congo 60 », France Debray est une journaliste belge qui vit et enseigne actuellement au Luxembourg. Dans « Congo 60 » (Ed. La Renaissance du Livre, 2010), elle revient sur l’histoire complexe du Congo-Belge devenu indépendant le 30 juin 1960. En s’appuyant sur des films et des reportages d’archives réalisés par la société Belgavox, elle traite l’événement de manière journalistique, en le faisant revivre au jour le jour. Elle s’est focalisée sur la période allant de 1959 à l’après-1961 pour décrire ce temps capital de l’histoire de l’actuelle République démocratique du Congo (RDC). Les archives de la société belge Belgavox livrent maintes informations et révélations sur ce moment historique. La journaliste belge déplore le fait que « toute la politique a été achetée. On n’a pas arrêté d’acheter les politiques congolais ». Comme conséquence, « toute l’ère Mobutu va suivre ce mouvement ».

France Debray n’est pas restée indifférente face à cette situation on ne peut plus dramatique : « Cependant, il faut, à mon humble avis, deux ou trois générations pour remettre en état un pays qui a été ravagé entièrement ».

LUMUMBA, MEILLEUR HERITAGE POUR ALLER DE L’AVANT


Avant de présenter ses doléances : « Les ethnies se sont bouffées les unes les autres. Il n’y a eu aucune structure. On ne leur a rien appris. Aujourd’hui, on trouve des Congolais qui regrettent la période coloniale, parce qu’il y avait la paix. Mais en réalité, ils n’avaient aucun pouvoir. On ne peut pas sortir de la période coloniale et de ces 50 ans d’indépendance comme ça. Moi, je pense à l’assassinat de Floribert Chebeya qui date de juin dernier : c’est un relent du passé. Les Congolais ont fait des progrès. Lumumba est le meilleur héritage pour aller de l’avant. Mais le Congo-Kinshasa de 2010 panse encore les plaies du Congo de 1960 », a-t-elle fait observer.

Par ailleurs, France Debray indique, dans son ouvrage, l’état dans lequel se trouvait le Congo en 1960. Avant l’indépendance, a-t-elle rappelé, c’était l’ordre colonial qui régnait. « L’ordre colonial, ça veut dire plusieurs choses : une administration coloniale qui est extrêmement forte, qui occupe tous les emplois stratégiques. Une administration qui ne permet pas aux ethnies d’échanger entre elles. Un territoire qui est bloqué et très contrôlé avec une population autochtone qui a eu un accès à l’éducation fortement limité. La Belgique a assuré l’alphabétisation mais elle n’a pas assuré l’éducation politique. L’administration coloniale n’a jamais encouragé la formation des cadres. Il y a une sorte d’apartheid dans ce pays car les autochtones noirs sont maintenus dans une situation d’infériorité ».

ELIMINATION DE LUMUMBA


Le jour de l’indépendance, l’auteur raconte que « les leaders noirs et le premier d’entre eux, Patrice Lumumba, sont particulièrement conscients qu’il n’y pas de cadres pour remplacer les Blancs au Congo. Contrairement à tous les autres pays d’Afrique où on n’a pas empêché les Noirs de se former et de pouvoir être une élite de remplacement. Il n’y a pas d’élite noire, même au niveau politique. Il n’y a pas eu d’éducation politique. Et cette carence a été accrue en 1960 ».

A en croire la journaliste belge, lors de l’indépendance, il y a une mutinerie dans l’armée que le nouveau gouvernement ,dirigé par Lumumba, Premier ministre et ministre de la Défense, et Kasa-Vubu, au poste de président, essaie de pacifier. La Belgique autorise ses fonctionnaires à quitter le Congo et, en quelques jours, le pays se vide des cadres européens qui étaient là pour qu’il fonctionne. Résultat : on a un pays qui n’a plus de force publique, d’ossature administrative, qui n’a plus d’argent, qui est en errance. Lumumba appelle l’Organisation des Nations unies (ONU) pour le stabiliser. Mais elle ne joue pas son rôle. Les principes de Lumumba (droits de l’Homme et souveraineté de l’Etat) dérangent les Etats-Unis, la Belgique et le Katanga. Alors, ces derniers créent un cartel qui décide l’élimination de Lumumba.

« Congo 60 » est né à la fois d’une initiative personnelle de son auteur et d’une demande de l’éditeur. Ce livre est donc le fruit d’un travail collectif. « Ce n’est pas un travail de commande. Car, comme nous discutons de sujets divers, il (l’éditeur du livre) connaît mes centres d’intérêt. Avec mon éditeur, on avait envie d’aborder la question congolaise. Ce qu’on a fait, d’ailleurs. De mon côté, j’avais déjà cette idée de faire un livre sur le Congo, mais, vu à travers les actualités cinématographiques de Belgavox. Parce que je m’intéresse au sort des archives et à leur utilisation sur la question congolaise que, jadis, j’ai fort étudié. Il ne faut pas oublier que je suis Belge. Dans mon enseignement universitaire, j’ai eu des enseignants et historiens qui ont traité la question congolaise », a déclaré Mme Debray.

PAS DE SUBVENTION POUR « CONGO 60 »


Avant d’insister sur le fait qu’elle n’a reçu aucune subvention de la part des autorités congolaises pour réaliser cet ouvrage : « Certainement pas (rires) ! Pas du tout, évidemment. J’ai l’habitude de travailler dans la liberté de pensée et d’expression. Personne ne me contraint. J’ai rencontré effectivement un représentant de l’ambassade au moment de la conférence de presse, et c’est tout. On a eu un échange, et puis voilà ».

Belgavox est une société de production des news cinématographiques. Elle a un véritable monopole en Belgique sur la production de ces actualités à une époque où la plupart du public fréquentent les salles de cinéma. Donc, on peut dire que tous les Belges, et les Congolais aussi, ont vu leurs actualités relayées par les salles de cinéma. C’est là que le public recevait, en 1960, toute l’information, qui est devenue par la suite télévisuelle. Indiquant le rôle qu’a joué cette société dans la conception de son livre, France Debray a précisé que Belgavox est, en fait, la source des archives qu’elle utilise.

« Je suis partie techniquement des films 35 millimètres de l’époque. C’est un équivalent belge de Gaumont Pathé. Sauf qu’elle a filmé en permanence au Congo. Par la suite, cette société a formé la société Congovox directement au Congo, et a assuré la création de la première télévision congolaise. Belgavox a filmé l’intégralité de l’indépendance du Congo. Bon, il y a des trous, mais sur le principal de l’évènement, elle était présente tout le temps. A l’automne 1960, cette société a reçu le prix spécial de Venise pour la qualité de ses reportages sur le Congo. Elle a reçu le prix au nom de l’impartialité de ses reportages. Mais dans le livre, je précise que les reportages de Belgavox de l’époque ne sont pas impartiaux. C’est clair que c’est le dénominateur commun d’une sorte de pensée unique existant dans le gouvernement belge ».
Afrik.com / Bienvenu Ipan

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire