Écrit par Emmanuel Ngeleka Ilunga |
Mercredi, 05 Janvier 2011 |
Est-il normal d’être à la fois un « scandale géologique », et pourtant figurer parmi les pays les plus pauvres du monde ? Comment expliquer cette incurie qui a élu domicile chez-nous au point de devenir congénitale ? Est-il correct que les compagnies industrielles et armées étrangères se baladent au Congo comme en terre conquise de façon systématique ? Des têtes pensantes congolaises (politiciens, journalistes, professeurs d’université, analystes et étudiants) ont refusé de courber l’échine devant pareille fatalité. Leur but : comprendre le paradoxe, expliquer ce mélodrame sans fin qui se déroule en RDC alors que, tels des badauds, le rôle nous assigné est d’être spectateurs de notre propre destin. Leur hypothèse pour comprendre cet inexplicable ? « Ce sont les puissances occultes étrangères qui sont à la base de notre descente aux enfers ». C’est la « thèse du complot ». Sans être polémiste ni iconoclaste, j’examine avec humilité mais de lucidité aussi, le bienfondé de cette théorie si répandue. Que disent les partisans de cette thèse ? Que si le Congo est dans l’état où il se trouve, c’est puisque nous sommes victimes d’un « complot international » ourdi par les occidentaux et des puissances commerciales et industrielles, pour piller nos ressources, et nous imposer des dirigeants à leur solde, des béni oui-oui, corruptibles à souhait, afin de perpétuer nos liens de dépendance et nous appauvrir. Ces occidentaux, disent-ils, se servent notamment du président rwandais Paul Kagamé pour mettre le Congo à genoux. Et pour prouver leur assertion, ils citent les cas de Mobutu, « installé par la CIA », de LD Kabila, « marionnette des rwandais et amené par les américains », et de Joseph Kabila, « imposé par les occidentaux ». Qu’est-ce que "la thèse du complot" ? Pierre-André Taguieff, historien des idées et politologue, la définit comme « une interprétation suivant un plan concerté et orchestré secrètement par un groupe malveillant ». (L’imaginaire du complot mondial. Aspects d’un mythe moderne, Ed. Mille et une Nuits, 213 p.). Qu’est-ce que cela signifie ? Que « rien n’arrive par hasard » ; que « tout ce qui arrive est le résultat d’intention ou de volonté cachée » ; que « tout est lié mais de façon occulte » ; que « tout a été prévu et prémédité ». De façon concrète, ils disent que cette crise sans non que nous vivons jour après jour au Congo, contrairement au discours officiel « n’est pas le fait du hasard mais a été préméditée, organisée et voulue par les occidentaux, jaloux de nos ressources minières ». Ceux-ci « se servent des dirigeants corrompus qu’ils mettent à la tête des institutions pour préserver leurs intérêts et nous asservir ». Que penser de cette thèse ? Résiste-t-elle à une analyse approfondie ? 1. La thèse du "complot" ignore le fondement des relations internationales. Depuis l’époque des explorateurs ou de Léopold II à nos jours, beaucoup de choses n’ont pas changé en relations internationales. Ces courageux et intrépides hommes n’étaient pas des touristes en villégiature, blasés de froid et à la recherche du soleil africain ou d’exotisme. Derrière eux toute une structure était mise en place pour les soutenir afin qu’ils atteignent leur mission : trouver des matières premières nécessaires à l’économie occidentale, la main-d’œuvre bon marché (les esclaves), des nouvelles terres, etc. Certains ont résisté à l’assaut des colonisateurs. D’autres pas. Les derniers n’étaient pas été victimes d’un « complot ». Ils s’étaient simplement avérés faibles dans la confrontation armée qui s’ensuivait. Le perdant se soumet au vainqueur, telle est la règle en la matière. C’est hélas, ce que firent nos ancêtres. C’est aussi, hélas, notre sort aujourd’hui. A une question lui posée par JA en 2008, « Pouvez-vous vous entendre avec le Président Kagamé ?», Vital Kamerhe répondit : « Ce n’est pas une question de sentiments, mais une affaire d’intérêts ». On l’aura compris, la recherche de ses intérêts est le fondement des relations internationales. Chaque pays, y compris le nôtre, ne recherche que ses intérêts. Que nos ambassadeurs et autres officiels ne soient pas à la hauteur n’est pas la faute de l’ « extérieur » mais de nous-mêmes. Si les congolais vivant en Angola sont expulsés et maltraités sans que le gouvernement proteste, cela n’est pas la faute à l’Amérique. Que les contrats chinois signés avec le Congo soient à notre désavantage n’est pas la faute de la Chine. Ceux qui signent ces contrats empochent d’énormes commissions, c’est connu. N’y voyons pas un « complot » contre le Congo. 2. La divergence des intérêts rend difficile l’existence d’un "complot international". Mon dico définit un complot comme « un dessein secret, concerté par plusieurs personnes », ce qui suppose d’avoir les mêmes objectifs. Or les intérêts des acteurs politiques et économiques occidentaux ne sont pas les mêmes et sont souvent opposés. Un exemple : la France cherche à vendre des avions Airbus à l’Inde. Les USA veulent également y vendre des Boeing. Chacun des deux « vendeurs » cherchera à dénigrer le produit rival et à présenter sous le beau jour le sien propre. Deuxième exemple : au Rwanda les américains ont refusé de faire pression sur Kagamé malgré les flagrantes violations des droits de l’Homme alors que les français s’y étaient investis, notamment via le Juge Bruguière. Chacun de ces gouvernements répond devant ses propres électeurs et non devant un Etat tiers. Question : les intérêts de la France et les USA sont-ils les mêmes en RDC ? Mais pourquoi le seraient-ils ? 3. La thèse du "complot" minimise le rôle du leadership local. Les vautours ne volent qu’au-dessus d’un être malade et non de celui en bonne santé. Et si l’on se rend malade, ce n’est pas tant la faute aux vautours qu’à d’autres bêtes nécrophages. L’AFDL n’a pu conquérir le Congo qu’ à la suite d’une conjonction de facteurs ne dépendant nullement d’un « complot » international : l’opposition interne avait affaibli Mobutu politiquement ; la fin de la CNS sans que ses décisions soient appliquées avait convaincu plus d’uns que seule une force armée pouvait bouter Mobutu dehors ; Mobutu lui-même souffrait d’un cancer de prostate et était donc physiquement diminué ; son long règne empreint de brutalité et d’injustice avait fini par lasser et les populations souhaitaient vivement un changement de régime ; l’armée était démoralisée, divisée et mal payée ; la corruption et le climat d’affairisme au sommet de l’Etat était sans égal ; ses relations avec les pays voisins laissaient à désirer. C’est a posteriori que les « vautours » occidentaux passèrent à l’action. Autrement dit, c’est par sa faute -sa mauvaise gouvernance caractérisée- que le Marechal Mobutu a lui-même creusé sa propre tombe politique. Qu’il se soit plaint plus tard d’avoir été « poignardé par derrière » n’est qu’un réveil tardif d’un homme qui vivait sur une autre planète, loin des réalités que lui cachaient sans doute ses proches collaborateurs. Dès lors, l’affaiblissement d’un Etat a pour conséquence d’aiguiser les appétits étrangers. Ceux d’entre nos compatriotes qui vivent dans des pays organisés n’y trouveront pas des libanais ou des indo-pakistanais faisant la loi comme c’est le cas au Congo. Est-ce la faute aux occidentaux si la RDC est devenu un « paradis fiscal » pour tous les vautours du monde ? 4. La thèse du "complot" reflète le mimétisme ambiant. Y a-t-il un pays où la référence à la communauté internationale est aussi récurrente qu’au Congo ? Il n’est pas de jour où un groupuscule politique, dans son communiqué, « prend à témoin la communauté internationale ». Il y a quelques années, lors d’un colloque à l’Université de Pretoria, Afrique du Sud, un jeune étudiant me dit : « La différence majeure entre nous (sud-africains) et vous (congolais) est notre réaction face à l’injustice ou l’oppression. Nous, nous résistons, nous nous opposons, nous luttons contre l’apartheid. Vous, par contre, vous prenez vos jambes au coup et détalez pour chercher refuge ailleurs, en attendant que la communauté internationale vienne vous débarrasser du dictateur » ! Ces propos sont à peine une caricature de la réalité car il y a du vrai dedans : nous attendons beaucoup de l’extérieur. Les partisans de la thèse du « complot contre le Congo » se situeraient dans la même logique : l’extérieur est leur cible. Que la "thèse du complot " soit si répandue et que certains complots aient réellement existé, rien de plus vrai. Mais soutenir qu’il existe un « complot contre le Congo », c’est forcer un peu la note. Les causes exogènes de la crise que traverse la RDC ne constituent pas un « complot ». Emmanuel Kreis, historien des courants ésotériques modernes admet que « la crise est une période favorable à l’éclosion croissante des thèses conspirationistes ». Source: Congoone |
mercredi 5 janvier 2011
La thèse du "complot contre le Congo" : mythe ou réalité?
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