vendredi 7 janvier 2011

La vieille Françafrique est morte

Bourges Hervé

par Hervé Bourges

01/06/2011



De Gaulle définira un jour la Communauté de septembre 1958 comme « un moyen de transport des territoires africains de l’autonomie à l’indépendance ». Disparue dès 1960, cette structure politique est remplacée par une construction plus simple et plus souple, conçue à son tour comme un instrument provisoire, la coopération franco-africaine.

Les anglophones — voire certains jeunes Français et Africains francophones d’aujourd’hui — ne parviennent pas à saisir la singularité et la complexité de ces rapports franco-africains. Sans doute ne mesurent-ils pas, au-delà de la colonisation et de la décolonisation, la force du lien francophone et des amitiés qui se sont nouées entre la plupart des hommes d’État africains et français sur les bancs du Palais-Bourbon, du palais du Luxembourg, ou du château de Versailles (où l’Assemblée de l’Union française tient ses séances).


Parmi les premiers chefs d’État de l’Afrique indépendante, deux auront au préalable été ministres de la République française : Félix Houphouët-Boigny (Côte d’Ivoire), Léopold Sédar Senghor (Sénégal) et deux autres vice-présidents de l’Assemblée nationale, Modibo Keita (Mali) et Hubert Maga (Bénin, ex-Dahomey). À l’époque où les États-Unis pratiquaient l’apartheid...

Dans les premiers temps, jusqu’à la mort de Pompidou, il ne viendra à l’esprit de personne de qualifier de « clientélistes » ces relations particulières qui s’apparentent plutôt à une histoire de « copains » qu’à une entente entre « coquins ».

Le général de Gaulle donnera de l’éclat à la coopération et Jacques Foccart lui apportera une tournure familière, pour ne pas dire familiale, en s’appuyant sur des réseaux opaques... Sous le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, le clientélisme commence à se manifester comme tel, et l’interventionnisme se développe, parfois sans pudeur : en Centrafrique et aux Comores, par exemple.

Cette évolution, même si elle ne représente pas un changement considérable, va en sens inverse de ce que l’on aurait pu attendre de la fin du système Foccart. Dans les affaires africaines, la continuité gaulliste perdure bien au-delà de la disparition du président Pompidou. Elle va se prolonger à travers les alternances, fût-ce au prix d’un décalage croissant avec les réalités africaines et les évolutions du continent.

Au tout début du premier septennat du président Mitterrand, on crut à une révolution. Il annonça, dans son « discours de Cancún » — prononcé à Mexico — une politique d’inspiration tiers-mondiste. Jean-Pierre Cot, ministre de la coopération, s’efforce d’élargir son champ d’action à l’ensemble de l’Afrique, voire au vaste monde, et aussi d’introduire des leçons de morale et de démocra tie dans le discours tenu aux dirigeants africains.


 Le « discours de Cancún » restera sans suite. Dès la fin de 1982, la politique africaine de la France revient dans le droit- fil de la continuité. À la grande sa tisfaction d’un certain nombre de dirigeants du continent et des réseaux d’influence qui continueront de prospérer.
L’après-guerre froide

La redistribution des cartes en Afrique va réellement commencer le jour où de jeunes Berlinois attaqueront un célèbre mur à la pioche. Les États- Unis auront quelques années pour penser vivre dans un monde unipolaire, avant la montée en puissance de la Chine et l’irruption des pays émergents. 


Les États-Unis, unique superpuissance et décidés à le rester, entreprennent une grande « révision d’effectifs » dans leurs alliances. En Afrique, et plus particulièrement en Afrique francophone, il s’ensuivra une sérieuse remise à plat de la répartition des rôles.

Pendant la guerre froide, la charge de contenir le « péril rouge », réel ou supposé, est déléguée aux Français. Plus de rouges en vue ? Plus de péril... Vu de Washington, à moyen et long termes, l’ancienne sentinelle du « monde libre » de vient un concurrent ; peut-être un peu trop bien installé sur ce marché émergent.

La dévaluation du franc CFA, en janvier 1994, n’est sans doute que la réplique inéluctable du tremblement de terre financier des années 1970. C’est pourtant un coup terrible dans pareil contexte. Cette dévaluation fut-elle le choc fatal au rayonnement de notre pays en Afrique ? En tout cas, c’est la fin d’une époque.

Le pilotage plus qu’incertain des premiers déplacements de Nicolas Sarkozy sur le continent, une bonne décennie plus tard, laisse penser que l’Afrique n’est plus une priorité française. Ce n’est pas si simple.

Illustration dans le domaine militaire. Nicolas Sarkozy annonce l’ouverture d’une renégociation de tous les ac cords militaires français en Afrique à l’occasion d’un discours prononcé devant le Parlement sud- africain. « La France n’a pas vocation à maintenir indéfiniment des forces armées en Afrique.


L’Afrique doit prendre en charge ses problèmes de sécurité », lance-t-il. Puis : « La présence mi litaire française en Afrique repose toujours sur des accords conclus au lendemain de la décolonisation, il y a plus de cinquante ans ! Ce qui a été fait en 1960 n’a plus le même sens aujourd’hui. » Applaudissements dans l’assistance.

L’époque est révolue où Louis de Guiringaud, ministre des Affaires étrangères dans le premier gouvernement de Raymond Barre, pouvait affirmer non sans cynisme : « En Afrique, la France peut encore, avec cinq cents hommes, changer le cours de l’histoire. »

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