vendredi 7 janvier 2011

Principes pour la politique africaine de la France

par Charles Zorgbibe




Selon quels principes définir et mettre en œuvre une politique de la France envers l’Afrique ? Nous en proposerons trois — qui prennent en compte à la fois la situation de l’Afrique dans le système international et le statut postcolonial de la France, périodiquement mis en cause avec ses intérêts légitimes et ses fidélités vite suspectées. Ces trois principes pourraient être: le respect de la souveraineté des États africains, le maintien et le développement d’une communauté fraternelle avec l’Afrique francophone, la réaffirmation de la souveraineté et des intérêts de la France.


Respecter la souveraineté des États africains


La question de la souveraineté est très sensible dans l’opinion publique africaine d’aujourd’hui, probablement la question la plus sensible — et les raisons de cette extrême sensibilité ou susceptibilité peuvent être aisément discernées. Sur le temps long de l’histoire, l’Afrique a connu une triple épreuve : celle de la lutte avec une nature hostile, de la traite négrière et de la colonisation. Elle connaît aujourd’hui une triple révolution : démographique, avec une croissance exceptionnelle de sa population, politique avec l’accession aux indépendances, et dans ses rapports avec le reste du monde.


Car l’Afrique a longtemps été la grande absente de la politique mondiale — le continent « en dehors de l’histoire », selon Hegel. Un objet de l’histoire, non un acteur à part entière. Lors du grand partage politique de l’Afrique entre les puissances coloniales, à la conférence de Berlin de 1885, c’est le plénipotentiaire britannique qui relève, lors de la séance inaugurale, l’absence des Africains ; et l’ignorance des structures politiques africaines est totale alors que les nations prédatrices européennes codifient leurs futures occupations territoriales afin de prévenir tout heurt entre elles.


Avec l’accession aux indépendances, les États africains s’imposent rapidement dans le cadre de l’ONU et des institutions spécialisées, s’adaptent aux délices et aux jeux de la diplomatie parlementaire, ébranlent la majorité automatique alors acquise aux États-Unis. Mais, au plan des purs rapports de force interétatiques, la réalité est moins exaltante : la compétition se poursuit à force ouverte entre les deux superpuissances et gagne les nouveaux échiquiers du tiers-monde. 


La position stratégique de l’Afrique n’a alors d’égale que l’impuissance militaire des États africains. Aujourd’hui encore, le destin de l’Afrique de l’après-guerre froide reste incertain — entre l’emprise d’une mondialisation qui tend à la marginaliser dans l’arène économique internationale, l’appel des leaders du continent à la pleine responsabilité des Africains, à travers des initiatives telles que celle du Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, le risque de la transformation du continent en un nouveau champ de bataille militaire dans les tumultes de la guerre contre le terrorisme.


Ultime raison de la susceptibilité africaine sur la question de la souveraineté : les États africains sont des États jeunes, d’un modèle importé de l’Occident, et des États fragiles — car l’adoption du modèle occidental supposait l’adhésion au découpage interétatique imposé de l’extérieur au XIXe siècle et elle ne pouvait occulter les éventuelles discordances entre communautés humaines ou entités étatiques précoloniales.


Or, les souverainetés africaines ont été et sont ébréchées, dans leurs rapports avec les anciens colonisateurs — particulièrement avec la France, son système judiciaire, ses médias. Le discours sur le droit d’ingérence a troublé les relations franco-africaines et a obscurci la perspective d’une organisation démocratique de la « cité planétaire », de l’établissement d’un État de droit international.


Le droit d’ingérence, c’est le droit international revu et corrigé par la comtesse de Ségur, la générosité et la confusion idéologique d’une nouvelle génération d’organisations humanitaires dans une alliance intime avec les grands médias, l’obsession de la communication, une démarche antipolitique, fondée sur une neutralité incantatoire et une vision très critique et restrictive du rôle de l’État, comme s’il s’agissait de délimiter un champ humanitaire privé.


L’ancien colonisateur s’érige en redresseur de torts, ses petits juges convoquent devant leur prétoire les dirigeants africains, comme s’ils étaient toujours au joli temps des colonies, et les médias aggravent encore le débat en pourfendant avec arrogance, naïveté et une part d’ignorance les informations qu’ils peuvent recueillir sur le continent.


Le dossier est, certes, complexe. Les lendemains des indépendances ont pu faire place au désenchantement. Le combat africain pour la dignité a parfois cédé le pas à des régimes paranoïaques, à l’« Afrique du pleurer-rire avec ses bouffons sanglants » que décrit l’écrivain congolais Henri Lopes. Mais la censure politique de tels régimes doit être, dans l’idéal, le fait des peuples directement concernés, et non être imposée de l’extérieur. La soif de dignité, de respect, de considération de l’Afrique doit être entendue.


Un premier redressement a été opéré au plan international, le 11 avril 2000, lorsque le principal organe judiciaire de l’O NU, la Cour internationale de justice de La Haye, a condamné un ancien État colonisateur, la Belgique, qui prétendait délivrer un mandat d’arrêt contre le ministre des affaires étrangères du Congo-Kinshasa.


Le prétendu exercice d’une compétence universelle par les tribunaux belges, ce stade suprême judiciaire du droit d’ingérence, était sanctionné car il était sur le point de créer le chaos juridictionnel le plus total : ce serait « l’arbitraire au profit des puissants, au nom d’une communauté internationale aux contours indéterminés », soulignait le président de la Cour, le juge Gilbert Guillaume ; et le Président sénégalais, Abdoulaye Wade, esquissait une réplique en rappelant que les juges africains pouvaient, eux aussi, lancer des mandats d’arrêt contre des hommes d’État européens...


Maintenir et développer une communauté fraternelle avec l’Afrique francophone


Françafrique : le mot a été inventé par Félix Houphouët-Boigny ; il désignait l’ensemble des relations entre la France et les États africains francophones nés de l’ex-empire colonial. Le général de Gaulle (et peut- être surtout son « père Joseph », Jacques Foccart) avait eu le génie de comprendre que la décolonisation, l’accession à l’indépendance des anciens « territoires d’outre-mer » d’Afrique subsaharienne, loin d’interrompre une histoire commune, allait lui donner un nouvel élan ; il suffisait d’ouvrir aux structures quasi-étatiques nées en 1956, à la fin de la quatrième république, de la loi-cadre de Gaston Defferre, le chemin de la souveraineté internationale. Le pari gaullien a été gagné : le soutien des États africains francophones à l’Assemblée générale des Nations Unies devenait l’un des signes de l’appartenance de la France au « cercle des grands » — avec la maîtrise de l’arme nucléaire et le siège permanent au Conseil de sécurité. En outre, la France conservait ainsi facilement des parts de marché dans l’ordre économique. Les jeunes États africains étaient assurés d’une aide au développement, gérée par le ministère de la coopération, et d’une garantie contre l’agression, de par les accords de défense conclus avec l’ancien colonisateur.

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