Les arguments de la Majorité pour justifier en 2011 un scrutin présidentiel à un tour ne satisfont pas l’Eglise catholique. « Les raisons qu’on avance ne nous convainquent pas », a réagi mercredi à Kinshasa le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya. « Est-ce qu’on peut être à l’aise d’être le chef de l’Etat de 20% d’une population qui a 100% ? », s’est-il interrogé. Il invite la classe politique au respect de « l’esprit de la loi », à « réfléchir sérieusement sur cette question » et à « ne pas précipiter les choses ».
Le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya se serait-il fait piéger par les journalistes invités le mercredi 5 janvier 2011 à sa conférence de presse tenue au centre Lindonge (commune de Limete) sur le message du pape Benoît XVI du 1er janvier consacré à la « Liberté religieuse, chemin vers la paix » ?
Plutôt que d’axer leurs interrogations sur le thème du jour, les journalistes n’ont pas raté l’occasion pour le « cuisiner » sur la position de l’Eglise en rapport avec la question controversée d’un éventuel scrutin présidentiel à un seul tour.
La presse n’a donc pas raté d’avoir en live le point de vue sur le grand débat lancé depuis le début de la semaine par le gouvernement, via son porte-parole. « Les raisons qu’on avance ne nous convainquent pas. Il faut se rappeler la lettre de la loi et l’esprit de la loi. Chaque loi a un esprit. Chaque législateur, en proposant une loi, vise un esprit », a déclaré le cardinal Monsengwo.
A la question de savoir pourquoi « la Constitution a demandé que l’élection présidentielle ait deux tours », sa réponse a été sans équivoque. « Tout simplement parce que si le candidat passe à un tour automatiquement, cela veut dire qu’il peut à la rigueur passer avec 20% des voix. Et 20% des voix, ce n’est pas assez représentatif du peuple », a-t-il évalué.
De l’avis du cardinal Monsengwo, « on ne peut pas être chef de l’Etat d’un peuple qui a 100% en étant le chef (de l’Etat) de 20%. On est mal à l’aise soi-même ».
« Est-ce qu’on peut être à l’aise d’être le chef (de l’Etat) de 20% d’une population qui a 100% ? », a-t-il interrogé. « C’est ça l’esprit de la loi », a-t-il expliqué, rappelant que « c’est comme ça qu’à la Conférence nationale souveraine, on a refusé d’élire le président de la République au second degré par le Sénat et l’Assemblée nationale ».
L’argument massue avait été qu’« il faut que le président ait suffisamment d’assise dans le pays, qu’on le reconnaisse partout, qu’il ait au moins 50% plus 1 voix, c’est-à-dire 51% ».
Se refusant d’entrer « dans les raisons des hommes politiques », Monsengwo a dit « seulement que l’esprit de la loi nous invite à réfléchir sérieusement sur cette question et à ne pas précipiter les choses ».
Si la fin justifie les moyens, il a cependant condamné les « violences » survenues au premier tour de l’élection présidentielle en 2006.
« Pas de consignes de vote » de l’Eglise
Pour les élections de 2011, « l’Eglise ne donnera pas de consignes de vote qui touchent aux personnes, parce que ce n’est pas l’Eglise qui choisit », a déclaré le cardinal Laurent Monsengwo. Toutefois, a-t-il indiqué, l’Eglise va décrire le « profil » du candidat idéal.A propos des hommes politiques qui profitent des messes pour s’adresser aux chrétiens, il a dit que les enceintes des paroisses ne sont pas des tribunes politiques. « L’Eglise n’est pas un lieu de division, on ne fait pas de meetings (politiques) à l’Eglise. Les hommes politiques ont d’autres tribunes pour parler », a-t-il affirmé.
« Mais, comme il n’y a pas suffisamment de salles publiques (en RDC), on va réfléchir au problème », a promis le cardinal, bon prince.
Monsengwo dépositaire de l’Opposition ? « Non. Je ne parle pas pour l’Opposition. L’Eglise a sa mission, elle est engagée pour la paix », a-t-il répondu. Il a insisté sur le fait que « l’Eglise parle, elle dit la vérité (qui) est un défi de la démocratie », en rappelant que « la RDC a été habituée au régime Mobutu où seule l’Eglise parlait ».
« Nous attirons l’attention de tout le monde. On ne parle pas pour se placer du côté de l’Opposition. C’est à l’Opposition de prendre des positions. Il y en a qui sont au pouvoir et qui gouvernent, il y en a d’autres qui sont dans l’opposition, il y en a encore d’autres qui sont dans la Société civile. Le rôle de la Société civile est de défendre les intérêts sectoriels. C’est là que se trouve le peuple », souligne-t-il.
Pour mettre un terme aux allégations de ceux qui lui prêtent des ambitions politiques, Monsengwo a précisé : « Parce que j’ai joué un rôle politique à la Conférence nationale souveraine » dont il a été président. « Cinq millions de signatures avaient été récoltées et envoyées à Rome » à cette époque (1991-1992) pour convaincre le Pape à l’autoriser à présenter sa candidature à la présidentielle, s’est-il souvenu.
Cependant, « être prêtre, évêque, c’est plus qu’être chef de l’Etat », a-t-il affirmé. Si en 2006, l’Eglise s’était impliquée dans le processus électoral pour initier les électeurs, il n’en sera pas de même en 2011. « Désormais, aucun ecclésiaste, aucun religieux ne peut servir dans le processus des élections », a annoncé le cardinal Monsengwo, en conformité avec la décision de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO).
Il a fait remarquer que « le processus électoral est une bonne chose, c’est une valeur qu’il ne faut pas négliger », promettant que l’Eglise va « continuer à former les électeurs et monitorer les élections ».
« S’il apparaît clairement que les résultats sont faussés, nous le dirons », a averti le cardinal Laurent Monsengwo.
Mécanismes de concertation
Le cardinal Laurent Monsengwo a révélé que « les mécanismes de concertation entre l’Eglise et les autorités civiles, il y en a, il y en aura de plus en plus ». Il a exhorté les Congolais à ne « jamais avoir peur de la vérité qui nous sauve ».« Nos relations avec les autorités ne peuvent être que celles que le Pape a souhaité », celles privilégiant « la nécessité d’un dialogue entre les autorités civiles et les autorités religieuses, dans mon cas, catholiques », a-t-il dévoilé.
Pour lever toute forme d’équivoque sur le sujet, il a été plus explicite, rappelant que, dans son « principe, le dialogue est nécessaire ». Précisant, par ailleurs, que, « si du côté de l’Etat, je m’aperçois que l’Etat règne et gouverne d’après la Constitution, nous marchons ensemble. Si je vois que l’Etat s’occupe du bien commun, nous marchons ensemble. Au cas contraire, ils ne peuvent pas compter sur moi et je le leur dis ».
En ce qui concerne l’Opposition et ses propos, Monsengwo s’est voulu rassurant, se mettant dans la position de l’église au milieu du village. « Quand je parle, spécialement quand ce sont des interpellations de nature prophétique, ils visent tout le monde. Donc, quand je parle, je ne m’adresse pas directement au président de la République ou aux gouvernants, je m’adresse à tous les Congolais. Chacun doit voir dans quelle mesure il est concerné par mes propos », a-t-il fait remarquer.
Il a fait noter que « l’interpellation du Cardinal ou de tout évêque a pour mission d’appeler les gens à la conversion. Et la conversion n’est pas réservée à un groupe. La conversion est le sens même de la prédication évangélique ».
A son avis, le problème se pose au niveau de la compréhension de ses propos. Plutôt que de s’interroger sur ce que « l’évêque a voulu dire », certains se complaisent à supputer : « il a dit ceci, il n’a pas dit ceci … ».
« Ça fait 30 ans que j’adresse des messages. Cette année, j’ai voulu insister sur la corruption … Mon message s’adresse à tout le monde », s’est-il défendu.
Pas de guéguerre des religions en RDC
Quand certains prédisent une guerre de religions, Monsengwo joue à l’apaisement. A ce propos, il a rappelé avoir organisé, il y a deux ans, une conférence sur le dialogue islamo-chrétien. « Nos musulmans congolais ne sont pas agressifs, ils sont plutôt charitables. Avec les églises du réveil, on ne se chamaille pas, pourvu que le Christ soit annoncé. Nous nous retrouvons quelque part. Les sectes, aujourd’hui églises du réveil, il y en avait déjà au début du 2ème siècle. St Georges et St Pierre en parlaient déjà (…). Il ne faut pas commencer une guerre de religions. Il ne faut pas instrumentaliser les religions. L’identité chrétienne est donnée comme un plan pastoral afin que chacun dans sa vie voit si oui ou non son témoignage est chrétien », a relevé le cardinal.Kengo, « un ami »
Interrogé sur ses relations avec M. Léon Kengo wa Dondo, président du Sénat, le cardinal Monsengwo a affirmé que « Kengo est un ami, il l’était avant qu’il ne soit Premier ministre. J’en ai tant d’autres ».« Nous sommes amis avant la CNS (démarrée en 1991, ndlr). Jean Monsengwo et Dominique, qui sont mes cousins, étaient ses amis. Mais, je n’aime pas mêler mes amitiés à la politique », a-t-il signalé.
La visite de Tshisekedi
Se formerait-il un axe Monsengwo-Tshisekedi ? Le cardinal n’est pas de cet avis. Il l’a d’ailleurs souligné en des termes clairs. « A ma grande surprise, on n’a pas parlé politique avec M. Tshisekedi, on n’a pas touché à la politique », a répondu le cardinal Monsengwo, à une question relative à son dernier entretien avec le président de l’UDPS.« Sauf une question sur le congrès de l’UDPS », a-t-il dit, se souvenant avoir demandé à son illustre visiteur « si tout s’était bien passé ».
Ne pas instrumentaliser la liberté religieuse
Outre le détour sur les questions d’actualité, l’essentiel de la conférence de presse du cardinal Laurent Monsengwo a porté sur le message que le pape Benoît XVI a adressé le 1er janvier 2011 aux hommes de bonne volonté à l’occasion de la 44ème Journée mondiale de la paix sur la « liberté religieuse, chemin vers la paix ».Il a cité le Saint Père disant que « c’est dans la liberté religieuse que se trouve l’expression de la spécificité de la personne humaine, qui peut ainsi ordonner sa vie personnelle et sociale selon Dieu », soulignant que « l’instrumentalisation de la liberté religieuse pour masquer des intérêts occultes comme par exemple la subversion de l’ordre établi, l’accaparement des ressources ou le maintien du pouvoir de la part d’un groupe peut provoquer des dommages énormes aux sociétés », a-t-il averti.
Légende
Nos relations avec les autorités ne peuvent être que celles privilégiant la nécessité d’un dialogue entre les autorités civiles et les autorités religieuses.Le Potentiel
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