mardi 4 décembre 2012

A Goma, le retrait des rebelles ne résout pas la crise




ANALYSE. Dans les rues de Goma, des policiers règlent désormais la circulation à grands coups de sifflet.

Ce sifflet est leur seule arme visible, mais la « police de roulage » est l’une des premières manifestations du retour des autorités loyalistes de la République démocratique du Congo (RDC) dans la ville de l’est du pays, depuis le départ, samedi 1er décembre, des forces rebelles du M23, avec leurs armes, leur butin et leur administration.

Lundi 3 décembre, des responsables congolais (dont le ministre de l’intérieur) et un bataillon de l’armée régulière devaient arriver à Goma pour mettre fin à cette période de flottement, où personne n’était certain de savoir qui contrôlait la ville.

Grâce aux merveilles de l’autorégulation de la population, le départ des rebelles n’a donné lieu à aucune scène de pillages généralisés, hormis ceux dont se sont rendus coupables les hommes en uniforme des deux camps.

Les premiers éléments de la Police nationale congolaise (PNC) étaient arrivés samedi, entassés à bord d’un bac rouillé qui avait abordé au port de Goma, en provenance de Bukavu.

Il leur avait fallu patienter une journée entière avant de débarquer, tandis que les rebelles quittaient la ville par l’autre extrémité, dans une longue colonne de camions et de voitures volées les jours précédents.

La dernière impression laissée à Goma par le M23 tient dans cette contradiction : un mélange d’ordre, au niveau militaire, et la main lourde sur les cambriolages, auxquels l’agence locale de la Banque centrale a échappé, faute des clefs et des codes pour ouvrir son coffre.

A son arrivée, le M23 avait pourtant tout mis en oeuvre pour tenir ses troupes etfaire régner l’ordre, faisant passer un avertissement aux petits voleurs de la ville, dont les 1 150 détenus de la prison, libérés par les Forces armées de République du Congo (FARDC) avant leur départ : « Un délit, une balle. »

Cela n’a pas empêché les passages de rebelles dans les maisons de responsables loyalistes et le pillage de certaines administrations. De leur côté, les FARDC ont abondamment pillé les zones vers lesquelles elles se sont repliées, au sud de Goma.

RETRAIT DU M23 EN ÉCHANGE DE NÉGOCIATIONS À KINSHASA

Dans la prise de la ville, on ne distingue guère de gagnants. Les FARDC ont été battues une première fois au nord de la ville, au début de l’offensive rebelle, le 15 novembre, avant de perdre la capitale provinciale cinq jours plus tard. La contre-offensive loyaliste n’a pas eu lieu, donnant l’impression que les forces rebelles dominent le terrain.

Sans doute le M23 avait-il atteint la limite de déploiement de ses deux à trois mille hommes. Mais ce n’est pas la raison de leur départ de Goma, après onze jours de présence en ville, selon les termes d’un accord signé en Ouganda par les pays de la région une semaine plus tôt, qui prévoit le retrait du M23 en échange de l’ouverture de négociations à Kinshasa.

Il a fallu plusieurs jours de tractations pour que le M23 consente à organiser le repli de ses troupes en direction de la zone mal définie où il doit à présent être cantonné, à vingt kilomètres de Goma. Au passage, le mouvement a montré deux choses.

D’abord, l’existence de divisions entre les partisans du chef d’état-major général du mouvement – le général Sultani Makenga, qui fait désormais l’objet de sanctions des Etats-Unis et de l’ONU – et les officiers proches de Bosco Ntaganda, qui vit caché et fait l’objet d’un mandat de la Cour pénale internationale (CPI). Ces derniers s’opposaient au retrait.

Les derniers jours ont aussi mis en évidence des réticences du M23 à obéir aux injonctions du Rwanda voisin. L’influence de Kigali est cruciale pour le M23, mais la volonté d’indépendance d’une partie des responsables rebelles n’en est pas moins réelle.

C’est cependant la voix de Kigali qui l’a emporté. « On s’en va parce que nos partenaires nous l’ont demandé », commentait, avec dépit, un cadre du mouvement avant de quitter Goma.

Le M23, au final, a quitté la ville parce que d’importantes pressions ont été exercées sur le Rwanda, dont l’implication dans cette nouvelle rébellion congolaise a été mise en évidence par des rapports d’experts des Nations unies et confirmée par des enquêtes réalisées par plusieurs pays, dont la Grande-Bretagne et laBelgique.

« KABILA A QUARANTE-HUIT HEURES POUR SIGNER UN CESSEZ-LE-FEU »

La prise de Goma s’inscrivait dans la tentative de briser par une avancée militaire l’étouffement diplomatique de la rébellion et de ses parrains, le Rwanda et l’Ouganda.

Mais une fois en ville, transiger était indispensable. C’est donc à l’extérieur du Congo que le sort de Goma a été scellé, en raison des « fortes pressions diplomatiques » exercées, notamment par les Etats-Unis, comme le relève un analyste d’International Crisis Group (ICG), qui s’exprime de manière anonyme en raison de menaces exercées sur l’un de ses collègues.

La Grande-Bretagne vient d’annoncer le gel d’une tranche d’aide au Rwanda de 21 millions delivres. Kigali est loin d’être marginalisé, mais l’effet des enquêtes de l’ONU se faitsentir.

Alors, comme le résume Jason Stearns, analyste au Rift Valley Institute (RVI), « la façon dont la question de Goma a été gérée a permis au Rwanda d’apparaître comme une solution. La démonstration est faite que, sans le Rwanda, il n’y aura pas de paix dans la région ».

Mais la mise en application du retrait ne signifie pas la fin de la crise. Techniquement, le M23 sort renforcé de l’épisode.

Ses combattants ont fait la démonstration de leurs capacités (avec un appui ponctuel de l’armée rwandaise, selon les Nations unies) à balayer les FARDC. A Goma, ils se sont aussi emparés d’un important stock d’armes, que les forces loyalistes avaient abandonnées dans leur fuite.

A présent, deux solutions s’offrent à eux. La première consiste à obtenir de Kinshasa des postes pour les militaires et pour les politiques.

Mais la nomination de ministres et de généraux issus de la rébellion serait un signal désastreux. Et pour tous les groupes armés qui pullulent à nouveau, cela constituerait une invitation à capitaliser sur le chaos.

De plus, le M23 n’a pas abandonné les armes. Comme l’assure une source au sein du mouvement, l’objectif de ses forces est à présent de s’installer sur des« collines stratégiques » proches de la ville de Goma, et peu importe si la distance de 20 km prévue par l’accord de Kampala est scrupuleusement respectée.« Personne ne viendra pour mesurer », assure la même source.

Stanislas Baleke, un des responsables politiques du mouvement joint par téléphone dans les environs de Rutshuru, la petite ville qui fait de nouveau office de « capitale » des rebelles du M23, met en garde : « En quittant Goma, nous avons mis Kabila devant ses responsabilités.

Nous lui avons donné quarante-huit heures pour signer un cessez-le-feu et mettre sur pied un calendrier de négociations clair. » Cet ultimatum expirait lundi 3 décembre.

le Monde.fr

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