samedi 29 décembre 2012

La RCA, un casse-tête pour Hollande

jeudi 27 décembre 2012

 
Depuis l’époque de Bokassa, en République centrafricaine (RCA), le temps semble s’être arrêté. Tous les régimes successifs, y compris celui croulant de François Bozizé, ont réussi l’exploit d’installer le peuple centrafricain dans le régime de la déceptivité permanente.

Pourtant, ce petit pays regorge d’immenses ressources (or, diamant, pétrole, bois, coton) qui n’ont guère profité à son peuple, plongé dans une misère indescriptible. A l’heure où, une fois de plus, dans sa tragique histoire, la voix des armes semble plus audible que celle du dialogue politique, le peuple centrafricain ignore tout de ce qui se trame sur sa tête, entre Paris, Ndjamena et Bangui.

Exaspérés, démunis, impuissants, une partie des Centrafricains réclament à cor et à cri l’intervention militaire de la France pour arrêter la ballade de santé d’une rébellion disposant de soutiens extérieurs, encore indéchiffrables.

Qui se cache derrière ces rebelles ?

Quoi qu’il en soit, François Hollande dont l’expérience africaine semble vierge, est attendu au tournant avec cette patate chaude centrafricaine. Le bourbier centrafricain sera-t-il, paradoxalement, le laboratoire de la nouvelle politique africaine de Hollande ? Il n’a pas le choix.

Souvenons-nous que lors du 14e sommet de la Francophonie à Kinshasa, il avait affirmé, face à la presse, qu’il sera exigeant avec l’Afrique parce que, disait-il, il aimait l’Afrique. Comme pour dire, qui aime bien châtie bien. Et il ajoutait d’un ton ferme : « La démocratie ne se négocie pas ». Certes, on connaît la sensibilité des militants et sympathisants socialistes français sur la question des droits de l’Homme et de la démocratie.

Et l’on sait également la mauvaise conscience qui agite la gauche française, après les errements et le doute moral de la politique mitterrandienne au Rwanda. Mais, Hollande a l’avantage d’être un homme neuf.

Contrairement à Nicolas Sarkozy qui avait ce don inné de crisper et de susciter des passions inutiles, Hollande jouit d’une image favorable sur le continent. Cependant, en matière de politique africaine, en France, gauche et droite n’ont jamais brillé par leur créativité et leur imagination.

Mais droite et gauche prônent, depuis la présidence de Chirac, une refondation de la politique africaine de la France. S’agissant de son dispositif militaire sur le continent, notamment dans les pays dits du champ ou « pré-carré », la France a engagé avec eux des processus de renégociation de ses accords de défense et de sécurité.

Rappelons tout de même que cette renégociation est plus subie que voulue côté français. Sans les contraintes budgétaires pesant sur son économie nationale, la France n’aurait jamais procédé à de tels réaménagements. Officiellement, la France de Hollande dit non à toute intervention pour sauver le régime aux abois de Bozizé.

Aux Centrafricains de régler leurs comptes entre eux. Difficile de le croire et de le suivre quand on sait historiquement que la Centrafrique a toujours été l’arrière-cour de Paris ; avec Bangui, on peut parler de relations particulières, spéciales.

Comment Hollande compte-t-il concilier les valeurs de démocratie et de droits de l’Homme avec la défense des intérêts économiques et stratégiques à Bangui ? Se reniera-t-il ?

Va-t-il se salir les mains dans les eaux troubles de la politique africaine ?

Une chose est sûre, quoi qu’il décide, il doit savoir que l’Afrique a changé et change, que la France est condamnée elle-même à changer, et son regard, et sa politique africaine. Il est temps qu’on en finisse avec ce que l’historien congolais Elikia M’Bokolo appelle « ses nostalgies colonialistes attardées, ses pesanteurs rampantes de néocolonialisme, ses réseaux honteux de la Françafrique ».

Mais, qu’elle intervienne ou pas en Centrafrique, la France n’a pas à répondre à cette question fondamentale à la place des Africains : la moindre situation d’injustice justifie-t-elle le recours aux armes ? Et que vaut l’honneur national sans une armée nationale ?

Cinquante ans après « les indépendances », il est choquant de voir des Africains appeler à des interventions étrangères militaires pour régler des différends entre eux. Comme s’ils n’avaient jamais été préparés, dès « les indépendances », à payer le prix fort pour assurer leur propre défense et leur sécurité.

En 2013, pour tous les pays africains, la question cruciale demeurera la même : quel régime politique faudrait-il instaurer pour garantir durablement la paix civile ?

Les lamentations et les fantasmes sécuritaires de certains dirigeants du type Bozizé ne répondent, en aucun cas, à cette question. Selon le philosophe anglais Thomas Hobbes, chantre de la sécurité, la crainte qui plane sur toute collectivité humaine, c’est la guerre civile.

Or, en Afrique, même des élections dites libres et transparentes finissent par conduire à la guerre civile. Ce qui apporte un démenti cinglant à l’optimisme libéral de Tocqueville suivant lequel seule la démocratie peut insuffler et répandre dans le tissu social de toute nation, la paix civile, cette sorte d’énergie de l’espoir.

Il existe une théorie funeste qui continue à prédominer en terre africaine : sans les armes, on ne peut pas arriver au pouvoir. Et pour éviter cette dialectique naïve de la poudre et du canon, il faut que la politique prenne le pas sur une vision militarisée de l’ordre politique.

L’édification de sociétés africaines démocratiques peut et doit se faire avec les armées en tant qu’institutions républicaines. Il ne sert à rien de diaboliser l’ordre militaire en tant que tel.

Mais sans la démocratie républicaine, la politique ne s’affranchira jamais, en Afrique, du bruit des armes. D’ailleurs, l’expérience centrafricaine actuelle a mis en lumière ce juste sentiment d’humiliation nationale de ce peuple, par rapport à la pesante tutelle militaire tchadienne.

Il faut rappeler aux Africains, surtout aux jeunes générations, qu’il n’y a pas d’amour de la patrie sans amour de la démocratie. Bien comprise, cette idée peut permettre aux peuples africains d’accomplir leur propre historicité. Mais en attendant, il faudra accepter d’en payer le prix.

Abdoulaye BARRO

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