mercredi 8 mai 2013

Côte d’Ivoire/Nationalité et Foncier : Ouattara en terrain miné


Alassane Ouattara, président de Côte d’Ivoire (DR).

Parler du foncier et de la nationalité en Côte d’Ivoire, c’est comme parler de corde dans la maison d’un pendu. Ce sont deux sujets extrêmement sensibles dont l’évocation rappelle de mauvais souvenirs.

Par la faute de politiciens à la petite semaine, la Côte d’Ivoire, ce havre de paix, a connu une grave crise pendant une décennie.

Le foncier a été instrumentalisé pour exproprier des personnes qui étaient devenues propriétaires de terres qu’ils ont longtemps exploitées conformément d’ailleurs à une philosophie du père de l’indépendance, Félix Houphouët-Boigny, qui voulait que la terre appartienne à celui qui la met en valeur.

Les héritiers, dont certains se sont montrés indignes de lui, l’ont fait retourner dans sa tombe en adoptant, en 1998, une loi sur le foncier rural qui stipule clairement que seuls les Ivoiriens peuvent être propriétaires terriens.

Du coup, des milliers de personnes, des étrangers pour la plupart, se sont retrouvées spoliées de terres qu’elles ont pourtant acquises à la sueur de leur front. Malgré son amendement en 2004 pour corriger les injustices faites, cette loi n’est pas appliquée partout.

Les dirigeants de l’époque ne se sont pas aussi donné de la peine pour que force reste à la loi à partir du moment où sa non- application les arrangeait politiquement. Continuateur de la funeste politique de l’ivoirité, le pouvoir de Laurent Gbagbo n’a pas voulu se mettre à dos son électorat.

Il a préféré laisser se faire exproprier de milliers de propriétaires terriens étrangers au nombre desquels de nombreux Burkinabè et les ressortissants du Nord de la Côte d’Ivoire dont la nationalité ivoirienne a été mise en doute.

C’est cette situation tendue, prête à exploser à tout moment qui a été léguée à Alassane Ouattara (ADO). La crise post-électorale qui a précédé son arrivée au pouvoir a mis en veilleuse la réforme de la loi sur le foncier et la nationalité qu’il avait promise lors de sa campagne électorale.

Aujourd’hui, le n°1 ivoirien a estimé que le moment est venu d’opérer cette réforme. Et il a profité d’une tournée de quatre jours dans la région du Tonkpi (Ouest du pays) pour le faire savoir.

La meilleure défense, c’est l’attaque, dit-on. Alassane Ouattara a fini donc par faire sienne cette maxime. Au regard du caractère sensible de ces sujets, on se demandait finalement s’il allait s’aventurer sur ce terrain miné.

C’est le lieu de le dire surtout qu’il a l’alibi de chantiers de la crise post-électorale, comme la réconciliation, pour ne pas entreprendre la réforme en question. En effet, il y en a qui s’inquiètent que cette réforme ne vienne plomber davantage la réconciliation qui a du mal à se concrétiser.

Pour ces personnes, il faut d’abord réconcilier les Ivoiriens qui sont sortis profondément divisés de la crise post-électorale.

Sans ce préalable, s’attaquer au foncier et à la nationalité, c’est jeter de l’huile sur le feu, souffler sur des braises ardentes. Toutefois, le temps presse et n’est pas un allié du chef de l’Etat qui sera bientôt à mi-mandat de ses cinq ans de bail.

La réconciliation piétine du fait de certaines personnes qui ne rêvent que de vengeance. Et c’est attendre Godot que de les voir jeter leur rancune à la rivière. Il faut bien tenir la promesse faite à l’électorat.

Tôt ou tard donc, ADO devait être amené à s’attaquer au sujet et laisser ses contempteurs conjecturer. C’est cela aussi la politique où il est difficile de requérir le consensus pour les actes que l’on pose, même les plus nobles. On y trouvera toujours à redire.

Et c’est tout naturellement ce à quoi il faut s’attendre avec la réforme annoncée. Déjà, il y en a qui voient une faveur à l’endroit des étrangers en général et des Burkinabè en particulier.

En d’autres termes, un geste de Alassane Ouattara à ses parents Burkinabè étant donné qu’il a longtemps été considéré (et continue de l’être) comme un « Mossi », sous-entendu Burkinabè, par tous ceux qui ont essayé de lui barrer la route du pouvoir.

Toutefois, il faut dépasser ces considérations politiciennes, stigmatisantes et xénophobes pour ne voir que les raisons objectives de cette réforme.

Terre d’immigration, la Côte d’Ivoire ne peut pas ignorer l’apport des nombreux bras valides qui ont fait sa prospérité. Il faut savoir ménager cette force de travail sans laquelle il n’y a pas de boom du café ou du cacao.

Il faut aussi permettre à ces petites mains de l’agriculture ivoirienne de grandir, de s’émanciper en devenant également propriétaires terriens dans le respect bien sûr des us et des coutumes.

Leur travail profite avant tout à la Côte d’Ivoire, leur pays d’accueil. En somme, Ivoiriens et immigrés doivent trouver leurs comptes dans une loi foncière juste, équitable.

Dans ce sens, il faut saluer la démarche participative que compte entreprendre le chef de l’Etat dans le cadre de la réforme de la loi sur le foncier rural et la nationalité. C’est déjà une précaution pour ne pas réveiller les vieux démons.

« Le Pays »

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