14/05/2013
Le kaolin est rarement consommé en public car ce n'est pas bien vu. © Romain Laurendeau
Argile blanche et friable, le kaolin, appelé "kew" en wolof, est très prisé des femmes sénégalaises qui le consomment à l’envi. Mais cette roche calcaire faisant aussi office de produit de beauté pour la peau, importée du Mali, présente quand elle est ingurgitée de nombreux dangers pour la santé.
« Au Sénégal, les femmes mangent plus de kew que de riz ». Sira, vendeuse au marché Tilène, dans le vieux quartier de la Médina à Dakar, en connaît un rayon sur le kaolin. « Je m'approvisionne au Marché malien situé à proximité de la gare routière. J’en vends des kilos par jour. À tel point que je me retrouve parfois en rupture de stock », indique-t-elle.
Sur son étal en bois, des tas de trois à six cailloux blanchâtres - valant à peine 50 francs CFA - côtoient des petits sachets de kaolin en poudre et des sacs de roches de plusieurs kilos. « Les deux kilos et demi, je les vends à 250 francs CFA », explique-t-elle avant d'énumérer les vertus de son produit : apport en fer, en calcium, gestion du stress, traitement des maux d'estomac...
La substance ferait même office d’antiémétique chez les femmes enceintes. Toutefois, Sira n’a jamais « croqué » la pierre miracle. « Quand tu commences à manger ça, tu ne peux pas t’arrêter », prévient-elle.
Ce n’est pas Coumba qui dira le contraire. À 17 ans, cette adolescente mince et élancée consomme du kaolin quotidiennement depuis l'âge de 13 ans. « Ma grande sœur et ma mère en mangent aussi. Je trouve ça bon même si j'ai mal au ventre parfois », confie-t-elle.
Le Kaolin ou "kew" en Wolof est une pierre argileuse officiellement utilisée pour les masques de beauté,
mais la plupart du temps mangée par les femmes qui en deviennent "accro".
© Romain Laurendeau
Pour la psychiatre Aïda Sylla, basée à l'hôpital de Thiaroye, si ces femmes sénégalaises - souvent issues de milieux ruraux et défavorisés - consomment du kaolin, c’est d’abord pour « combler leur ennui ». Beaucoup d'entre elles s'y mettent en période de grossesse.
« La pierre, qui n'a pas de saveur, apporte à une femme enceinte, dont le goût est perverti, une sensation recherchée de sable dans la bouche », continue Aïda Sylla. « Chez les autres, il peut y avoir une sorte de mimétisme avec l'enfance, car au Sénégal, beaucoup d'enfants mangent du sable ».
Et à l’instar de tout comportement alimentaire compulsif, « le kaolin agit à la manière d'une drogue, d'un point de vue psychologique».
C'est l'un des effets du syndrome de Pica, un trouble comportemental qui induit la consommation de substances non nutritives comme la terre, le papier ou l'argile. Ce syndrome, dont la genèse allie carences alimentaires et affectives, touche particulièrement les régions d'Afrique de l'Ouest depuis des siècles. Ainsi le kaolin est considéré comme trompe-la-faim pour les uns, médicament ou plaisir pour les autres.
Pratique dangereuse et taboue
Si, à dose unique, le kaolin peut servir à calmer les douleurs d'estomac, sa consommation régulière induit de sérieux problèmes de santé. La pierre empêche l'absorption de fer dans le sang et provoque une anémie qui, dans le cas des femmes enceintes, entraîne des complications comme des fausses couches ou des retards de croissance chez le bébé, selon le gastro-entérologue Birame Fall.
Le kaolin modifie aussi le transit intestinal et est la cause de constipation sévère, quand il « forme une boule dans le rectum qui peut provoquer des dommages irréversibles », explique-t-il.
« Les femmes qui consomment du kaolin ne le disent pas. C'est une pratique taboue. Elles n'en mangent pas en public et ne le diront jamais à leur médecin », affirme-t-il.
Un tabou qui rend difficile l’obtention de chiffres sur le nombre de femmes concernées par ce type de géophagie, banalisée au Sénégal. « C'est un phénomène culturel et très informel dont l'ampleur est difficile à chiffrer. Sans compter que certains hommes mangent également du kaolin », avance-t-on à l'Agence nationale de la statistique et de la démographie du pays.
Au cours des dernières décennies, le marché du kaolin au Sénégal s'est développé grâce à l'entremise des grossistes du Mali acheminant leur marchandise via le train ralliant Bamako à Dakar.
Le Ministère des Affaires sociales et de la Santé du Sénégal a eu vent du problème sanitaire que pose le kaolin, notamment en ce qui concerne les femmes enceintes. Mais il n'a, pour l'instant, mis en place aucun programme de prévention.
Katia Touré
Jeune Afrique
Le kaolin est rarement consommé en public car ce n'est pas bien vu. © Romain Laurendeau
Argile blanche et friable, le kaolin, appelé "kew" en wolof, est très prisé des femmes sénégalaises qui le consomment à l’envi. Mais cette roche calcaire faisant aussi office de produit de beauté pour la peau, importée du Mali, présente quand elle est ingurgitée de nombreux dangers pour la santé.
« Au Sénégal, les femmes mangent plus de kew que de riz ». Sira, vendeuse au marché Tilène, dans le vieux quartier de la Médina à Dakar, en connaît un rayon sur le kaolin. « Je m'approvisionne au Marché malien situé à proximité de la gare routière. J’en vends des kilos par jour. À tel point que je me retrouve parfois en rupture de stock », indique-t-elle.
Sur son étal en bois, des tas de trois à six cailloux blanchâtres - valant à peine 50 francs CFA - côtoient des petits sachets de kaolin en poudre et des sacs de roches de plusieurs kilos. « Les deux kilos et demi, je les vends à 250 francs CFA », explique-t-elle avant d'énumérer les vertus de son produit : apport en fer, en calcium, gestion du stress, traitement des maux d'estomac...
La substance ferait même office d’antiémétique chez les femmes enceintes. Toutefois, Sira n’a jamais « croqué » la pierre miracle. « Quand tu commences à manger ça, tu ne peux pas t’arrêter », prévient-elle.
Ce n’est pas Coumba qui dira le contraire. À 17 ans, cette adolescente mince et élancée consomme du kaolin quotidiennement depuis l'âge de 13 ans. « Ma grande sœur et ma mère en mangent aussi. Je trouve ça bon même si j'ai mal au ventre parfois », confie-t-elle.
Le Kaolin ou "kew" en Wolof est une pierre argileuse officiellement utilisée pour les masques de beauté,
mais la plupart du temps mangée par les femmes qui en deviennent "accro".
© Romain Laurendeau
Pour la psychiatre Aïda Sylla, basée à l'hôpital de Thiaroye, si ces femmes sénégalaises - souvent issues de milieux ruraux et défavorisés - consomment du kaolin, c’est d’abord pour « combler leur ennui ». Beaucoup d'entre elles s'y mettent en période de grossesse.
« La pierre, qui n'a pas de saveur, apporte à une femme enceinte, dont le goût est perverti, une sensation recherchée de sable dans la bouche », continue Aïda Sylla. « Chez les autres, il peut y avoir une sorte de mimétisme avec l'enfance, car au Sénégal, beaucoup d'enfants mangent du sable ».
Et à l’instar de tout comportement alimentaire compulsif, « le kaolin agit à la manière d'une drogue, d'un point de vue psychologique».
C'est l'un des effets du syndrome de Pica, un trouble comportemental qui induit la consommation de substances non nutritives comme la terre, le papier ou l'argile. Ce syndrome, dont la genèse allie carences alimentaires et affectives, touche particulièrement les régions d'Afrique de l'Ouest depuis des siècles. Ainsi le kaolin est considéré comme trompe-la-faim pour les uns, médicament ou plaisir pour les autres.
Pratique dangereuse et taboue
Si, à dose unique, le kaolin peut servir à calmer les douleurs d'estomac, sa consommation régulière induit de sérieux problèmes de santé. La pierre empêche l'absorption de fer dans le sang et provoque une anémie qui, dans le cas des femmes enceintes, entraîne des complications comme des fausses couches ou des retards de croissance chez le bébé, selon le gastro-entérologue Birame Fall.
Le kaolin modifie aussi le transit intestinal et est la cause de constipation sévère, quand il « forme une boule dans le rectum qui peut provoquer des dommages irréversibles », explique-t-il.
« Les femmes qui consomment du kaolin ne le disent pas. C'est une pratique taboue. Elles n'en mangent pas en public et ne le diront jamais à leur médecin », affirme-t-il.
Un tabou qui rend difficile l’obtention de chiffres sur le nombre de femmes concernées par ce type de géophagie, banalisée au Sénégal. « C'est un phénomène culturel et très informel dont l'ampleur est difficile à chiffrer. Sans compter que certains hommes mangent également du kaolin », avance-t-on à l'Agence nationale de la statistique et de la démographie du pays.
Au cours des dernières décennies, le marché du kaolin au Sénégal s'est développé grâce à l'entremise des grossistes du Mali acheminant leur marchandise via le train ralliant Bamako à Dakar.
Le Ministère des Affaires sociales et de la Santé du Sénégal a eu vent du problème sanitaire que pose le kaolin, notamment en ce qui concerne les femmes enceintes. Mais il n'a, pour l'instant, mis en place aucun programme de prévention.
Katia Touré
Jeune Afrique
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