Oh, la vilaine élection ! Oui ! Mais laquelle ?
A l’heure où s'est tenue une nouvelle élection présidentielle au Zimbabwe qui sera dénigrée sans nul doute par nombres de commentateurs, diplomates et autres observateurs avertis, un petit rappel s’impose pour ceux dont la mémoire concernant le Zimbabwe ne remonte jamais plus loin qu’à l’année 1980 quand fut proclamée l’Indépendance.
Des élections, le Zimbabwe en a connues beaucoup et des bien belles !
Sous le régime colonial britannique imposé de force pour apporter la civilisation comme le rappelait à l’envi Cecil Rhodes qui fut le premier à conquérir tout le territoire du Zimbabwe en se le faisant octroyer par une charte royale en 1889, sous ce régime donc, les Noirs votaient peu.
Pour être électeur, il fallait : être citoyen britannique, âgé d’au moins 21 ans, savoir lire et écrire l’anglais, occuper un logement d’un loyer annuel minimum de 150 livres sterling ou disposer d’un revenu annuel de 100 livres sterling minimum. C’était le suffrage censitaire. Et dans le détail, cela donnait ceci.
D’abord "savoir lire et écrire l’anglais". En 1962, 47 % des Africains et 59 % des Africaines n’étaient jamais allés à l’école. Ceux-là, les élections, ils les regardaient par la fenêtre.
L’argent ensuite. Des statistiques de 1965 : sur 4,26 millions d’Africains, seulement 654 000 avaient un emploi. À vos calculettes : les 3,6 millions d’Africains sans travail regardaient donc eux aussi les élections du balcon. Pas de travail, pas de revenu, pas de droit de vote.
Oui, mais les autres, ceux qui trimaient, ils pouvaient voter, eux ! Certes, mais la clause "revenu minimum" ? Toujours en 1965, salaire moyen d’un Africain : 125 dollars rhodésiens, soit 62 livres sterling. Ah ! Pas de chance ! Le revenu minimum pour pouvoir voter était de 100 livres sterling.
À la même époque, le salaire moyen d’un ouvrier agricole blanc était de 1 365 livres sterling. Bien lire "ouvrier agricole", et non propriétaires terriens, industriels ou banquiers.
Dans un ouvrage rédigé pour le compte de l’Unesco, le professeur Reginald Austin nota que « le collège électoral est resté pratiquement le même entre 1898 et 1969 grâce à divers procédés aboutissant à restreindre le droit de vote aux Blancs, plutôt que par une exclusion raciale directe ».
Il soulignait qu’en 1912, on durcit l’épreuve d’alphabétisation pour tenir à l’écart les Afrikaners (les colons Boers venus d’Afrique du Sud), les Africains étant déjà éliminés par les conditions financières.
Et voici le bilan que tira Reginald Austin des lois électorales : 1908, une cinquantaine d’électeurs "indigènes". 1928 : 62 électeurs africains contre 22 000 électeurs blancs. 1939, la loi se durcit car on a bien vu venir le danger : 24 626 électeurs dont … 39 Africains.
Continuons avec les statistiques, elles sont si belles : en 1948, on compta … 136 électeurs africains ! Danger à nouveau, car la population africaine augmentait.
On adopta donc rapidement une nouvelle loi électorale en 1951, plus restrictive avec une augmentation du revenu minimum pour avoir le droit de vote.
Résultat, on comptait seulement 380 électeurs noirs en 1951. En 1956, ça craint : 560 électeurs africains pour 52 184 électeurs européens. Gros danger.
On crée alors une commission, dite "commission Tredgold" pour que le gouvernement reste « entre les mains de personnes civilisées et sérieuses ». Texto. Manque de chance, la commission conclut que « les conditions à remplir pour obtenir le droit de vote sont telles qu’elles excluent pratiquement les Africains ».
Las, nouvelle loi électorale en 1957 qui permit d’augmenter le nombre d’électeurs africains, mais à condition qu’ils ne dépassent jamais 20 % du corps électoral. Mieux valait être prudent.
Ainsi, en novembre 1961, on comptait 5 127 électeurs africains sur un total de 88 820 électeurs. De quoi se plaignaient-ils ?
Dans un tract, lâché par les nationalistes africains dans les années 60, on pouvait lire : « C’est au Parlement que nous voulons nager avec vous et non dans vos piscines ». Il leur faudra attendre. Et pour le Parlement, et pour les piscines.
Mais la couronne britannique était tenace quand il s’agissait du bien-être des Africains…
En 1961, Londres mit sur la table un nouveau projet de constitution. Et que proposait Londres dans ce projet de constitution de 1961 ? De réserver généreusement 15 sièges au Parlement pour les Africains sur un total de 65 députés. Pas encore l’heure de plonger dans le grand bassin de la piscine, tout juste de quoi faire trempette dans le petit bain pour éviter l’hydrocution.
Mais on s’emballe, on s’emballe, et tout ceci est peut-être fort éloigné de la vérité. Car une question se pose ici : les Africains voulaient-ils vraiment le droit de vote ?
La réponse nous a été livrée par François d’Orcival, l’actuel président du Comité éditorial du très sérieux journal Valeurs actuelles, un d’Orcival qui a commis en 1966 un livre intitulé "Rhodésie, pays des lions fidèles" à la gloire du régime raciste rhodésien de Ian Smith.
Et que nous expliquait à l’époque François d’Orcival sur les revendications des Noirs pour avoir le droit de vite ?
La réponse est en page 254 de son ouvrage : « Certains Noirs, que les idéologues européens ont agités, veulent le pouvoir politique. Ils l’auront, sans doute, selon leurs compétences et leurs qualités. (…)
Pour le moment, près d’un million de Rhodésiens noirs vont en classe, ils sont autant à préférer demeurer tranquillement dans leurs terres tribales. Pourquoi les obligerait-on à voter, sinon pour satisfaire les idées que l’on se fait à dix ou vingt mille kilomètres de là à propos du suffrage universel et de la règle de la majorité que l’on n’a jamais réussi à appliquer vraiment, même chez les Européens ? »
En résumé, pourquoi donc obliger ces pauvres Noirs à voter alors qu’ils sont si contents de vivre en simplets sur leurs terres tribales ?
Le Parlement britannique entérina cette nouvelle constitution pour sa colonie de Rhodésie le 22 novembre 1961 et elle entra en vigueur le 6 décembre.
Quand Londres présenta ce projet de constitution qui octroyait 15 députés aux Africains, William Harper, le leader du Dominion Party, le parti des solides ruraux Rhodésiens, cria au fou, déclarant que « c’était là vendre l’héritage que nous devions transmettre à nos enfants ».
Quant à Ian Smith, il démissionna illico presto sa formation politique, le Parti fédéral uni (UFP), parce que l’UFP avait approuvé cette constitution insoutenable à ses yeux.
En décembre 1962 se tinrent les élections législatives prévues par cette nouvelle constitution. La Zapu (Zimbabwe African People’s Union) de Joshua Nkomo appela au boycott, refusant le "cadeau" de 15 députés. Encore une preuve que les nègres ne voulaient pas du droit de vote !
Aussi, en mars 1962, tous les Blancs apeurés, hostiles à toute évolution concernant les droits civiques des Africains, créèrent le Front rhodésien.
La plupart des membres de ce nouveau parti étaient issus du Dominion Party, un parti qui avait réclamé que l’on crée sur le fleuve Zambèze « une ligne Maginot de défense, non pas de la civilisation blanche, mais de la civilisation tout court, en Afrique Australe », ou des gens comme Smith qui venaient de claquer la porte de l’UFP.
Le Front rhodésien avait ainsi, dès sa création, une bonne base intellectuelle. Smith en était le vice-président. Et c’est ce parti qui remporta haut la main les législatives de décembre 1962 en obtenant 35 sièges au Parlement contre 29 à l’UFP. Le résultat de ces législatives donnait un bel aperçu de l’opinion majoritaire chez les Blancs rhodésiens.
En mars 1965 eurent lieu de nouvelles élections législatives. Le Front rhodésien de Ian Smith remporta cette fois la totalité des 50 sièges réservés aux Blancs. Comme ça, les choses étaient claires : on savait maintenant ce que la quasi-totalité des Blancs rhodésiens avaient dans la tête et ce à quoi ils aspiraient.
Le 11 novembre 1965, Ian Smith proclama la Déclaration unilatérale d’indépendance. Jour dramatique pour les Noirs zimbabwéens ?
Pas sûr, car il faut une fois encore lire et relire ce qu’écrivit François d’Orcival à propos de ce 11 novembre 1965, jour maudit pour le Zimbabwe : « Onze novembre 1965. À 8.000 kilomètres de Londres et de Paris, au centre de l’Afrique australe, un cœur tout neuf se met à battre ; la Rhodésie qui a la forme d’un cœur grand comme trois fois l’Angleterre. (…) Avec Smith, les 220 000 Blancs de Rhodésie tiennent le pari : malgré l’opposition du tiers-Monde et de l’ONU, la condamnation implicite des grandes puissances, la jeune Rhodésie veut vivre. Les quatre millions de Noirs, sauf quelques agitateurs, sont d’accord, ils veulent aussi vivre dans la paix. »
En 1969, le gouvernement de Ian Smith coupa ce qui restait du cordon ombilical avec le Royaume-Uni en faisant approuver par référendum une nouvelle constitution qui aboutit à la naissance de la République de Rhodésie.
Le 3 mars 1970, la République de Rhodésie était proclamée, Ian Smith en était le Premier ministre et il fit nommer un président préposé à l’arrosage des chrysanthèmes en la personne de Clifford Dupont.
En Angleterre, en avril de cette même 1970, le travailliste Harold Wilson fut battu aux législatives et ce fut le conservateur Edward Heath qui devint Premier ministre.
Heath envoya aussitôt à Salisbury son ministre des Affaires étrangères Sir Alec Douglas Home pour négocier directement avec Ian Smith un éventuel retour de la Rhodésie dans le giron britannique.
Et l’on arriva à s’entendre : un Projet d’accord anglo-rhodésien fut signé par Smith et Sir Alec Douglas Home le 24 novembre 1971. Champagne pour tout le monde !
Petite distraction tout de même, on avait tout simplement oublié de consulter les Africains, la population dans son ensemble ou leurs leaders comme Mugabe et Nkomo qui étaient toujours en prison.
Quelles concessions avait bien pu faire Ian Smith pour arriver à calmer Londres ? Il acceptait de modifier sa constitution de 1969, en faisant notamment supprimer les clauses qui faisaient obstacle au « libre progrès vers la majorité », un des principes mis en avant par le travailliste Harold Wilson.
Sauf que … sauf que … la nouvelle loi électorale mise au point dans cet accord signé par Smith et Sir Alec Douglas Home aurait permis aux Africains, dans le meilleur des cas, d’avoir la majorité au Parlement en…2035 !
D’autres analystes estimaient même que ce "meilleur des cas" n’arriverait pas avant 100 ans. Sacré Sir Alec Douglas Home !
La guérilla des indépendantistes ne faiblissant pas, Ian Smith se tourna alors vers l’évêque Muzorewa et le révérend Sithole, écarté depuis belle lurette de la direction de la Zapu par Mugabe.
Il conclut avec eux un "accord interne" en vue de l’application immédiate du vote majoritaire, l’instauration d’un nouveau Parlement de 100 députés dont 72 seront Africains et un gouvernement "paritaire", un Blanc, un Noir pour chaque portefeuille ministériel.
L’accord sur ce partage du pouvoir fut signé le 3 mars 1978, et un gouvernement provisoire élabora une nouvelle constitution qui fut approuvée par un référendum réservé aux Blancs.
C’était encore une fois aux Blancs et à eux seuls que l’on demandait de décider du sort de la population africaine.
Cet « accord interne » singé par Muzorewa et le révérend Sithole fut bien sûr rejeté par la Zapu et la Zanu, mais également par Londres et la communauté internationale.
Smith et Muzorewa s’obstinèrent et organisèrent des élections en avril 1979.
L’ANC de Muzorewa remporta 51 sièges de députés sur les 78 réservés aux Africains, et le Front rhodésien de Ian Smith, la totalité des 28 sièges réservés aux Blancs.
Un gouvernement multiracial fut formé avec à sa tête comme Premier ministre, Abel Muzorewa, un président noir préposé à l’arrosage des plantes, Josiah Gumede, et Ian Smith, simple ministre mais qui tenait toujours par-devers lui le véritable pouvoir. Le pays prit alors le nom de "Zimbabwe-Rhodésie".
Le 12 décembre 1979, Ian Smith, sous la pression de la guérilla qui ne baissait pas les bras, cèda et accepta que Londres nomme à nouveau un gouverneur général pour sa colonie de Rhodésie du Sud.
Des négociations s’ouvrirent alors sous l’égide du Premier ministre britannique, Margaret Thatcher, et y prirent part cette fois la Zanu de Mugabe et la Zapu de Nkomo.
Ouverte le 10 septembre, la conférence "constitutionnelle" de Lancaster s’achèva le 15 décembre, après 47 séances plénières.
Ces négociations aboutirent aux accords dits de "Lancaster House" signés le 21 décembre 1979, accords qui prévoyaient un régime parlementaire mais avec la garantie pour les Blancs de conserver encore pendant au moins 7 ans, 20 sièges de députés sur 100, et, une disposition majeure, l’interdiction pendant dix ans de la nationalisation forcée des terres appartenant aux colons blancs. Londres protégeait toujours ses descendants …
Les premières législatives libres de 1980
Les élections législatives prévues par les accords de Lancaster eurent lieu en février 1980. Petite séquelle du bon vieux temps, les Blancs ne votèrent pas le même jour que les Noirs.
Le "White Roll" eut lieu le 14 février, tandis que le "Common Roll" (le vote des Africains) eut lieu les 27 et 29 février.
Pour les experts en comparaison, soulignons qu’en Afrique du Sud, en avril 1994, lors des premières élections multiraciales, tout le monde, Blancs comme Noirs, avait voté le même jour.
Un seul homme s’était fait remarquer ce jour-là, ce fut l’ex-président et farouche partisan de l’apartheid, Pieter Botha, qui n’avait pas voulu se placer dans les files d’attente multiraciales et qui eut droit à un régime de faveur en ayant le droit de voter le premier dans une petite ville de la province du Cap.
Et autre différence de taille entre l’Afrique du Su et le Zimbabwe nouveau : pas de quota de députés réservé aux Blancs.
Au Zimbabwe, concernant le vote Blanc, le Front rhodésien de Ian Smith rafla la majorité des 20 sièges réservés aux "white people". Un bien beau un signe du changement de la mentalité des Blancs après les Accords de Lancaster House. Les Blancs votaient Ian Smith, encore et toujours, et à 100%.
Côté "vote black", la Zimbabwe African National Union, la Zanu de Mugabe, récolta 63 % des suffrages (1 668 992 votes sur 2 649 529 de suffrages validés) et obtint 57 députés sur les 100 prévus au Parlement.
Joshua Nkomo, à la tête du Front patriotique (Patriotic Front), obtint 20 sièges et le Conseil national unifié africain du Zimbabwe (UANC) d’Abel Muzorewa trois députés seulement, avec 8.3 % des suffrages.
La Zimbabwe African National Union-Ndonga (Zanu-Ndonga) de Sithole, avec seulement 2 %, n’eut aucun député.
Ce fut la première élection "libre", validée par les observateurs du Commonwealth, entièrement contrôlée par l’ex-puissance coloniale, toujours bon à rappeler aussi, car Mugabe, contrairement à bon nombre de chefs d’État africains, n’est pas arrivé au pouvoir par hasard, comme Paul Biya par exemple au Cameroun qui a pris la tête de l’État en 1982 après la démission du président Ahidjo, ou par les armes, mais là, la liste serait trop longue.
C’est donc tout naturellement que Robert Mugabe fut chargé de former le premier gouvernementd’une Rhodésie multiraciale. Canaan Banana en fut le premier président, une fonction qui restait honorifique, et Robert Mugabe, Premier ministre et détenteur du véritable pouvoir. Joshua Nkomo fut nommé ministre de l’Intérieur.
Réconciliation oblige, Mugabe conserva des Blancs dans son gouvernement : David Smith aux Finances, Denis Norman à l’Agriculture, ce qui fit dire au patron du syndicat des fermiers commerciaux de l’époque, Jim Sinclair que « Mugabe est le meilleur leader que l’on ait jamais eu ». Un nuage passait…
L’indépendance fut proclamée formellement le 18 avril 1980 et la Rhodésie du Sud devint le Zimbabwe, du mot "zimba zemabwe" qui en langue shona signifie "la maison en pierre", en référence à une ancienne cité impériale bâtie en pierres, située non loin de la ville de Musvingo, dans le sud du Zimbabwe, dans la région du Mashonaland.
Secondes élections législatives du Zimbabwe indépendant, en juin et juillet 1985. Le Front républicain de Ian Smith qui s’était rebaptisé l’Alliance conservatrice du Zimbabwe (Conservative Alliance of Zimbabwe - Caz), remporta 15 sièges sur les 20 qui étaient toujours réservés aux Blancs.
Petite surprise, un nouveau parti "blanc", formé en avril, l’IZG (Groupe indépendant du Zimbabwe), qui se voulait être un soutien critique au gouvernement, obtint quatre sièges.
Trois membres de ce parti rejoignirent d’aillleurs la Zanu de Mugabe avant la fin de la législature.
Enfin, le dernier siège à attribuer dans ce "white roll" fut remporté par un candidat indépendant, Jonas Christian Andersen, qui sera nommé par Mugabe ministre d’État en charge de la Fonction publique.
Côté "Common roll", la Zanu de Mugabe obtint 64 sièges et la Zapu de Joshua Nkomo 15 députés contre 20 dans la précédente législature. La Zanu-Ndonga de Sithole n’obtint qu’un siège, et l’Uanc de l’évêque Abel Muzorewa aucun.
La présidentielle de 1990
Mais c’est en 1987 que beaucoup de changements sur le fonctionnement politique du pays eurent lieu. Certains députés blancs de la Caz rejoignirent la Zanu de Mugabe.
Ian Smith démissionna de son siège de député en mai après avoir été exclu du Parlement pour un an, à la suite d’un voyage qu’il avait effectué en Afrique du Sud et au cours duquel il s’en était pris violemment au régime zimbabwéen.
Le 22 décembre de cette année 1987, un accord d’unité nationale signé par Robert Mugabe et Joshua Nkomo prévoyait que leurs deux partis fusionneraient d’ici trois ans. Cet accord de fusion entre la Zanu et la Zapu fut ratifié en avril 1988.
Enfin, la modification constitutionnelle majeure fut adoptée le 30 décembre de cette année 1987. La nouvelle Constitution instaura un régime présidentiel doté des pouvoirs exécutifs, Robert Mugabe fut nommé président en attendant l’élection présidentielle.
Les 20 sièges réservés aux Blancs au Parlement furent supprimés et ce, en accord avec des députés blancs.
Mugabe sera donc élu pour la première fois chef de l’État à l’occasion de la première élection présidentielle pluraliste et multiraciale organisée le 3 mars 1990.
Candidat de la Zanu-PF, il obtient 83,05 % des suffrages face Edgar Tekere (16,95 %), candidat pour le Mouvement d’unité du Zimbabwe, un parti créé en avril 1989. Edgar Tekere, que l’on présentait lui aussi à l’époque comme un opposant maltraité par le pouvoir, s’était allié à la Caz qui regroupait encore les partisans et nostalgiques de Ian Smith.
En 1991, ce même Tekere, accusé de recevoir des fonds de l’Afrique du Sud, qui était encore sous le régime raciste de l’apartheid, démentira tout en précisant qu’il ne refuserait pas une telle manne si d’aventure les Sud-Africains la lui proposaient.
La présidentielle de 1996
À l’élection présidentielle des 16 et 17 mars 1996, Robert Mugabe fut réélu avec 92,7 % des suffrages. Un peu normal : les principaux candidats avaient décidé de boycotter cette élection mais pour des motifs par toujours très clairs.
Les deux représentants de l’opposition, Sithole et l’évêque Abel Muzorewa, candidat sous l’étiquette Partis Unis, et qui s’étaient retirés de la course mais dont les noms avaient été maintenus sur les bulletins de vote, ont recueilli à eux deux 7,2 % des suffrages.
Muzorewa, 71 ans au compteur à l’époque, peu apprécié de la population pour avoir collaboré avec Ian Smith en 1979, n’avait pas grande chance d’inquiéter Mugabe.
Pendant sa campagne électorale, il avançait des arguments politiques très "forts" comme Mugabe est un « père ivrogne et cruel ».
Quant au révérend Sithole, il n’était pas au mieux de sa forme "mentale". En lançant sa campagne électorale, il avait accusé son épouse, Vesta, d’être depuis 16 ans en « mission commandée par le parti au pouvoir » pour lui nuire.
Seize années de vie commune avec Sithole pour l’espionner, cela méritait médaille ! Et Sithole demanda avec grand fracas le divorce.
À l’époque, Sithole avait un autre gros souci : il était soupçonné d’être l’instigateur d’un mouvement rebelle dénommé Chimwenje (Le Flambeau). Ces rebelles regroupaient des malfaiteurs du Zimbabwe ainsi que des ex-rebelles de la Renamo mozambicaine.
Traduit en justice à la fin de l’année 1995, Simba Mhlanga, le chef du mouvement Chimwenje, affirma qu’après avoir adhéré à la Zanu-Ndonga en 1978, il avait été envoyé de force au Malawi pour y suivre un cours de formation militaire avec 63 autres personnes.
Après six mois d’entraînement, il était revenu au Zimbabwe comme garde de sécurité de Sithole, puis fut envoyé en Afrique du Sud pour un nouvel entraînement militaire.
En 1983, expliqua-t-il, il fut envoyé à Dombe au Mozambique pour intégrer les forces de la Renamo et organiser le mouvement Chimwenje.
Entre l’année 2000 où Mugabe subira sa première défaite électorale lors du rejet d’un référendum constitutionnel et l’année 2008 qui verra le MDC obtenir la majorité au Parlement, le pays connaîtra une élection présidentielle, remportée par Mugabe en 2002 et deux législatives qui consacreront l’érosion de la Zanu-PF.
La présidentielle de 2002
Exit les vieux de vieille, les anciennes figures de la lutte pour l’indépendance : Joshua Nkomo était décédé le 1er juillet 1999, Ndabaningi Sithole en décembre 2000. Ne restait plus sur le devant de la scène que Robert Mugabe et … un petit nouveau qui n’avait jamais participé à la guerre contre le colonisateur, Morgan Tsvangirai.
En août 1999, le Congrès zimbabwéen des syndicats (ZCTU), qui revendiquait 300 000 adhérents, vota une résolution apportant son soutien à la création d’un « mouvement politique vigoureux et démocratique pour le changement ». Ce fut chose faite en septembre, avec la création officielle du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), aussitôt présidé par Morgan Tsvangirai, qui était secrétaire général du ZCTU.
Avec le lancement par d’anciens leaders des mouvements étudiants d’un petit parti d’opposition en décembre 1998, la Convention du peuple du Zimbabwe, le Zimbabwe comptait jusqu’à présent 14 partis légaux, dont aucun n’avait jamais été en mesure de concurrencer le parti au pouvoir depuis 1980.
Morgan Tsvangirai, c’est l’antithèse de Mugabe. Peu d’études, très tôt plongé dans le monde du travail, ouvrier du textile, puis mineur, et jamais combattant. Il fit partie de ces Zimbabwéens qui restèrent à l’écart de la guerre de libération.
Créé en septembre 1999, le MDC tint son premier congrès en janvier 2000. Outre des syndicalistes qui avaient suivi Morgan Tsvangirai - Gibson Sibanda comme vice-président, Isaac Matongo comme secrétaire général, Gift Chimanikire secrétaire général adjoint, et même quelques "vrais" gauchistes comme Munyaradzi Gwisai, trotskiste et membre de la section zimbabwéenne de la IVe Internationale - on retrouvait dans ce nouveau parti pas mal de ceux qui avaient constitué en janvier 1998, la NCA (Assemblée nationale constituante), un groupe d’influence pour obtenir une modification de la Constitution.
La NCA regroupait, outre le syndicat de Tsvangirai, gens d’église, syndicalistes, opposants divers, étudiants, avocats, groupes de femmes, organes de presse et autres associations ethniques.
Le MDC lancé le 11 septembre 1999, quinze jours plus tard et sans perdre de temps, dès le 1er octobre, Morgan Tsvangirai entama une tournée dans six pays européens pour présenter son nouveau parti. Au programme, Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Suède, Finlande et bien sûr la Grande-Bretagne.
Présenté son nouveau parti mais aussi y chercher des fonds. Et il en eut des aides financières : de toutes parts, mais aussi par le biais d’ONG rapidement créées et financées elles aussi et au grand jour par Londres, l’Australie ou les lobbying industriels américains.
Interpellé par la presse sur une aide de 8 millions de livres sterling pour aider la nouvelle opposition zimbabwéenne, le Premier ministre australien, John Howard, affirma qu’il ne finançait pas le MDC mais des ONG par un programme d’aide à la démocratie.
L’Australie créa effectivement un "fonds spécial" pour financer tout ce qui pouvait aller contre le régime zimbabwéen, officiellement, pour appuyer l’assistance humanitaire, la promotion des droits de l’homme et la bonne gouvernance.
L’ambassade britannique à Harare signait elle et allégrement des gros chèques à la fondation Amani Trust. Ça tombait bien, Amani Trust n’avait qu’une personne en ligne de mire, Mugabe.
Une des plus importantes organisations qui mettait aussi la main à la poche pour financer les Ong favorables à l’opposition était le Zimbabwe Democracy Trust (ZDT), créé en avril 2000 au Royaume-Uni, et qui transféra ensuite son quartier général à Washington en septembre 2002.
Dans le directoire du Zimbabwe Democracy Trust, trois anciens ministres des Affaires étrangères britanniques, membres du Parti conservateur : Malcolm Rifkind, Douglas Hurd et Geoffrey Howe.
Mais aussi des plus discrets comme Sir John Collins, président du conseil d’administration du National Power, la puissante société d’énergie britannique qui contrôlait toute l’électricité au Zimbabwe ou encore Sir Malcolm Rifkind, un ancien de la compagnie minière australienne Broken Hill Proprietary (BHP).
Il y avait aussi l’ancien secrétaire d’État américain pour les Affaires africaines, Chester Crocker, très soucieux des problèmes humanitaires et de la liberté des Zimbabwéens, et à peine motivé par les intérêts de la compagnie minière Ashanti Gold Fields dont il était un des directeurs associés.
Autre grand pourvoyeur de fonds pour les Ong du Zimbabwe, la Westminster Foundation for Democraty, qui est elle-même financée quasiment à 100 % par le gouvernement britannique.
C’est du lourd. Et Morgan Tsvangirai n’a pas dans ses valises que des espèces sonnantes et trébuchantes ! Il amène avec lui une fine équipe de Blancs zimbabwéens comme Eddie Cross, Roy Bennett ou l’avocat défenseur des droits de l’homme, David Coltart.
Des Blancs sans passé, sans mémoire, toujours prêts à brandir l’étendard de la liberté, de la liberté économique, de la liberté politique. Des justes.
Sauf que tous furent membres de la terrible police politique du régime rhodésien de Ian Smith, la British South Africa Police (BSAP). Certains, comme David Coltart et Roy Bennet furent même des engagés volontaires dans cette police qui eut à son actif autant d’atrocités que l’armée.
La BSAP avait sa "Special Branch", une unité formée spécialement pour lutter contre les "terroristes". Une unité d’élite, experte en torture.
Roy Bennett, que les médias présente aujourd’hui comme un brave fermier planteur de café à qui Mugabe a fait arracher sa plantation avec sa réforme agraire, lui, il passa toute sa jeunesse dans la BSAP : de 1973, à 17 ans, à juillet 1978.
Et derrière les grosses pointures "blanches" du MDC, nombreuses furent les petites mains, de même couleur et au même passé, qui se mirent à l’ouvrage lors des élections.
Dans un article intitulé "Mugabe coupable, mais pas responsable", le journaliste britannique Chris McGreal décrivit ainsi un homme de terrain du MDC : « Aux élections de 2000, Monty Montgomery dirigeait la campagne du MDC dans la région de Hurungwe et de Kariba. Sa famille résidait au Zimbabwe depuis 1890.
Ses parents avaient enseigné à Bulawayo, dans une école qu’avait fréquentée Verwoerd, l’artisan de l’apartheid en Afrique du Sud. Il avait été recruté par la police rhodésienne et promu officier au bureau tristement célèbre des interrogatoires des prisonniers politiques et des "terroristes", des hommes comme Mugabe. »
Dès lors, les camps étaient bien tranchés et la bataille pour faire tomber Mugabe pouvait s’engager.
Las, Mugabe fut réélu président pour six ans, lors de cette présidentielle qui s’est tenue du 9 au 11 mars 2002, avec 56,2 % des voix contre 41,9 % à Morgan Tsvangirai.
Mugabe avait fait campagne sur la poursuite de sa réforme agraire et avait fait passer une série de lois répressives et de décrets de dernière minute modifiant la loi électorale. Morgan Tsvangirai rejeta le résultat de ce scrutin également contesté par les pays occidentaux, mais qui fut entériné par les Africains.
Les pays occidentaux dénoncèrent les intimidations et les violences alors que l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA), l’Afrique du Sud et les pays voisins du Zimbabwe entérinèrent la victoire de Mugabe.
Après les résultats, Tsvangirai tenta bien d’activer son ancien syndicat, le ZCTU, qui lança un mot d’ordre de grève générale pour contester la réélection de Mugabe, mais sans succès, les populations ayant peu suivi la consigne.
La présidentielle de 2008
Indéniablement la plus chaude, la plus « secouez-moi, secouez-moi », mais aussi la plus surréaliste. On prend les mêmes et on recommence.
Même si Tendai Biti, le secrétaire général du MDC avait annoncé la main encore posée sur les interrupteurs des bureaux de vote que Morgan Tsvangirai avait gagné dès le premier tour avec 60 % des suffrages, tout le monde admis qu’il n’en était rien.
Tsvangirai obtint 47,8 % des suffrages, Mugabe 43,2 % et Simba Makoni 8 %. Tsvangirai rejeta aussitôt ces résultats. Arguant que son pays risquait de plonger dans la guerre civile, il refusa de participer au second tour laissant le champ libre à Mugabe.
Résultat final : 2 150 269 voix pour Mugabe, soit 90,2 % des suffrages et — doit-on oser ? —, 233 000 voix pour Tsvangirai dont la candidature avait été maintenue par le régime.
Mais cette élection donna surtout lieu à un déchainement des passions dans le monde occidental. On put entendre Bernard Kouchner, alors ministre des Affaires étrangères de la France, déclarer que Tsvangirai devait être président parce qu’il avait fait un bon score !
L’Eglise locale parla de génocide, d’autres de guerre civile, Desmond Tutu appela à une intervention militaire étrangère, y compris avec des troupes britanniques comme au bon vieux temps !
David Miliband, ministre britannique des Affaires étrangères, qualifia Mugabe de « souillure » pour son pays.
Pas de chance pour Miliband : en 2013, la « souillure » est toujours là et de nouveau candidat à sa succession malgré ses 89 ans …
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