samedi 3 août 2013

RDC : Carnet de voyage 01

L'imposant fleuve Congo 
Fleuve Congo
 
Le développement de la République démocratique du Congo (RDC) est encore à venir. Beaucoup reste à faire au niveau des infrastructures et de l’accès aux services sociaux de base (eau, électricité, santé, logement décent, transport, etc.). Je m’en suis rendu compte lors de mon séjour dans une ville de l’intérieur.

1. Logement décent: un hôtel à trois étoiles

Je décide de loger dans un hôtel à trois étoiles pour trois raisons : avoir de l’eau courante, de l’électricité en permanence et une connexion internet. Première déception : absence de connexion Internet. Je me rattrape en utilisant mon téléphone portable pour maintenir le contact avec mes correspondants. Deuxième déception : le groupe électrogène fonctionne de 18 h à minuit. Avant et après, pas d’électricité. Impossible d’utiliser l’ordinateur longtemps. Troisième déception : aucune goutte d’eau ne coule du robinet. Il faut se laver à l’eau du fleuve, puisée par une main d’œuvre bon marché. Karol Mukadi dirait: " bijna gratis" (for free). Il s’agit d’une eau non traitée nécessitant d’avoir des ongles pour se gratter après le bain.

N’étant pas venu en villégiature, je décide de sortir pour répondre aux rendez-vous pris dans le cadre de ma mission. Il me faut prendre un moyen de transport. Un autre casse-tête.

2. Transport urbain : une ville, une voiture taxi

Je demande où je peux prendre un taxi. Réponse : il y a un taxi pour toute la ville. Mais ces derniers temps, on ne le voit pas. Suggestion : prenez un taxi moto. Il y en a beaucoup. Je refuse pour une raison simple : le port de casque n’est pas obligatoire ; il est quasi inconnu. On me propose alors une voiture à louer. Pas de choix, j’accepte. Le conducteur-propriétaire m’informe qu’il est assistant en physique dans un institut supérieur de la ville. Il fait le transport privé à ses heures perdues pour, me dit-il, nouer les deux bouts du mois. Il parle un bon français. Nous convenons du prix et, lorsqu’il découvre que je suis professeur à l’Université de Kinshasa, il m’accorde de son propre gré «un rabais». En mon for intérieur je me dis, voilà un bon exemple de solidarité entre enseignants! J’ai bien apprécié et remercié mon « collègue enseignant ». [En fait, j’ai vite conclu à une solidarité entre enseignants sans savoir que l’intéressé n’était pas enseignant. J’apprendrai plus tard qu’il est plutôt machiniste à la MONUSCO. D’ailleurs, le montant convenu après rabais était deux fois plus élevé que le prix réel du marché]. Il m’embarque. Après deux kilomètres nous arrivons au lieu du premier rendez-vous. Après trente minutes d’entretien, nous partons vers le lieu du second rendez-vous. Un kilomètre plus loin, le véhicule s’arrête brusquement. Le conducteur me dit que c’est la première fois que cela lui arrive. Il s’active seul sans mon apport. Je suis nul en mécanique et électricité auto. On passe plus de 45 minutes sans solution. Je décide de partir seul au lieu du second rendez-vous, mais je ne connais pas la ville.

3. GPS et ville fantôme: un mariage blanc

Je me souviens que mon portable est équipé d’un GPS. Je m’en sers des fois à Kinshasa pour trouver une adresse. Je l’actionne et surprise (…) désagréable : « Non data ». Je comprends que je suis dans une ville fantôme, inconnue et indétectable par GPS. Je remets mon portable en poche et réalise que mon second rendez-vous est hypothéqué. Je m’intéresse à un individu qui vient d’arriver sur les lieux.

4. Un mécanicien spécialiste en toutes marques

Le conducteur lui pose une question en une langue sans doute inconnue du babelfish (logiciel de traduction disponible sur internet). Il hoche la tête. Je comprends qu’il est mécanicien et qu’il va nous dépanner. Une heure durant, les deux s’embrouillent. Je rate effectivement mon second rendez-vous puisqu’aucun autre véhicule n’est passé par là. Impatient, je pose la question au mécanicien autoproclamé: vous êtes spécialiste de quelle marque de voiture? Réponse: toutes les marques. Je rétorque que l’on ne peut pas être spécialiste en toutes marques. Il me dit : surtout Peugeot et Renault. Quant aux autres marques, je me débrouille. Deuxième question : vous êtes mécanicien, mais ici nous avons un problème d’allumage. Vous êtes aussi électricien auto? Réponse: non, mais je me débrouille. Il nous suggère de pousser le véhicule jusque chez lui. A 100 mètres, dit-il. Quatre jeunes gens font le boulot. On parcourt plus de deux km et on arrive chez lui.

5. Infrastructures routières en voie de réhabilitation

Le mécanicien habite sur une avenue en voie de réfection. Sans hésiter, je lui pose la question : cette avenue conduit-elle au Gouvernorat? Il répond par l’affirmative. Il me dit que le tronçon à asphalter est de 5 km. Les travaux durent depuis trois ans. On n’a pas encore asphalté. Je souris et comprends que le Gouverneur a eu recours à un adage bien connu:" Qui travaille à l’hôtel, mange à l’hôtel". Une inversion d’un slogan bien qui avait fait la célébrité d’un parti politique aujourd’hui liquidé : "MPR, égal ? Servir. Se servir? Non" (!).

6. Retour à l’hôtel et alimentation bio

Le mécanicien propose de me ramener à l’hôtel à bord de son véhicule. J’accepte sans aucune hésitation car j’étais déjà fatigué. Il s’exécute. Je reviens à l’hôtel : chaleur excessive, pas d’eau au robinet, pas de split en marche, pas de courant pour travailler, impossible de me taper ce sommeil colonial dénommé sieste. Je commande un repas : poisson malangwa, fufu et pondu. Trente minutes après, la serveuse m’informe qu’il n’y a pas de pondu. Elle me propose des légumes verts. Je dis oui. Quinze minutes plus tard, elle m’amène le repas. Malangwa "grillé", fufu et mayonnaise. Pas de légumes verts. Je lui demande où sont les légumes. Elle me dit: « déjà terminé ». Dès que je découpe le poisson, je constate qu’il est saignant à l’intérieur. Je retiens mon souffle. Je sens de la nausée. Je rappelle la serveuse et lui demande de reprendre le repas, de montrer au Chef que je n’ai presque pas mangé et de m’amener l’addition. Celle-ci m’est remise sans délai. Je paie et monte dans ma chambre, souriant car j’étais impuissant à obtenir une solution immédiate par voie judiciaire. Il n’existe pas une voie de contrainte rapide pour obtenir du juge une bonne cuisine dans un hôtel. Je renonce à engager une négociation amiable, dépité par les multiples déboires de la journée. Le soir, on toque à ma chambre. J’ouvre la porte. Le Chef présente ses excuses pour l’incident de la journée. Il propose de me préparer un plat de tilapia aux bananes plantain aux frais de l’hôtel. J’admire son sens de marketing et murmure : « Ah bon! Satisfait ou remboursé ». Je me dis qu’il a compris qu’il y va de la réputation de son institution. J’accepte la proposition et descends au restaurant. Je songe en ce moment à un article du Code civil Napoléon de 1804 (art. 2268/2274) transposé dans notre Code civil, livre III par le décret du Roi souverain du 30 juillet 1886: " La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver" (art. 650). Trente minutes plus tard : un bon repas. Je mange et termine trois bons poissons. Cette fois-ci, je n’ai pas eu droit à la mayonnaise. J’ai même un peu regretté, mais je n’ai pas osé réclamer. Une sauce aux champignons (bio) m’a été servie. J’ai bien compris les recettes de l’hôtel : « fufu+poisson+mayonnaise vs bananes plantain+poisson+ sauce champignons ». Et j’ai bien apprécié.

Conclusion

Nous sommes déconnectés des réalités de l’arrière-pays. Les informations données par les medias ne permettent pas de comprendre le fossé qui sépare la RDC d’un minimum de développement économique et social. Il faut avoir été sur terrain pour s’en rendre compte. On a tendance à contester certains classements émanant des institutions internationales soit disant qu’elles sont contre la RDC. Mais la réalité est là, têtue : " Tout est à (re)faire. La (re)construction de chaque ville et village de l’intérieur demeure un défi lancé aux fils et filles de ce sous-continent. C’est un devoir et une obligation pour chacun d’entre nous".

Un hôtel à trois étoiles sans eau, électricité et Internet, un seul taxi voiture (en panne) pour toute une ville, une ville fantôme inconnue du GPS, des infrastructures routières en réhabilitation à pas de tortue, une alimentation bio sans cuisinier qualifié pour attirer les amateurs de la bonne cuisine. Voilà le décor qui doit changer grâce à l’action de différentes composantes de la Nation : pouvoir central, provinces et entités administratives décentralisées, société civile, diaspora du développement.

Fait à Kinshasa, le 26 juin 2013
Mukadi Bonyi, professeur à l’Université de Kinshasa

© Congoindépendant

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire