Lundi, 05 Août 2013
« Une idée devient une force quand elle s’empare des masses » K. Marx
Dans la deuxième partie de cet article, nous avons essayé d’indiquer comment il pourrait nous être difficile de devenir autonomes dans un pays téléguidé de l’extérieur.
Dans cette dernière partie, nous pensons qu’il y a des luttes d’émancipation (qui se mènent et) à mener pour rompre avec le principe d’hétéronomie et les croyances mythiques en des « bienfaiteurs extérieurs », ‘’fanatiques’’ de nos beaux yeux.
Une bonne partie de la jeunesse congolaise (se joignant aux minorités organisées et résistantes) donne de plus en plus des signaux positifs dans la compréhension des enjeux de notre tragédie et pourrait constituer un espoir pour le Congo de demain.
Depuis l’élection au suffrage universel du premier Ministre congolais Patrice-Emery Lumumba par les Congolais(es), la RDC n’a plus connu une alternative politique au pouvoir autonome. Mobutu fut imposé de l’extérieur. Laurent-Désiré Kabila mêmement. Joseph Kabila a usurpé le fauteuil présidentiel en 2001 après l’assassinat de Mzée.
Et cette usurpation a été légitimée de l’extérieur comme l’atteste un livre bien documenté déjà cité[1]. La mise sous tutelle du pays par l’ONU interposée a davantage enfoncé le clou. Et nous en sommes encore là.
Faisons remarquer qu’à ces différentes étapes de notre histoire politique tourmentée et écrite par les autres, plusieurs d’entre nous ont tenté une réappropriation opportuniste des dictatures successives et de l’occupation de la RDC.
Il y en a d’autres qui, de bonne foi, ont cru que le temps de l’alternance politique était venu.
Par ignorance, par manque de formation et/ou d’information, ils ont cru que les systèmes de gestion politico-économique de la RDC avaient ses véritables filles et fils aux commandes.
Le culte de la personnalité entretenue par les thuriféraires de différents régimes que la RDC a connus depuis l’assassinat de Lumumba a conduit à la création d’une minorité d’élites compradores et à la disqualification, à l’exécution extrajudiciaire, à la prison ou à l’exil des intellectuels critiques et subversifs s’adonnant à des analyses sans complaisance des dérives dictatoriales, psychopathiques et sociopathiques desdits régimes. (Souvent, ces thuriféraires survivent à la mort de « leurs chefs-dictateurs » et s’adonnent au même jeu avec leurs successeurs.)
Sous Mobutu, avec le MPR, nous avions chanté : « Topesaki 5 ans na Mobutu. Tobakisi 10 (ou 15) ans na Mobutu, et nous ajoutions… 100 ans tomotombele… » (Nous avons donné 5 ans à Mobutu. Nous avons ajouté 10 (ou 15) ans à Mobutu…Nous lui souhaitons 100 ans !)
Avec cette chanson abrutissante ( et bien d’autres), les plus opportunistes d’entre nous avaient réussi à effacer petit à petit la véritable origine du pouvoir de Mobutu – un coup d’Etat réussi avec l’appui des forces impérialistes et colonialistes ainsi qu’avec celui de leurs chiens de garde intérieurs- pour en faire « une dictature légitime ».
Plusieurs mythes furent créés pour fabriquer « une nature divine » à Mobutu. L’exploitation capitaliste du pays passa presqu’inaperçue pour plusieurs d’entre nous.
Vers les années 80, l’application des programmes d’ajustements structurels édictés par le FMI (et la Banque mondiale) finit par dévoiler la face cachée du système sur lequel la dictature mobutienne fut fondée : un capitalisme cynique du désastre prônant « une destruction créatrice » de l’ordre du monde existant pour un autre qui lui soit conforme.
La chute du mur de Berlin, les conférences nationales africaines, le discours de François Mitterrand à la Baule , la lettre des 13 parlementaires, etc. ont, vers le début des années 90, créé un contexte où un Mobutu malade fut déclaré « créature de l’histoire » par ceux-là qui, quelques années encore avant, le considéraient comme « leur cher ami ».
Théoriquement, ce contexte a coïncidé avec ce que Francis Fukuyama dénomma « la fin de l’histoire » illustrée par « la fin supposée de l’URSS » et le triomphe de « la démocratie du marché » ayant « le consensus de Washington » comme soubassement ou « matrice organisationnelle ».
Politiquement, en Afrique, ce fut la mise sur orbite de Museveni et Kagame comme « nouveaux leaders de la renaissance africaine ». Economiquement, le capitalisme du désastre poursuivait ses ravages.
Et pour une deuxième fois de notre histoire, les mêmes forces extérieures vont nous duper. Elles vont utiliser « les deux leaders de la renaissance africaines » pour apporter « la libération » sur un plateau doré à la RDC.
Quand « les libérateurs » vont s’engager dans « la guerre de basse intensité » conçue par « l’impérialisme intelligent », plusieurs d’entre nous vont les accueillir en « héros » et ils crieront à leur passage à travers plusieurs villes du pays : « Libérés, libérés, libérés, libérés ! »
Notons que les doutes émis par certains d’entre nous sur les véritables intentions desdits libérateurs furent interprétées comme un sabotage de « la libération ».
Le 02 août 1998, le retournement d’alliance entre le Mzee et ses alliés rwandais et ougandais va mettre fin à « la libération ».
Et pour une deuxième fois, nous avions été plusieurs à croire qu’il était possible que pour nos beaux yeux, il y ait des « libérateurs » téléguidés par les impérialistes et les néocolonialistes afin de rendre possible une réelle alternance de pouvoir politique chez nous.
Cette croyance dans le principe d’’hétéronomie ne changera pas avec la montée de Joseph Kabila sur « le trône » présidentiel en 2001, soutenu par les mêmes alliés pléniers et leurs « nègres de service ».
Comment serrait née cette croyance en des « bienfaiteurs » extérieurs, capitalistes sans scrupules, et quand même « soucieux » du bonheur de la RDC en lieu et place de ses propres filles et fils ?
Etudiant les phénomènes décivilisateurs des impérialistes et des colonialistes, Aimé Césaire avait pu relever comment ils les déshumanisent en éveillant chez eux des bas instincts (violence, tribalisme, racisme, ethnicisme, etc.) et les fait tomber dans le relativisme moral.
Il est possible que ces phénomènes décivilisateurs aient à peu près le même impact sur ceux qui en subissent les contrecoups. Leur avatar, la dictature, doit avoir les mêmes effets pervers sur ceux qui en sont les victimes consentantes ou les esclaves volontaires ; à l’exception des intelligences sages et éveillées.
Il ne nous semble pas possible d’accéder à une véritable alternance politique en RDC sans un immense effort de changement de croyance dans le principe d’hétéronomie et une thérapie de choc re-civilisatrice.
Revenons à notre troisième duperie après Mobutu et Laurent-Désiré Kabila. N’ayant pas choisi Joseph Kabila, méconnaissant, à tort ou à raison, les mécanismes mis en branle pour qu’il usurpe le pouvoir, plusieurs d’entre nous nous ont fait croire qu’il est issu d’un processus électoral normal.
D’abord en 2006 et ensuite en 2011. Tous les démentis apportés à cette croyance n’y ont rien changé. Il y a pire. Certains d’entre nous reconnaissent que le processus électoral de 2011 a été chaotique et que Joseph Kabila a orchestré un coup d’Etat.
Malgré cela, ils estiment qu’il peut, en toute illégitimité, travailler à la cohésion du pays en convoquant « un dialogue national ». La loi électorale ayant guidée ces fameuses élections n’est presque pas évoquée.
Et ceux qui ont initié la tricherie et « les receleurs », tout ce beau monde croit qu’il fait de la politique en passant outre toutes les règles que « l’art de la politique » exige et en évitant d’aborder la question de la sanction négative.
Tout ce beau monde a bousculé la RDC dans l’anomie. Et malgré tout, il croit en une alternance du pouvoir politique ouvrant la RDC à la démocratie ! Il s’engage sur la voie de la falsification de l’histoire collective du pays en gommant, par action, par ignorance, par mauvaise foi ou opportunisme, les origines hétéronomes du pouvoir kabiliste.
Là, il pourrait y avoir quelque indice : ce beau monde pourrait être « la créature » des alliés pléniers, impérialistes et néocolonialistes (sur le déclin) destinée à nous tenir sous leurs bottes. Il ne pourrait pas nous sortir de l’auberge.
Dans cet imbroglio socio-politique, économico-culturel et éthico-spirituel, il y a, paradoxalement, un sentiment patriotique mobilisateur des Congolais(e) ; contre vents et marées.
Le rôle joué par Mobutu pendant « la guerre froide » lui a permis d’être « un dictateur unitariste ». Paradoxalement, le fait que Mobutu ait été « le gendarme » des impérialistes et néocolonialistes au cœur de l’Afrique a, tant soit peu, éviter à l’actuelle RDC d’être « un pays respecté » par tous ses voisins.
Ce sentiment patriotique a marqué profondément certains d’entre nous qui, au cours du règne de Mobutu, ont pris le chemin du maquis à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Après la guerre du 02 août 1998, ce sentiment patriotique s’est renforcé.
Pour cause. La stratégie ayant conduit « les kinois » à maîtriser l’ennemi nous semble avoir été bien conçue. Il y a des discours (malgré certains excès) et des chansons mobilisateurs. Pour une rare fois, les Congolaises et les Congolais étaient disposés, dans leur immense majorité, à mourir pour leur pays.
Ils ont chanté et intériorisé par exemple « Tokufa pona Congo », une chanson-programme-histoire (contenant quelques inexactitudes et se trompant sur le véritable ennemi). Néanmoins, une chanson mobilisatrice, invitant les Congolais(es) à la résistance et à la rupture avec l’esclavage..
Depuis « la guerre de libération », il y a une résistance congolaise consciente des enjeux réels. Il y a une jeunesse montante à l’extérieur et à l’intérieur de notre pays (en marge de quelques minorités organisées) qui, petit à petit, réalise des progrès dans la compréhension des enjeux historiques et politiques de notre tragédie.
Cette jeunesse est en train d’initier une autre façon de faire de la politique et de prendre des risques. (La récente marche des jeunes de Goma contre la Monusco et Joseph Kabila ne devrait pas être considérée comme un fait anodin.
Il en va de même d’une lettre d’un mouvement civique dénommé la Lucha (lutte pour le changement) adressée à la Monusco et aux autres membres de la communauté dite internationale.)
Cette jeunesse est porteuse d’un autre avenir pour notre pays. En son sein, des initiatives d’études collectives autour desdits enjeux sont prises et un esprit de discernement est en train d’être sérieusement acquis.
Il est plus ou moins sûr qu’elle pourra influer sur le changement paradigmatique de certaines croyances mythiques et/ou naïves dans le principe d’hétéronomie en vue d’une rupture avec la mentalité du colonisé et de l’occupé en RDC. Un travail en synergie pourrait conduire à cette rupture sur le moyen terme.
Cette rupture et la thérapie de choc pouvant y conduire sont indispensables à la possibilité d’une véritable alternance politique dans notre pays.
Cette alternance ne pourrait rien dire, même si elle est portée par « une Congolaise ou un Congolais pur jus », si elle évite d’analyser et de trouver une réponse citoyenne à la question fondamentale de l’étatisation des secteurs stratégiques pourvoyeurs de richesses dans notre pays. Ici, les dés semblent piper.
La peur de rompre avec les IFI tétanise « les nègres de service ». Un leadership responsable pourrait y arriver si, dans sa vision du Congo demain portée par les masses populaires, il intègre la justice sociale conduisant à l’appropriation des biens collectifs tels que la terre, l’eau, l’éducation, la santé, l’électricité, etc.
Pour dire les choses autrement, une alternance politique responsable ne peut pas se faire sur fond d’un système économique lié au capitalisme du désastre.
Elle peut être initiée et ne s’achever que si ses initiateurs confèrent à leur politique (ou au vivre-ensemble) une autre matrice organisationnelle. (Les initiateurs du Manifeste convivialiste[2] pensent, par exemple, à une matrice « convivialiste » ; c’est-à-dire fondée éthiquement sur (entre autres) le principe de commune humanité, , le principe de commune socialité et le principe d’opposition maîtrisée.
Les socialistes du XXème siècle , eux, essaient de la fonder sur le coopérativisme et le solidarisme.)
Une alternance politique responsable peut créer de bonnes marges d’autogestion démocratique. Il n’en va pas de même d’une alternance politique cosmétique fût-elle assumée par un autochtone.
Une alternative politique responsable et démocratique confère au vivre-ensemble une base éthique et humaniste.
Elle permet la re-civilisation par des dynamiques autonomisant les partis politiques et les mouvements sociaux en en faisant participer au débat, à la délibération, à la décision et à l’action sur les questions d’intérêt collectif en suivant ce principe simple : « Ce qui concerne tout le monde doit pouvoir être traité par tout le monde ».
Faut-il nécessairement une alternance politique pour que cette participation citoyenne soit garantie ? Non et oui.
Certains pouvoirs monarchiques et certaines royautés ont été, à travers l’histoire africaine, ouverts à la palabre démocratique. Ils avaient peut être la chance d’avoir des lieux d’initiation au sens de la vie, aux principes du vivre-ensemble, à « l’art de la politique » ainsi que des contre-pouvoirs. (Dans certains cas, la reine-mère, le griot ou le sorcier du village assumer ce rôle du contre-pouvoir pour la protection et le triomphe de la vie.)
N’exagérons rien en niant l’existence de toute forme de violence dans nos sociétés traditionnelles. Néanmoins, nous soutenons que leurs fondements éthiques plaidaient souvent pour la protection et la promotion de la vie avec tout ce que cela implique[3].
Positivement, une alternance politique responsable peut provoquer de l’émulation dans la gestion politique-économique du vivre-ensemble.
Elle peut être un antidote contre le carrièrisme en politique, la monotonie, le manque de créativité, d’inventivité et d’imagination. Elle est à la fois une question d’éthique individuelle et collective. Elle est aussi une question structurelle.
Elle ne peut être porteuse d’avenir que si elle contribue profondément au changement des structures génératrices de la violence, de la corruption et de la mort. Elle est enfin une question d’interdépendance : d’une interdépendance (entre des pays alliés et amis) respectueux de l’autonomie et de la souveraineté des autres et du droit internationale.
Elle advient à court, moyen et long terme, au bout des luttes de résistance (portées surtout par les paysans, les jeunes et les femmes) toujours recommencées pour rompre consciemment avec des croyances mythiques abrutissantes et déshumanisantes en vue d’une re-civilisation promotrice d’une interdépendance responsable.
Ces luttes d’émancipation restent attentives aux alliances géostratégiques porteuses d’un avenir plus humain.
__________________
Mbelu Babanya Kabudi
Congoone
---------------
[1] C. ONANA, Europe, crimes et censure au Congo. Les documents qui accusent, Paris, Duboiris, 20012.
[2] Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance, Paris, Le bord de l’eau, 2013.
[3] Lire J. KI-ZERBO, A quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Paris, L’aube, 2003.
« Une idée devient une force quand elle s’empare des masses » K. Marx
Dans la deuxième partie de cet article, nous avons essayé d’indiquer comment il pourrait nous être difficile de devenir autonomes dans un pays téléguidé de l’extérieur.
Dans cette dernière partie, nous pensons qu’il y a des luttes d’émancipation (qui se mènent et) à mener pour rompre avec le principe d’hétéronomie et les croyances mythiques en des « bienfaiteurs extérieurs », ‘’fanatiques’’ de nos beaux yeux.
Une bonne partie de la jeunesse congolaise (se joignant aux minorités organisées et résistantes) donne de plus en plus des signaux positifs dans la compréhension des enjeux de notre tragédie et pourrait constituer un espoir pour le Congo de demain.
Depuis l’élection au suffrage universel du premier Ministre congolais Patrice-Emery Lumumba par les Congolais(es), la RDC n’a plus connu une alternative politique au pouvoir autonome. Mobutu fut imposé de l’extérieur. Laurent-Désiré Kabila mêmement. Joseph Kabila a usurpé le fauteuil présidentiel en 2001 après l’assassinat de Mzée.
Et cette usurpation a été légitimée de l’extérieur comme l’atteste un livre bien documenté déjà cité[1]. La mise sous tutelle du pays par l’ONU interposée a davantage enfoncé le clou. Et nous en sommes encore là.
Faisons remarquer qu’à ces différentes étapes de notre histoire politique tourmentée et écrite par les autres, plusieurs d’entre nous ont tenté une réappropriation opportuniste des dictatures successives et de l’occupation de la RDC.
Il y en a d’autres qui, de bonne foi, ont cru que le temps de l’alternance politique était venu.
Par ignorance, par manque de formation et/ou d’information, ils ont cru que les systèmes de gestion politico-économique de la RDC avaient ses véritables filles et fils aux commandes.
Le culte de la personnalité entretenue par les thuriféraires de différents régimes que la RDC a connus depuis l’assassinat de Lumumba a conduit à la création d’une minorité d’élites compradores et à la disqualification, à l’exécution extrajudiciaire, à la prison ou à l’exil des intellectuels critiques et subversifs s’adonnant à des analyses sans complaisance des dérives dictatoriales, psychopathiques et sociopathiques desdits régimes. (Souvent, ces thuriféraires survivent à la mort de « leurs chefs-dictateurs » et s’adonnent au même jeu avec leurs successeurs.)
Sous Mobutu, avec le MPR, nous avions chanté : « Topesaki 5 ans na Mobutu. Tobakisi 10 (ou 15) ans na Mobutu, et nous ajoutions… 100 ans tomotombele… » (Nous avons donné 5 ans à Mobutu. Nous avons ajouté 10 (ou 15) ans à Mobutu…Nous lui souhaitons 100 ans !)
Avec cette chanson abrutissante ( et bien d’autres), les plus opportunistes d’entre nous avaient réussi à effacer petit à petit la véritable origine du pouvoir de Mobutu – un coup d’Etat réussi avec l’appui des forces impérialistes et colonialistes ainsi qu’avec celui de leurs chiens de garde intérieurs- pour en faire « une dictature légitime ».
Plusieurs mythes furent créés pour fabriquer « une nature divine » à Mobutu. L’exploitation capitaliste du pays passa presqu’inaperçue pour plusieurs d’entre nous.
Vers les années 80, l’application des programmes d’ajustements structurels édictés par le FMI (et la Banque mondiale) finit par dévoiler la face cachée du système sur lequel la dictature mobutienne fut fondée : un capitalisme cynique du désastre prônant « une destruction créatrice » de l’ordre du monde existant pour un autre qui lui soit conforme.
La chute du mur de Berlin, les conférences nationales africaines, le discours de François Mitterrand à la Baule , la lettre des 13 parlementaires, etc. ont, vers le début des années 90, créé un contexte où un Mobutu malade fut déclaré « créature de l’histoire » par ceux-là qui, quelques années encore avant, le considéraient comme « leur cher ami ».
Théoriquement, ce contexte a coïncidé avec ce que Francis Fukuyama dénomma « la fin de l’histoire » illustrée par « la fin supposée de l’URSS » et le triomphe de « la démocratie du marché » ayant « le consensus de Washington » comme soubassement ou « matrice organisationnelle ».
Politiquement, en Afrique, ce fut la mise sur orbite de Museveni et Kagame comme « nouveaux leaders de la renaissance africaine ». Economiquement, le capitalisme du désastre poursuivait ses ravages.
Et pour une deuxième fois de notre histoire, les mêmes forces extérieures vont nous duper. Elles vont utiliser « les deux leaders de la renaissance africaines » pour apporter « la libération » sur un plateau doré à la RDC.
Quand « les libérateurs » vont s’engager dans « la guerre de basse intensité » conçue par « l’impérialisme intelligent », plusieurs d’entre nous vont les accueillir en « héros » et ils crieront à leur passage à travers plusieurs villes du pays : « Libérés, libérés, libérés, libérés ! »
Notons que les doutes émis par certains d’entre nous sur les véritables intentions desdits libérateurs furent interprétées comme un sabotage de « la libération ».
Le 02 août 1998, le retournement d’alliance entre le Mzee et ses alliés rwandais et ougandais va mettre fin à « la libération ».
Et pour une deuxième fois, nous avions été plusieurs à croire qu’il était possible que pour nos beaux yeux, il y ait des « libérateurs » téléguidés par les impérialistes et les néocolonialistes afin de rendre possible une réelle alternance de pouvoir politique chez nous.
Cette croyance dans le principe d’’hétéronomie ne changera pas avec la montée de Joseph Kabila sur « le trône » présidentiel en 2001, soutenu par les mêmes alliés pléniers et leurs « nègres de service ».
Comment serrait née cette croyance en des « bienfaiteurs » extérieurs, capitalistes sans scrupules, et quand même « soucieux » du bonheur de la RDC en lieu et place de ses propres filles et fils ?
Etudiant les phénomènes décivilisateurs des impérialistes et des colonialistes, Aimé Césaire avait pu relever comment ils les déshumanisent en éveillant chez eux des bas instincts (violence, tribalisme, racisme, ethnicisme, etc.) et les fait tomber dans le relativisme moral.
Il est possible que ces phénomènes décivilisateurs aient à peu près le même impact sur ceux qui en subissent les contrecoups. Leur avatar, la dictature, doit avoir les mêmes effets pervers sur ceux qui en sont les victimes consentantes ou les esclaves volontaires ; à l’exception des intelligences sages et éveillées.
Il ne nous semble pas possible d’accéder à une véritable alternance politique en RDC sans un immense effort de changement de croyance dans le principe d’hétéronomie et une thérapie de choc re-civilisatrice.
Revenons à notre troisième duperie après Mobutu et Laurent-Désiré Kabila. N’ayant pas choisi Joseph Kabila, méconnaissant, à tort ou à raison, les mécanismes mis en branle pour qu’il usurpe le pouvoir, plusieurs d’entre nous nous ont fait croire qu’il est issu d’un processus électoral normal.
D’abord en 2006 et ensuite en 2011. Tous les démentis apportés à cette croyance n’y ont rien changé. Il y a pire. Certains d’entre nous reconnaissent que le processus électoral de 2011 a été chaotique et que Joseph Kabila a orchestré un coup d’Etat.
Malgré cela, ils estiment qu’il peut, en toute illégitimité, travailler à la cohésion du pays en convoquant « un dialogue national ». La loi électorale ayant guidée ces fameuses élections n’est presque pas évoquée.
Et ceux qui ont initié la tricherie et « les receleurs », tout ce beau monde croit qu’il fait de la politique en passant outre toutes les règles que « l’art de la politique » exige et en évitant d’aborder la question de la sanction négative.
Tout ce beau monde a bousculé la RDC dans l’anomie. Et malgré tout, il croit en une alternance du pouvoir politique ouvrant la RDC à la démocratie ! Il s’engage sur la voie de la falsification de l’histoire collective du pays en gommant, par action, par ignorance, par mauvaise foi ou opportunisme, les origines hétéronomes du pouvoir kabiliste.
Là, il pourrait y avoir quelque indice : ce beau monde pourrait être « la créature » des alliés pléniers, impérialistes et néocolonialistes (sur le déclin) destinée à nous tenir sous leurs bottes. Il ne pourrait pas nous sortir de l’auberge.
Dans cet imbroglio socio-politique, économico-culturel et éthico-spirituel, il y a, paradoxalement, un sentiment patriotique mobilisateur des Congolais(e) ; contre vents et marées.
Le rôle joué par Mobutu pendant « la guerre froide » lui a permis d’être « un dictateur unitariste ». Paradoxalement, le fait que Mobutu ait été « le gendarme » des impérialistes et néocolonialistes au cœur de l’Afrique a, tant soit peu, éviter à l’actuelle RDC d’être « un pays respecté » par tous ses voisins.
Ce sentiment patriotique a marqué profondément certains d’entre nous qui, au cours du règne de Mobutu, ont pris le chemin du maquis à l’intérieur ou à l’extérieur du pays.
Après la guerre du 02 août 1998, ce sentiment patriotique s’est renforcé.
Pour cause. La stratégie ayant conduit « les kinois » à maîtriser l’ennemi nous semble avoir été bien conçue. Il y a des discours (malgré certains excès) et des chansons mobilisateurs. Pour une rare fois, les Congolaises et les Congolais étaient disposés, dans leur immense majorité, à mourir pour leur pays.
Ils ont chanté et intériorisé par exemple « Tokufa pona Congo », une chanson-programme-histoire (contenant quelques inexactitudes et se trompant sur le véritable ennemi). Néanmoins, une chanson mobilisatrice, invitant les Congolais(es) à la résistance et à la rupture avec l’esclavage..
Depuis « la guerre de libération », il y a une résistance congolaise consciente des enjeux réels. Il y a une jeunesse montante à l’extérieur et à l’intérieur de notre pays (en marge de quelques minorités organisées) qui, petit à petit, réalise des progrès dans la compréhension des enjeux historiques et politiques de notre tragédie.
Cette jeunesse est en train d’initier une autre façon de faire de la politique et de prendre des risques. (La récente marche des jeunes de Goma contre la Monusco et Joseph Kabila ne devrait pas être considérée comme un fait anodin.
Il en va de même d’une lettre d’un mouvement civique dénommé la Lucha (lutte pour le changement) adressée à la Monusco et aux autres membres de la communauté dite internationale.)
Cette jeunesse est porteuse d’un autre avenir pour notre pays. En son sein, des initiatives d’études collectives autour desdits enjeux sont prises et un esprit de discernement est en train d’être sérieusement acquis.
Il est plus ou moins sûr qu’elle pourra influer sur le changement paradigmatique de certaines croyances mythiques et/ou naïves dans le principe d’hétéronomie en vue d’une rupture avec la mentalité du colonisé et de l’occupé en RDC. Un travail en synergie pourrait conduire à cette rupture sur le moyen terme.
Cette rupture et la thérapie de choc pouvant y conduire sont indispensables à la possibilité d’une véritable alternance politique dans notre pays.
Cette alternance ne pourrait rien dire, même si elle est portée par « une Congolaise ou un Congolais pur jus », si elle évite d’analyser et de trouver une réponse citoyenne à la question fondamentale de l’étatisation des secteurs stratégiques pourvoyeurs de richesses dans notre pays. Ici, les dés semblent piper.
La peur de rompre avec les IFI tétanise « les nègres de service ». Un leadership responsable pourrait y arriver si, dans sa vision du Congo demain portée par les masses populaires, il intègre la justice sociale conduisant à l’appropriation des biens collectifs tels que la terre, l’eau, l’éducation, la santé, l’électricité, etc.
Pour dire les choses autrement, une alternance politique responsable ne peut pas se faire sur fond d’un système économique lié au capitalisme du désastre.
Elle peut être initiée et ne s’achever que si ses initiateurs confèrent à leur politique (ou au vivre-ensemble) une autre matrice organisationnelle. (Les initiateurs du Manifeste convivialiste[2] pensent, par exemple, à une matrice « convivialiste » ; c’est-à-dire fondée éthiquement sur (entre autres) le principe de commune humanité, , le principe de commune socialité et le principe d’opposition maîtrisée.
Les socialistes du XXème siècle , eux, essaient de la fonder sur le coopérativisme et le solidarisme.)
Une alternance politique responsable peut créer de bonnes marges d’autogestion démocratique. Il n’en va pas de même d’une alternance politique cosmétique fût-elle assumée par un autochtone.
Une alternative politique responsable et démocratique confère au vivre-ensemble une base éthique et humaniste.
Elle permet la re-civilisation par des dynamiques autonomisant les partis politiques et les mouvements sociaux en en faisant participer au débat, à la délibération, à la décision et à l’action sur les questions d’intérêt collectif en suivant ce principe simple : « Ce qui concerne tout le monde doit pouvoir être traité par tout le monde ».
Faut-il nécessairement une alternance politique pour que cette participation citoyenne soit garantie ? Non et oui.
Certains pouvoirs monarchiques et certaines royautés ont été, à travers l’histoire africaine, ouverts à la palabre démocratique. Ils avaient peut être la chance d’avoir des lieux d’initiation au sens de la vie, aux principes du vivre-ensemble, à « l’art de la politique » ainsi que des contre-pouvoirs. (Dans certains cas, la reine-mère, le griot ou le sorcier du village assumer ce rôle du contre-pouvoir pour la protection et le triomphe de la vie.)
N’exagérons rien en niant l’existence de toute forme de violence dans nos sociétés traditionnelles. Néanmoins, nous soutenons que leurs fondements éthiques plaidaient souvent pour la protection et la promotion de la vie avec tout ce que cela implique[3].
Positivement, une alternance politique responsable peut provoquer de l’émulation dans la gestion politique-économique du vivre-ensemble.
Elle peut être un antidote contre le carrièrisme en politique, la monotonie, le manque de créativité, d’inventivité et d’imagination. Elle est à la fois une question d’éthique individuelle et collective. Elle est aussi une question structurelle.
Elle ne peut être porteuse d’avenir que si elle contribue profondément au changement des structures génératrices de la violence, de la corruption et de la mort. Elle est enfin une question d’interdépendance : d’une interdépendance (entre des pays alliés et amis) respectueux de l’autonomie et de la souveraineté des autres et du droit internationale.
Elle advient à court, moyen et long terme, au bout des luttes de résistance (portées surtout par les paysans, les jeunes et les femmes) toujours recommencées pour rompre consciemment avec des croyances mythiques abrutissantes et déshumanisantes en vue d’une re-civilisation promotrice d’une interdépendance responsable.
Ces luttes d’émancipation restent attentives aux alliances géostratégiques porteuses d’un avenir plus humain.
__________________
Mbelu Babanya Kabudi
Congoone
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[1] C. ONANA, Europe, crimes et censure au Congo. Les documents qui accusent, Paris, Duboiris, 20012.
[2] Manifeste convivialiste. Déclaration d’interdépendance, Paris, Le bord de l’eau, 2013.
[3] Lire J. KI-ZERBO, A quand l’Afrique ? Entretien avec René Holenstein, Paris, L’aube, 2003.
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