Au mépris de la loi, policiers et commerçants organisent des circuits qui s’approchent de la tribu isolée Jarawa, sur l’archipel des Andaman.
Ces safaris humains dégradants attirent curieux et voyeurs.
La tribu des Jarawa ne compte que 400 représentants dans l’archipel indien des Andaman.
Sur la capture d’écran de la vidéo de “The Observer” : “Danse pour moi… danse maintenant.”
Venus d’Afrique
Selon les anthropologues, les Jarawa descendent des premiers hommes qui ont quitté l’Afrique. Les hommes chassent le cochon et la tortue avec des arcs et des flèches ; les femmes ramassent des fruits et du miel.
Ils n’ont pas de dieux. Les morts sont laissés sous un arbre. Les os, attachés en parure autour du corps, servent ensuite de porte-bonheur aux chasseurs.
“Danse”, ordonne le policier. Les jeunes femmes, seins nus, obéissent. La caméra se déplace vers une autre jeune femme qui tient devant elle un sac de céréales, l’air embarrassé.
“Danse pour moi”, ordonne à nouveau le policier. Elle pouffe puis sautille timidement d’un pied sur l’autre. La caméra revient sur les autres femmes qui tapent dans leurs mains et se balancent.
Voici le genre de vidéo que rêvent de tourner les touristes qui partent “en safari” dans la jungle des îles Andaman. La beauté de la forêt ne sert que de décor. Le but du voyage est de voir les Jarawa, une tribu isolée qui commence tout juste à entrer en contact avec le monde extérieur.
Les Jarawa, qui comptent environ 400 membres et vivent sur une réserve forestière de 1 021 kilomètres carrés sur l’île Andaman du Sud, dans l’archipel des Andaman, sont francs, innocents et extrêmement vulnérables à l’exploitation.
Les îles, qui appartiennent à l’Inde, constituent un énorme aimant à touristes. La police y a pour mission de protéger les Jarawa des étrangers voyeurs. Mais cette fois-ci, en échange d’un pot-de-vin d’environ 15 000 roupies [240 euros], l’agent de police a accepté d’aller convaincre les femmes de danser pour la caméra.
“Je vous ai donné à manger”, leur rappelle-t-il au début de la vidéo. Tous les jours, des centaines de voitures empruntent la Andaman Trunk Road, l’axe routier qui serpente à travers la réserve.
Des panneaux à l’entrée rappellent les règles : pas de photos, pas de contact, rien qui puisse déranger les Jarawa. La plupart d’entre eux ont déjà bien du mal à se prémunir contre les maladies venues du monde extérieur qui les tourmentent depuis qu’ils ont commencé à sortir de la jungle, il y a quatorze ans.
Mais le jour de notre visite, à peine le portail s’ouvre-t-il que les appareils photo se mettent à crépiter. Les touristes jettent bananes et biscuits aux Jarawa qui passent au bord de la route, comme ils le feraient dans un parc animalier.
La boutique des frères Vyas, à Port Blair, le chef-lieu des îles Andaman, vend des objets artisanaux confectionnés par les Jarawa.
Rajesh Vyas se fait un plaisir de nous donner le prix d’une journée en compagnie des Jarawa : jusqu’à 15 000 roupies pour acheter la police, plus 10 000 à 15 000 roupies pour la location d’une voiture avec chauffeur, qui comprend aussi les cadeaux pour les Jarawa et de quoi grignoter. Contact garanti, promet-il.
Le jour se lève tôt dans les Andaman. A 5 h 30, une file d’environ 130 voitures et 25 bus attend l’ouverture des portes. Vyas a trouvé un chauffeur, Guddu, prêt à prendre un passager qui souhaite photographier les Jarawa, bien que ce soit illégal. Les voitures ouvrent le cortège.
Tout d’un coup, Guddu écrase la pédale de frein. “Prendre photo. Photo, photo !” : juste devant le véhicule, deux femmes jarawa viennent de sortir de la forêt. Aucun policier ni agent de sécurité en vue. L’une s’arrête devant la voiture tandis que l’autre se dirige vers nous. Elle se penche vers la fenêtre, bras tendu.
Guddu appuie sur l’accélérateur et les femmes disparaissent de notre champ de vision. Que voulaient-elles ? De la nourriture, répond Guddu. Ou de l’argent. Peut-être l’appareil photo.
Une heure plus tard, même manège avec un autre cortège de touristes. Cette fois, les Jarawa sont plus nombreux ; on compte des hommes, des femmes et des enfants, assis ou debout sur le bord de la route. Ils sont gardés par la police qui fait signe aux véhicules de passer, mais il est clair que le groupe s’est rassemblé là parce que les convois y passent.
Denis Giles est journaliste à l’Andaman Chronicle, le journal local. Il nous explique que ce sont surtout les jeunes qui sortent de la jungle, fascinés par les étrangers et ce qu’ils ont à offrir.
En grandissant, ils perdent cette curiosité et réalisent que le monde extérieur n’est pas fait pour eux.
“Je pense qu’un beau jour les Jarawa devront sortir [de leur forêt] et se mélanger. Ils ne pourront pas rester éternellement dans la forêt. Mais il ne faudrait pas que ce soit un choc culturel pour eux ; il faudrait qu’ils aillent à leur rythme”, ajoute-t-il.
Au lieu de cela, les Jarawa sont poussés à se rapprocher des touristes et des autres habitants de l’île.
Ils pensent que la police les protège, déclare Giles, mais en réalité elle les utilise. Il dit que la police leur a appris à mendier ; elle récupère l’argent qu’ils récoltent et leur donnent en échange du tabac, qu’ils ne consommaient pas avant, et de la nourriture.
Les risques d’abus sont évidents. Giles ajoute que certaines femmes jarawa ont donné naissance à des enfants dont le père est un étranger. Ces bébés ne sont pas acceptés par la tribu et sont tués, raconte-t-il.
Pour réduire les contacts, les autorités locales ont limité le nombre des convois à huit par jour mais elles se refusent à fermer complètement la route, comme la Cour suprême l’avait ordonné en 2002.
Trop de monde dépend de cet axe pour vivre. Elles préfèrent jouer la montre sans savoir réellement quelle mesure prendre : couper les Jarawa du reste du monde pour leur bien ou permettre à ceux qui le désirent de communiquer avec les étrangers ?
[En vidéo, entretien avec Sophie Baillon, responsable de la communication de Survival International en France, qui milite aussi pour la fermeture de la route].
“Ce sont des êtres humains. Aujourd’hui, ils nous regardent. Ils sont à la croisée des chemins. Mais nous ne savons pas vraiment ce qu’ils souhaitent”, confie Ajai Saxena, le secrétaire de l’Andaman Adim Janjati Vikas Samiti, le bureau de protection des autochtones de l’île.
Ce n’est qu’en 1998 que les Jarawa ont commencé à s’aventurer hors de la jungle. Deux ans auparavant, un jeune homme nommé Enmai s’était cassé la jambe au cours d’un raid contre un hameau situé à la limite de la réserve. Il avait été conduit à l’hôpital pour être soigné, puis, de retour parmi les siens, s’était mis à parler avec enthousiasme du monde extérieur.
Cela a suffi pour convaincre certains de renoncer à l’hostilité traditionnelle vis-à-vis des étrangers. Certains se sont mis à considérer la route comme un nouveau terrain de prospection, un endroit où l’on pouvait facilement trouver de bonnes choses à manger. Ce n’est pas tout ce qu’ils ont trouvé.
Comme nombre de tribus totalement isolées, les Jarawa sont vulnérables aux maladies inhabituelles. Ils ont commencé à attraper la rougeole, les oreillons et même le paludisme, contre lequel ils semblaient être immunisés auparavant. Certains se sont aussi mis à adopter les vices des étrangers : tabac, alcool et bétel (un stimulant léger).
Pour les autorités responsables de la protection des Jarawa, la seule solution est de tenir ceux-ci à l’écart des étrangers le plus longtemps possible.
“La coexistence forcée serait un génocide”, déclare Anstice Justin, qui dirige l’antenne locale de l’Anthropological Survey of India [organisme dépendant du ministère de la Culture qui étudie les populations de l’Inde]. Il rappelle le cas d’Enmai : devenu une petite célébrité après ses aventures, le jeune homme a fini par cesser de sortir de la jungle.
“Les Jarawa sont profondément convaincus qu’il n’est pas bon d’avoir des contacts avec les étrangers”, confirme Justin.
En 2007, le gouvernement a établi une zone tampon autour de la réserve dans l’espoir de protéger la tribu du monde extérieur, en particulier d’une station balnéaire de luxe que le tour-opérateur Barefoot India était en train de construire à la limite de la réserve.
Barefoot India a aussitôt engagé des avocats pour attaquer la décision. L’affaire est actuellement examinée par la Cour suprême et la station balnéaire est à l’abandon. Mais les safaris continuent, à raison de huit par jour, et la police reconnaît son impuissance à empêcher tout contact entre les Jarawa et les touristes.
“Le système n’est pas parfait mais nous faisons des efforts”, déclare SB Tyagi, le commissaire de l’île d’Andaman du Sud.
“Dès que nous apprenons qu’un agent s’est mal conduit, nous traitons l’affaire. Il a pu y avoir des incidents où nos agents ont fait preuve de négligence et nous avons pris des mesures”, assure-t-il. Il évoque le cas d’un policier qui a été sanctionné pour avoir laissé deux chauffeurs emmener des jeunes filles jarawa dans la jungle.
“Qui sait ce qu’ils voulaient. Certains ne peuvent s’empêcher de considérer les femmes jarawa comme des objets sexuels.” En guise de punition, le policier en question a vu la promotion qu’il attendait retardée de six mois.
Pour Survival International, l’organisation qui lutte pour les droits des peuples indigènes et fait campagne pour les Jarawa depuis vingt ans, la situation actuelle est précaire.
“Ils pourraient très facilement être décimés ou réduits à l’état de dépendance, comme c’est arrivé à tant d’autres tribus dans le monde”, déclare Sophie Grig, porte-parole de l’organisation. La fermeture de la route permettrait au moins à la tribu de décider si elle veut ou non avoir des contacts avec les étrangers.
Tout le monde n’est pas de cet avis. Pour le député local, il est vain d’essayer de garder les Jarawa à l’écart. En revanche, s’il y a une chose que tout le monde souhaite, c’est leur éviter le sort qu’ont connu les Grands Andamanais, qui vivaient jadis dans les environs de Port Blair.
De 10 000 personnes à la fin du XVIIIe siècle, leur population est passée à une cinquantaine de personnes aujourd’hui. Ils sont sur le point de disparaître. “Ils ont perdu goût à la vie, explique Denis Giles.
Le gouvernement leur a donné des logements, des biens matériels, des emplois, mais ils se sont mis à boire et à mendier. Ils ont perdu leur estime d’eux-mêmes, leur langue et leur culture. Il est facile pour les responsables politiques de prôner l’intégration. C’est une tout autre chose de la mettre en pratique.”
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The Observer
| Gethin Chamberlain
Ces safaris humains dégradants attirent curieux et voyeurs.
La tribu des Jarawa ne compte que 400 représentants dans l’archipel indien des Andaman.
Sur la capture d’écran de la vidéo de “The Observer” : “Danse pour moi… danse maintenant.”
Venus d’Afrique
Selon les anthropologues, les Jarawa descendent des premiers hommes qui ont quitté l’Afrique. Les hommes chassent le cochon et la tortue avec des arcs et des flèches ; les femmes ramassent des fruits et du miel.
Ils n’ont pas de dieux. Les morts sont laissés sous un arbre. Les os, attachés en parure autour du corps, servent ensuite de porte-bonheur aux chasseurs.
“Danse”, ordonne le policier. Les jeunes femmes, seins nus, obéissent. La caméra se déplace vers une autre jeune femme qui tient devant elle un sac de céréales, l’air embarrassé.
“Danse pour moi”, ordonne à nouveau le policier. Elle pouffe puis sautille timidement d’un pied sur l’autre. La caméra revient sur les autres femmes qui tapent dans leurs mains et se balancent.
Voici le genre de vidéo que rêvent de tourner les touristes qui partent “en safari” dans la jungle des îles Andaman. La beauté de la forêt ne sert que de décor. Le but du voyage est de voir les Jarawa, une tribu isolée qui commence tout juste à entrer en contact avec le monde extérieur.
Les Jarawa, qui comptent environ 400 membres et vivent sur une réserve forestière de 1 021 kilomètres carrés sur l’île Andaman du Sud, dans l’archipel des Andaman, sont francs, innocents et extrêmement vulnérables à l’exploitation.
Les îles, qui appartiennent à l’Inde, constituent un énorme aimant à touristes. La police y a pour mission de protéger les Jarawa des étrangers voyeurs. Mais cette fois-ci, en échange d’un pot-de-vin d’environ 15 000 roupies [240 euros], l’agent de police a accepté d’aller convaincre les femmes de danser pour la caméra.
“Je vous ai donné à manger”, leur rappelle-t-il au début de la vidéo. Tous les jours, des centaines de voitures empruntent la Andaman Trunk Road, l’axe routier qui serpente à travers la réserve.
Des panneaux à l’entrée rappellent les règles : pas de photos, pas de contact, rien qui puisse déranger les Jarawa. La plupart d’entre eux ont déjà bien du mal à se prémunir contre les maladies venues du monde extérieur qui les tourmentent depuis qu’ils ont commencé à sortir de la jungle, il y a quatorze ans.
Mais le jour de notre visite, à peine le portail s’ouvre-t-il que les appareils photo se mettent à crépiter. Les touristes jettent bananes et biscuits aux Jarawa qui passent au bord de la route, comme ils le feraient dans un parc animalier.
La boutique des frères Vyas, à Port Blair, le chef-lieu des îles Andaman, vend des objets artisanaux confectionnés par les Jarawa.
Rajesh Vyas se fait un plaisir de nous donner le prix d’une journée en compagnie des Jarawa : jusqu’à 15 000 roupies pour acheter la police, plus 10 000 à 15 000 roupies pour la location d’une voiture avec chauffeur, qui comprend aussi les cadeaux pour les Jarawa et de quoi grignoter. Contact garanti, promet-il.
Le jour se lève tôt dans les Andaman. A 5 h 30, une file d’environ 130 voitures et 25 bus attend l’ouverture des portes. Vyas a trouvé un chauffeur, Guddu, prêt à prendre un passager qui souhaite photographier les Jarawa, bien que ce soit illégal. Les voitures ouvrent le cortège.
Tout d’un coup, Guddu écrase la pédale de frein. “Prendre photo. Photo, photo !” : juste devant le véhicule, deux femmes jarawa viennent de sortir de la forêt. Aucun policier ni agent de sécurité en vue. L’une s’arrête devant la voiture tandis que l’autre se dirige vers nous. Elle se penche vers la fenêtre, bras tendu.
Guddu appuie sur l’accélérateur et les femmes disparaissent de notre champ de vision. Que voulaient-elles ? De la nourriture, répond Guddu. Ou de l’argent. Peut-être l’appareil photo.
Une heure plus tard, même manège avec un autre cortège de touristes. Cette fois, les Jarawa sont plus nombreux ; on compte des hommes, des femmes et des enfants, assis ou debout sur le bord de la route. Ils sont gardés par la police qui fait signe aux véhicules de passer, mais il est clair que le groupe s’est rassemblé là parce que les convois y passent.
Denis Giles est journaliste à l’Andaman Chronicle, le journal local. Il nous explique que ce sont surtout les jeunes qui sortent de la jungle, fascinés par les étrangers et ce qu’ils ont à offrir.
En grandissant, ils perdent cette curiosité et réalisent que le monde extérieur n’est pas fait pour eux.
“Je pense qu’un beau jour les Jarawa devront sortir [de leur forêt] et se mélanger. Ils ne pourront pas rester éternellement dans la forêt. Mais il ne faudrait pas que ce soit un choc culturel pour eux ; il faudrait qu’ils aillent à leur rythme”, ajoute-t-il.
Au lieu de cela, les Jarawa sont poussés à se rapprocher des touristes et des autres habitants de l’île.
Ils pensent que la police les protège, déclare Giles, mais en réalité elle les utilise. Il dit que la police leur a appris à mendier ; elle récupère l’argent qu’ils récoltent et leur donnent en échange du tabac, qu’ils ne consommaient pas avant, et de la nourriture.
Les risques d’abus sont évidents. Giles ajoute que certaines femmes jarawa ont donné naissance à des enfants dont le père est un étranger. Ces bébés ne sont pas acceptés par la tribu et sont tués, raconte-t-il.
Pour réduire les contacts, les autorités locales ont limité le nombre des convois à huit par jour mais elles se refusent à fermer complètement la route, comme la Cour suprême l’avait ordonné en 2002.
Trop de monde dépend de cet axe pour vivre. Elles préfèrent jouer la montre sans savoir réellement quelle mesure prendre : couper les Jarawa du reste du monde pour leur bien ou permettre à ceux qui le désirent de communiquer avec les étrangers ?
[En vidéo, entretien avec Sophie Baillon, responsable de la communication de Survival International en France, qui milite aussi pour la fermeture de la route].
“Ce sont des êtres humains. Aujourd’hui, ils nous regardent. Ils sont à la croisée des chemins. Mais nous ne savons pas vraiment ce qu’ils souhaitent”, confie Ajai Saxena, le secrétaire de l’Andaman Adim Janjati Vikas Samiti, le bureau de protection des autochtones de l’île.
Ce n’est qu’en 1998 que les Jarawa ont commencé à s’aventurer hors de la jungle. Deux ans auparavant, un jeune homme nommé Enmai s’était cassé la jambe au cours d’un raid contre un hameau situé à la limite de la réserve. Il avait été conduit à l’hôpital pour être soigné, puis, de retour parmi les siens, s’était mis à parler avec enthousiasme du monde extérieur.
Cela a suffi pour convaincre certains de renoncer à l’hostilité traditionnelle vis-à-vis des étrangers. Certains se sont mis à considérer la route comme un nouveau terrain de prospection, un endroit où l’on pouvait facilement trouver de bonnes choses à manger. Ce n’est pas tout ce qu’ils ont trouvé.
Comme nombre de tribus totalement isolées, les Jarawa sont vulnérables aux maladies inhabituelles. Ils ont commencé à attraper la rougeole, les oreillons et même le paludisme, contre lequel ils semblaient être immunisés auparavant. Certains se sont aussi mis à adopter les vices des étrangers : tabac, alcool et bétel (un stimulant léger).
Pour les autorités responsables de la protection des Jarawa, la seule solution est de tenir ceux-ci à l’écart des étrangers le plus longtemps possible.
“La coexistence forcée serait un génocide”, déclare Anstice Justin, qui dirige l’antenne locale de l’Anthropological Survey of India [organisme dépendant du ministère de la Culture qui étudie les populations de l’Inde]. Il rappelle le cas d’Enmai : devenu une petite célébrité après ses aventures, le jeune homme a fini par cesser de sortir de la jungle.
“Les Jarawa sont profondément convaincus qu’il n’est pas bon d’avoir des contacts avec les étrangers”, confirme Justin.
En 2007, le gouvernement a établi une zone tampon autour de la réserve dans l’espoir de protéger la tribu du monde extérieur, en particulier d’une station balnéaire de luxe que le tour-opérateur Barefoot India était en train de construire à la limite de la réserve.
Barefoot India a aussitôt engagé des avocats pour attaquer la décision. L’affaire est actuellement examinée par la Cour suprême et la station balnéaire est à l’abandon. Mais les safaris continuent, à raison de huit par jour, et la police reconnaît son impuissance à empêcher tout contact entre les Jarawa et les touristes.
“Le système n’est pas parfait mais nous faisons des efforts”, déclare SB Tyagi, le commissaire de l’île d’Andaman du Sud.
“Dès que nous apprenons qu’un agent s’est mal conduit, nous traitons l’affaire. Il a pu y avoir des incidents où nos agents ont fait preuve de négligence et nous avons pris des mesures”, assure-t-il. Il évoque le cas d’un policier qui a été sanctionné pour avoir laissé deux chauffeurs emmener des jeunes filles jarawa dans la jungle.
“Qui sait ce qu’ils voulaient. Certains ne peuvent s’empêcher de considérer les femmes jarawa comme des objets sexuels.” En guise de punition, le policier en question a vu la promotion qu’il attendait retardée de six mois.
Pour Survival International, l’organisation qui lutte pour les droits des peuples indigènes et fait campagne pour les Jarawa depuis vingt ans, la situation actuelle est précaire.
“Ils pourraient très facilement être décimés ou réduits à l’état de dépendance, comme c’est arrivé à tant d’autres tribus dans le monde”, déclare Sophie Grig, porte-parole de l’organisation. La fermeture de la route permettrait au moins à la tribu de décider si elle veut ou non avoir des contacts avec les étrangers.
Tout le monde n’est pas de cet avis. Pour le député local, il est vain d’essayer de garder les Jarawa à l’écart. En revanche, s’il y a une chose que tout le monde souhaite, c’est leur éviter le sort qu’ont connu les Grands Andamanais, qui vivaient jadis dans les environs de Port Blair.
De 10 000 personnes à la fin du XVIIIe siècle, leur population est passée à une cinquantaine de personnes aujourd’hui. Ils sont sur le point de disparaître. “Ils ont perdu goût à la vie, explique Denis Giles.
Le gouvernement leur a donné des logements, des biens matériels, des emplois, mais ils se sont mis à boire et à mendier. Ils ont perdu leur estime d’eux-mêmes, leur langue et leur culture. Il est facile pour les responsables politiques de prôner l’intégration. C’est une tout autre chose de la mettre en pratique.”
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The Observer
| Gethin Chamberlain
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