mardi 20 août 2013

Ruberwa, le procès qui le met à nu

Mardi, 20 Août 2013



Pour tous les observateurs avisés, Azarias Ruberwa était, politiquement, jeté aux oubliettes. Définitivement. 


En effet, aux dernières élections générales, son parti, le RCD, Rassemblement congolais pour la démocratie, s’était effondré corps et bien, en ne récoltant aucun élu ! 

Depuis lors, l’homme avait disparu de la scène politique, après avoir réalisé qu’il pesait zéro. 

L’homme s’était même reconverti en défenseur des animaux : les okapis de la réserve d’Epulu en province Orientale. Mais la magie des concertations nationales projetées l’a ressuscité. 

Il a annoncé la participation de son parti à ce forum, ce qui est une occasion inespérée pour tous les partis alimentaires, experts ès négociation de partage du pouvoir, d’espérer arracher un maroquin que son poids réel ne pourrait permettre. 

Seulement voilà : au moment où Ruberwa se rappelle à notre bon souvenir, un procès risque de lui gâcher cette pseudo-rentrée politique. 

Avec comme toile de fond, « l’affaire Afrika TV», qui a le mérite de démonter la vraie nature d’un homme qui, à coup de déclarations et des versets bibliques, avait, un moment, réussi à se donner l’image tranquille d’un chrétien pratiquant.

Notre confrère Belhar Mbuyi, ancien directeur général d’Afrika TV de février 2007 à septembre 2009, a décidé de saisir la justice dans le différend qui l’oppose à la Colombe SPRL, la société propriétaire des deux médias audiovisuelles : la télévision Afrika TV et la radio Afrika FM. 


Le journaliste réclame son décompte final, ainsi que ses salaires cumulés de 30 mois ! Ça c’est le côté pile. Car le côté face de l’affaire met, lourdement, en cause l’ancien vice-Président de la République de la transition 1+4. 

En effet, tout commence en 2005, avec la création même d’Afrika TV. 


Au lendemain de la nomination des mandataires de l’Etat, le RCD s’était tapé un important pacquage des entreprises du portefeuille de l’Etat. Ruberwa demande alors à ses nouveaux ADG et aux autres cadres du parti de contribuer pour la création d’une chaîne de télévision. 

Nombreux mettent la main à la poche pour ce qui, espèrent-ils, était un bien commun du parti. Au total, les contributions atteignent plus de 100 000 dollars américains. 

Un cadre du parti est chargé de réaliser des études de faisabilité du projet, mais tout le monde se surprend d’apprendre que le président du RCD a déjà remis la bagatelle somme de 90 000 euros, environ 120 000 dollars américains à l’époque, à une journaliste de place, aux fins d’aller acheter le matériel en Europe. 

Il sera proprement bleui : la future chaîne commence avec des caméscopes domestiques, des trépieds qui ressemblent aux jambes de libellules, sans régie vidéo, sans aucun banc de montage, sans lumières froides, sans rien. 

Le héraut proclamé de la bonne gouvernance et des valeurs chrétiennes «oublie» également de payer à l’Etat ses droits pour la création de la chaîne de radiotélévision. 

Nul souci : la ministre des PTT de l’époque, Mme Gertrude Kitembo, est membre du RCD. La télé et la radio auront leurs licences d’exploitation sans avoir rien déboursé. Sous d’autres cieux, ça ferait scandale …

Il n’empêche : il faut à présent donner la forme légale à tout ceci. Ruberwa confie la tâche au journaliste Museme Diawe, son conseiller en communication. 


Il est donc décidé la création de la Colombe SPRL, au capital de…10 000 dollars américains, société qui possède le groupe Afrika TV-Afrika FM, dont le matériel a pourtant coûté, officiellement, plus de 120 000 dollars ! 

Ce n’est pas la moindre des incongruités. Ruberwa décide que le capital de la nouvelle société sera détenu par deux de ses proches, à concurrence de 47% chacun : son frère de tribu Charles Mukiza, et Edgard Okende Emungu, ce dernier étant en plus le président du Conseil d’administration. 

Petit souci : les deux hommes sont cadres à la Banque centrale du Congo. 

Ce sont donc des fonctionnaires de l’Etat qui, par voie de conséquence, ne peuvent nullement être des associés d’une société commerciale. 

Mais Ruberwa n’en a cure. Il décide ensuite l’octroi des 6% restants à deux journalistes pour apport en industrie, en raison de 3% chacun : le même Museme Diawe, et Belhar Mbuyi, ancien directeur de la rédaction aux journaux «Le Potentiel» et «Le Soft International». 

Selon les statuts de la Colombe SPRL, c’est le PCA Edgard Okende qui devait désigner officiellement un directeur général pour la radiotélévision Afrika TV-Afrika FM. Mais dans les faits, c’est Ruberwa seul qui désigne, verbalement, Museme à ce poste. 

Ancien de la RTNC, ce dernier se démène, mais tout lui manque pendant qu’il essaie d’équiper la chaîne. Résultat des courses : Afrika TV fait du sur place.

A l’issue d’un audit réalisé par le journaliste et éditeur parisien Eddie Tambwe, Ruberwa décide la démission de Museme, et son remplacement par Belhar Mbuyi. 

Ce dernier prend la précaution d’exiger au préalable une nouvelle étude de faisabilité du projet afin de déterminer les conditions de réussite de la nouvelle entreprise. 

Ce travail est fait par Eddie Tambwe et Juvénal Gishinge Gatsinzira, le conseiller financier de Ruberwa. 

Les conclusions de ce travail en appellent à une recapitalisation complète de l’entreprise pouvant permettre d’apurer toutes les dettes, d’équiper valablement la chaîne et de la doterd’un fond de roulement conséquent pour un fonctionnement optimal. 

Ruberwa s’engage de rassembler les fonds endéans deux mois. 

Dix mois plus tard, rien ne vient, et Belhar Mbuyi commence à s’inquiéter. 


Après plusieurs plaintes, il finit par faire contre mauvaise fortune bon coeur. Il met en place une rédaction, réorganise la direction commerciale, pendant que le ton très libre du journal télévisé impose la respectabilité de la chaîne. 

M. Mbuyi peaufine une grille des programmes attrayant qui culmine avec l’arrivée des films tanzaniens diffusés dans le programme «HadisiNjo». L’audimat grimpe, des grands annonceurs se bousculent. 

Mais l’embellie ne sera que de très courte durée, car la chaîne est rattrapée : elle est fermée par le ministre Emile Bongeli pour avoir fraudé ses deux licences d’exploitation, et n’avoir jamais payé les frais administratifs au ministère de la Communication et des Médias. 

La fermeture durera sept longs mois, le temps de faire fuir tous les annonceurs et de faire tomber l’émetteur en panne. A sa réouverture par Lambert Mende, la chaîne diffuse désormais une image brouillée par des neiges. 

Belhar Mbuyi explique alors à Ruberwa qu’il faudrait recapitaliser l’entreprise pour faire face aux impératifs de sa survie. 

Il lui rappelle ses engagements de février 2007. Mais rien n’y fait : le président du RCD veut avoir une chaîne de télévision, mais sans en payer le prix. 

De guerre lasse, le 13 septembre 2009, Belhar Mbuyi résilie le contrat pour faute de l’employeur. 

Il écrit à Ruberwa, le vrai propriétaire de l’entreprise, mais, pour respecter la forme, il dépose sa démission auprès d’Edgar Okende Emungu qui refuse d’en accuser réception, paniqué à l’idée de se voir impliqué dans une affaire qui risque de porter atteinte à sa carrière à la BCC. 

S’engage alors un trop long et infructueux travail de conciliation à l’inspection de travail. Notre confrère a donc décidé de porter plainte devant le tribunal. 


Ce procès, loin d’être une simple affaire entre un ancien employé et son ex-employeur, sera celui d’un homme politique qui a trôné au sommet du pays, qui a, sur papier, promu les valeurs de la Républiques et du christianisme, mais qui est très loin de mettre en pratique son propre discours.
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PAUL MULAND

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