19 décembre 2013
Dans de nombreux villages des Kivu, rebelles et militaires gouvernementaux se promènent côte à côte dans les rues, fréquentent les mêmes débits de boisson, trinquent parfois ensemble.
Dans ces zones, l’autorité et la force ne sont l’objet d’aucun monopole, mais d’une négociation permanente entre les différents acteurs armés en présence. Des compromis toujours originaux, qui peuvent ou non se maintenir dans le temps.
Des officiers du groupe armé APCLS en communication radio dans un débit de boisson de Nyabiondo. Territoire de Masisi, Nord-Kivu, août 2013.
Depuis le début de l’année 2013, les rebelles maï-maï de l’APCLS, l’Alliance du Peuple pour un Congo Libre et Souverain, se promènent tranquillement dans les rues poussiéreuses de Nyabiondo, une petite cité située à quelques quatre-vingt-dix kilomètres au nord de Goma, en territoire de Masisi.
Rien de très surprenant, à priori, dans une province qui compte plus d’une quinzaine de groupes armés. Sauf que les militaires gouvernementaux des FARDC foulent de leurs godillots les mêmes rues poussiéreuses sans que cela ne pose le moindre problème.
A Nyabiondo, rebelles et militaires se parlent, échangent, fument une cigarette ensembles ou partagent une bière dans un petit nganda (débit de boisson) de la place.
Les deux collines qui surplombent, de part et d’autre, la cité de Nyabiondo, ont désormais chacune leur position militaire : l’une pour les rebelles, l’autre pour les FARDC. Entre les deux : les maisons de torchis, de paille et de tôles des quelques milliers d’habitants de la cité.
Dans ce dédoublement de militaires souvent déguenillés, il n’est pas évident de savoir qui est qui : on trouve autant de militaires FARDC en tenue civile que de miliciens portant la chemise et le béret kaki de l’armée nationale.
Il en va de même des policiers : les éléments de la police nationale congolaise (PNC) comme ceux de la police APCLS portent les mêmes uniformes, lorsqu’ils en ont.
Des policiers de l’APCLS montent la garde pendant que leur commandant échange dans une boutique avec le major de la Police Nationale Congolaise.
A Nyabiondo, cela fait une année que miliciens APCLS, militaires et policiers du gouvernement cohabite à peu près pacifiquement. Territoire de Masisi, Nord-Kivu, août 2013.
L’acceptation mutuelle qui prévaut aujourd’hui à Nyabiondo entre FARDC et éléments de l’APCLS n’a pas toujours été de mise : «Auparavant, FARDC et APCLS s’affrontaient dès qu’ils se rencontraient!» nous explique une habitante.
«Aujourd’hui, nous nous réjouissons que la chèvre et le lion puissent manger à une même table!» poursuit-elle en référence aux deux forces en présence. Depuis que militaires et rebelles ont cessé d’être ennemis, les populations de Nyabiondo profitent en effet d’un certain calme.
Début septembre 2013, les écoles de la cité ont pu ouvrir leurs portes à des centaines d’élèves. Un signe clair du retour de la sécurité.
Major Indi, commandant FARDC (armée nationale) en poste à Nyabiondo, à sa position militaire. Au mois de septembre 2013 à Nyabiondo, les FARDC étaient en nette infériorité numérique par rapport aux éléments de l’APCLS. Territoire de Masisi, Nord-Kivu, septembre 2013.
C’est suite aux affrontements entre les FARDC et les rebelles du M23 de novembre 2012, au cours desquels le M23 s’empara de la ville de Goma, que les relations se réchauffèrent entre l’armée nationale et l’APCLS. Le M23 étant leur «ennemi commun», l’APCLS a prêté main forte aux FARDC, en particulier dans la zone de Sake, pour contrer l’avancée du M23.
En échange de ces bons et loyaux services, l’Etat-Major provincial permit aux éléments de l’APCLS de se regrouper dans les cités de Kitchanga et de Nyabiondo, en vue de leur intégration au sein des FARDC.
Des militaires FARDC en pause, et en civil, fument une cigarette dans les vestiges d’une ancienne usine de thé datant de l’époque coloniale. Nyabiondo, Nord-Kivu, août 2013
Les choses ne furent toutefois pas si simples. A Kinshasa, le gouvernement central refusa de procéder à une intégration automatique des miliciens, soumettant la reconnaissance de leurs grades à un examen des compétences militaires réelles. Le processus fut retardé.
Si à Nyabiondo, la situation resta sous contrôle, ce ne fut pas le cas à Kitchanga, où les éléments de l’APCLS se retrouvèrent face à des commandants FARDC issus de l’ancienne rébellion du CNDP, soit leurs pires ennemis.
Un policier de la PNC (Police Nationale Congolaise) à Nyabiondo. Une grande partie des policiers de Nyabiondo est issue des anciens miliciens du groupe Maï-Maï Akilimali qui occupaient Nyabiondo à l’époque de la rébellion du RCD (1998-2003).
Pour cette raison, certains habitants de la cité la qualifie de « police familiale », ces anciens miliciens étant souvent des enfants du village. Nyabiondo, territoire de Masisi, septembre 2013.
Rapidement, les relations entre les deux groupes s’enflammèrent autour du contrôle de la cité de Kitchanga, sur fond de manipulation des sentiments d’appartenance ethnique.
En quelques jours, aux mois de février et mars 2013, des affrontements firent au moins quatre-vingt-dix victimes (selon le rapport du Groupe d’experts des Nations unies). Cinq cents maisons furent détruites. Cent mille personnes fuirent la cité. Kitchanga était quasiment effacé de la carte de Masisi.
Face à une telle violence, les populations de Nyabiondo pouvaient se réjouir de la bonne cohabitation entre FARDC et APCLS dans leur cité. La question étant de savoir pour combien de temps celle-ci allait durer…
La présence des miliciens de l’APCLS n’empêche pas cette habitante de Nyabiondo de 65 ans de rire en nous voyant arriver chez elle. Elle nous confie toutefois qu’elle a très peur lorsqu’elle voit un civil porter une arme.
Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables lors d’affrontements : ils n’ont souvent plus la force de courir pour fuir. Lors de la dernière attaque, cette vieille dame est restée cachée durant deux jours au bord d’une rivière. Nyabiondo, Nord-Kivu, août 2013.
Jean Claude, un militaire de l’armée nationale, à Nyabiondo. Septembre 2013
Cette cohabitation entre les deux forces ne signifie pas pour autant que les officiers FARDC en poste à Nyabiondo sont devenus les meilleurs amis des éléments de l’APCLS, loin s’en faut.
Dans l’attente d’un ordre de sa hiérarchie sur un éventuel changement d’attitude à adopter vis-à-vis des rebelles, un officier FARDC nous a donné son point de vue sur la situation sécuritaire à laquelle il fait face sur terrain, ainsi que sur les militaires de l’APCLS : «Une armée tribale, qui ne protège que sa propre communauté!» nous dit-il.
Pour les autorités civiles du secteur d’Osso-Banyungu (l’entité administrative locale), dont le siège se trouve à Nyabiondo, la situation n’est pas plus évidente. L’APCLS a en effet tendance à s’ériger en autorité alternative à celle du secteur, dans l’objectif de s’approprier les bénéfices relatifs à l’exercice de l’autorité de l’Etat.
Les rebelles érigent ainsi des barrières sur les routes, où ils taxent les populations locales les jours de marchés ainsi que les camions qui reviennent de Walikale et se dirigent vers Goma, remplis de coltan.
Lorsqu’ils en ont l’occasion, les colonels de l’APCLS s’ingèrent dans des dossiers civils tels que des problèmes de dettes ou des conflits de champs et s’improvisent, sinon en médiateurs, du moins en arbitres.
Détenir l’arme aide à être écouté
Une agricultrice écosse des haricots devant chez elle. Nyabiondo, septembre 2013.
Pour s’assurer qu’il n’y ait pas de débordements, et au besoin rappeler aux militaires de l’APCLS que leur rôle n’est pas de remplacer l’Etat ou les chefs coutumiers, les autorités locales organisent régulièrement des «réunions de sécurité mixtes» auxquelles les différents acteurs sont parties prenantes : APCLS, FARDC, autorités locales, notables coutumiers, société civile et parfois même les casques bleus de la MONUSCO, la mission de stabilisation des Nations unies.
Gérard, le secrétaire du secteur d’Osso-Banyungu, dans son bureau. Nyabiondo.
Le secrétaire du Secteur d’Osso-Banyungu nous explique comment cette «technique locale», comme il l’appelle, leur permet malgré son caractère non officiel de sauvegarder la sécurité des populations ; mais aussi comment la présence des groupes armés, dont l’APCLS, l’affecte directement dans l’exercice de ses fonctions.
Le commandant de la police nationale de Nyabiondo, avec ses hommes derrière lui. Nyabiondo, septembre 2013.
Selon certains habitants de Nyabiondo, si l’APCLS tend à se poser en une autorité alternative à l’administration en place, c’est aussi en raison des faiblesses de cette administration. «L’ingérance de l’APCLS dans les dossiers civils est aussi causée par l’irresponsabilité des autorités du secteur!» s’exclame en ce sens un membre de la société civile de Nyabiondo.
«Quand quelqu’un dépose un dossier juridique ou coutumier au secteur, il peut parfois attendre des mois pour que son dossier soit traité. A ce moment-là, la population n’a plus confiance. Elle préfère s’orienter là où le dossier sera traité en temps opportun, peut-être la même semaine.» explique-t-il.
Le secrétaire du secteur reconnaît d’ailleurs lui-même que les populations se rendent souvent d’elles-mêmes chez l’APCLS afin de trouver une solution à leurs problèmes d’ordre civils, tels que les problèmes de champs ou de dettes. Une situation qu’il trouve regrettable. «Quand vous jetez un morceau de viande à un chien, il ouvre la gueule, non?» nous-dit-il, un peu amer.
* * *
Tous, à Nyabiondo, sont unanimes sur une chose : que le gouvernement puisse prendre ses responsabilités et intégrer les éléments de l’APCLS dans l’armée nationale. Cette intégration constituera un ouf de soulagement pour les autorités locales, tant civiles que militaires, ainsi que pour les habitants de la cité.
Des habitants de Lukweti retournent chez eux après avoir bénéficié d’une distribution de vivres et non vivres organisée par une ONG internationale à Nyabiondo. Nyabiondo, Nord-Kivu, août 2013.
Toutefois, face aux impasses et aux limites d’un hypothétique processus d’intégration, il y a de fortes chances que Nyabiondo demeure encore balloté dans un entre-deux incertain, dans lequel chacun navigue à vue et tente de tirer son épingle du jeu.
Jusqu’au moment où «la technique locale» des réunions sécuritaires mixtes atteindra ses limites, ou que des décisions prises à d’autres niveaux bouleverseront la donne et que les compromis entre rebelles, militaires et autorités locales tomberont à terre. Alors, une fois encore, viendra le temps de fuir pour les habitants de la cité de Nyabiondo.
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IKAZE IWACU
Dans de nombreux villages des Kivu, rebelles et militaires gouvernementaux se promènent côte à côte dans les rues, fréquentent les mêmes débits de boisson, trinquent parfois ensemble.
Dans ces zones, l’autorité et la force ne sont l’objet d’aucun monopole, mais d’une négociation permanente entre les différents acteurs armés en présence. Des compromis toujours originaux, qui peuvent ou non se maintenir dans le temps.
Des officiers du groupe armé APCLS en communication radio dans un débit de boisson de Nyabiondo. Territoire de Masisi, Nord-Kivu, août 2013.
Depuis le début de l’année 2013, les rebelles maï-maï de l’APCLS, l’Alliance du Peuple pour un Congo Libre et Souverain, se promènent tranquillement dans les rues poussiéreuses de Nyabiondo, une petite cité située à quelques quatre-vingt-dix kilomètres au nord de Goma, en territoire de Masisi.
Rien de très surprenant, à priori, dans une province qui compte plus d’une quinzaine de groupes armés. Sauf que les militaires gouvernementaux des FARDC foulent de leurs godillots les mêmes rues poussiéreuses sans que cela ne pose le moindre problème.
A Nyabiondo, rebelles et militaires se parlent, échangent, fument une cigarette ensembles ou partagent une bière dans un petit nganda (débit de boisson) de la place.
Les deux collines qui surplombent, de part et d’autre, la cité de Nyabiondo, ont désormais chacune leur position militaire : l’une pour les rebelles, l’autre pour les FARDC. Entre les deux : les maisons de torchis, de paille et de tôles des quelques milliers d’habitants de la cité.
Dans ce dédoublement de militaires souvent déguenillés, il n’est pas évident de savoir qui est qui : on trouve autant de militaires FARDC en tenue civile que de miliciens portant la chemise et le béret kaki de l’armée nationale.
Il en va de même des policiers : les éléments de la police nationale congolaise (PNC) comme ceux de la police APCLS portent les mêmes uniformes, lorsqu’ils en ont.
Des policiers de l’APCLS montent la garde pendant que leur commandant échange dans une boutique avec le major de la Police Nationale Congolaise.
A Nyabiondo, cela fait une année que miliciens APCLS, militaires et policiers du gouvernement cohabite à peu près pacifiquement. Territoire de Masisi, Nord-Kivu, août 2013.
L’acceptation mutuelle qui prévaut aujourd’hui à Nyabiondo entre FARDC et éléments de l’APCLS n’a pas toujours été de mise : «Auparavant, FARDC et APCLS s’affrontaient dès qu’ils se rencontraient!» nous explique une habitante.
«Aujourd’hui, nous nous réjouissons que la chèvre et le lion puissent manger à une même table!» poursuit-elle en référence aux deux forces en présence. Depuis que militaires et rebelles ont cessé d’être ennemis, les populations de Nyabiondo profitent en effet d’un certain calme.
Début septembre 2013, les écoles de la cité ont pu ouvrir leurs portes à des centaines d’élèves. Un signe clair du retour de la sécurité.
Major Indi, commandant FARDC (armée nationale) en poste à Nyabiondo, à sa position militaire. Au mois de septembre 2013 à Nyabiondo, les FARDC étaient en nette infériorité numérique par rapport aux éléments de l’APCLS. Territoire de Masisi, Nord-Kivu, septembre 2013.
C’est suite aux affrontements entre les FARDC et les rebelles du M23 de novembre 2012, au cours desquels le M23 s’empara de la ville de Goma, que les relations se réchauffèrent entre l’armée nationale et l’APCLS. Le M23 étant leur «ennemi commun», l’APCLS a prêté main forte aux FARDC, en particulier dans la zone de Sake, pour contrer l’avancée du M23.
En échange de ces bons et loyaux services, l’Etat-Major provincial permit aux éléments de l’APCLS de se regrouper dans les cités de Kitchanga et de Nyabiondo, en vue de leur intégration au sein des FARDC.
Des militaires FARDC en pause, et en civil, fument une cigarette dans les vestiges d’une ancienne usine de thé datant de l’époque coloniale. Nyabiondo, Nord-Kivu, août 2013
Les choses ne furent toutefois pas si simples. A Kinshasa, le gouvernement central refusa de procéder à une intégration automatique des miliciens, soumettant la reconnaissance de leurs grades à un examen des compétences militaires réelles. Le processus fut retardé.
Si à Nyabiondo, la situation resta sous contrôle, ce ne fut pas le cas à Kitchanga, où les éléments de l’APCLS se retrouvèrent face à des commandants FARDC issus de l’ancienne rébellion du CNDP, soit leurs pires ennemis.
Un policier de la PNC (Police Nationale Congolaise) à Nyabiondo. Une grande partie des policiers de Nyabiondo est issue des anciens miliciens du groupe Maï-Maï Akilimali qui occupaient Nyabiondo à l’époque de la rébellion du RCD (1998-2003).
Pour cette raison, certains habitants de la cité la qualifie de « police familiale », ces anciens miliciens étant souvent des enfants du village. Nyabiondo, territoire de Masisi, septembre 2013.
Rapidement, les relations entre les deux groupes s’enflammèrent autour du contrôle de la cité de Kitchanga, sur fond de manipulation des sentiments d’appartenance ethnique.
En quelques jours, aux mois de février et mars 2013, des affrontements firent au moins quatre-vingt-dix victimes (selon le rapport du Groupe d’experts des Nations unies). Cinq cents maisons furent détruites. Cent mille personnes fuirent la cité. Kitchanga était quasiment effacé de la carte de Masisi.
Face à une telle violence, les populations de Nyabiondo pouvaient se réjouir de la bonne cohabitation entre FARDC et APCLS dans leur cité. La question étant de savoir pour combien de temps celle-ci allait durer…
La présence des miliciens de l’APCLS n’empêche pas cette habitante de Nyabiondo de 65 ans de rire en nous voyant arriver chez elle. Elle nous confie toutefois qu’elle a très peur lorsqu’elle voit un civil porter une arme.
Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables lors d’affrontements : ils n’ont souvent plus la force de courir pour fuir. Lors de la dernière attaque, cette vieille dame est restée cachée durant deux jours au bord d’une rivière. Nyabiondo, Nord-Kivu, août 2013.
Jean Claude, un militaire de l’armée nationale, à Nyabiondo. Septembre 2013
Cette cohabitation entre les deux forces ne signifie pas pour autant que les officiers FARDC en poste à Nyabiondo sont devenus les meilleurs amis des éléments de l’APCLS, loin s’en faut.
Dans l’attente d’un ordre de sa hiérarchie sur un éventuel changement d’attitude à adopter vis-à-vis des rebelles, un officier FARDC nous a donné son point de vue sur la situation sécuritaire à laquelle il fait face sur terrain, ainsi que sur les militaires de l’APCLS : «Une armée tribale, qui ne protège que sa propre communauté!» nous dit-il.
Pour les autorités civiles du secteur d’Osso-Banyungu (l’entité administrative locale), dont le siège se trouve à Nyabiondo, la situation n’est pas plus évidente. L’APCLS a en effet tendance à s’ériger en autorité alternative à celle du secteur, dans l’objectif de s’approprier les bénéfices relatifs à l’exercice de l’autorité de l’Etat.
Les rebelles érigent ainsi des barrières sur les routes, où ils taxent les populations locales les jours de marchés ainsi que les camions qui reviennent de Walikale et se dirigent vers Goma, remplis de coltan.
Lorsqu’ils en ont l’occasion, les colonels de l’APCLS s’ingèrent dans des dossiers civils tels que des problèmes de dettes ou des conflits de champs et s’improvisent, sinon en médiateurs, du moins en arbitres.
Détenir l’arme aide à être écouté
Une agricultrice écosse des haricots devant chez elle. Nyabiondo, septembre 2013.
Pour s’assurer qu’il n’y ait pas de débordements, et au besoin rappeler aux militaires de l’APCLS que leur rôle n’est pas de remplacer l’Etat ou les chefs coutumiers, les autorités locales organisent régulièrement des «réunions de sécurité mixtes» auxquelles les différents acteurs sont parties prenantes : APCLS, FARDC, autorités locales, notables coutumiers, société civile et parfois même les casques bleus de la MONUSCO, la mission de stabilisation des Nations unies.
Gérard, le secrétaire du secteur d’Osso-Banyungu, dans son bureau. Nyabiondo.
Le secrétaire du Secteur d’Osso-Banyungu nous explique comment cette «technique locale», comme il l’appelle, leur permet malgré son caractère non officiel de sauvegarder la sécurité des populations ; mais aussi comment la présence des groupes armés, dont l’APCLS, l’affecte directement dans l’exercice de ses fonctions.
Le commandant de la police nationale de Nyabiondo, avec ses hommes derrière lui. Nyabiondo, septembre 2013.
Selon certains habitants de Nyabiondo, si l’APCLS tend à se poser en une autorité alternative à l’administration en place, c’est aussi en raison des faiblesses de cette administration. «L’ingérance de l’APCLS dans les dossiers civils est aussi causée par l’irresponsabilité des autorités du secteur!» s’exclame en ce sens un membre de la société civile de Nyabiondo.
«Quand quelqu’un dépose un dossier juridique ou coutumier au secteur, il peut parfois attendre des mois pour que son dossier soit traité. A ce moment-là, la population n’a plus confiance. Elle préfère s’orienter là où le dossier sera traité en temps opportun, peut-être la même semaine.» explique-t-il.
Le secrétaire du secteur reconnaît d’ailleurs lui-même que les populations se rendent souvent d’elles-mêmes chez l’APCLS afin de trouver une solution à leurs problèmes d’ordre civils, tels que les problèmes de champs ou de dettes. Une situation qu’il trouve regrettable. «Quand vous jetez un morceau de viande à un chien, il ouvre la gueule, non?» nous-dit-il, un peu amer.
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Tous, à Nyabiondo, sont unanimes sur une chose : que le gouvernement puisse prendre ses responsabilités et intégrer les éléments de l’APCLS dans l’armée nationale. Cette intégration constituera un ouf de soulagement pour les autorités locales, tant civiles que militaires, ainsi que pour les habitants de la cité.
Des habitants de Lukweti retournent chez eux après avoir bénéficié d’une distribution de vivres et non vivres organisée par une ONG internationale à Nyabiondo. Nyabiondo, Nord-Kivu, août 2013.
Toutefois, face aux impasses et aux limites d’un hypothétique processus d’intégration, il y a de fortes chances que Nyabiondo demeure encore balloté dans un entre-deux incertain, dans lequel chacun navigue à vue et tente de tirer son épingle du jeu.
Jusqu’au moment où «la technique locale» des réunions sécuritaires mixtes atteindra ses limites, ou que des décisions prises à d’autres niveaux bouleverseront la donne et que les compromis entre rebelles, militaires et autorités locales tomberont à terre. Alors, une fois encore, viendra le temps de fuir pour les habitants de la cité de Nyabiondo.
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IKAZE IWACU
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