27 décembre 2013
Un père et son fils réfugiés dans un complexe de l'ONU à Juba, le 19 décembre. (Photo Goran Tomasevic. Reuters)
En deux semaines, le pays né en 2011 de la séparation d’avec Khartoum a basculé dans un conflit meurtrier. L’éclairage de Marc Lavergne, spécialiste de la région.
En deux semaines, le Sud-Soudan, jeune pays né de la séparation d’avec Khartoum en juillet 2011 au terme d’une longue guerre civile, a basculé dans un conflit meurtrier.
Mi-décembre, l’accusation de coup d’Etat du président actuel, Salva Kiir, contre son ex-vice président Riek Machar a mis le feu aux poudres.
On compte plusieurs milliers de morts, et l’ONU a décidé d’envoyer 6 000 casques bleus en renfort de la mission déjà sur place. Ce vendredi, les forces gouvernementales sud-soudanaises et les rebelles du camp de Riek Machar revendiquent chacun le contrôle de Malakal, une ville clé du nord du pays, riche en pétrole.
Comment en est-on arrivé là ?
L’éclairage de Marc Lavergne, chercheur au Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient du CNRS.
Quelle est la nature du conflit en cours ?
Le Soudan du Sud est en pleine désagrégation. C’est un jeune Etat sans structure, sans contrôle, sans légitimité, sans existence palpable. Un Etat en guerre permanente, qui a fait au bas mot 3 millions de morts en vingt ans de guerre civile.
C’est un pays très composite arrivé à l’indépendance sans avoir formé de cadres.
Le Soudan du Sud, ce sont d’abord des éleveurs, des gens qui vivent loin des villes et ne raisonnent pas en termes de nation ou de construction d’un Etat.
Les gens arrivés au pouvoir avec l’indépendance, en juillet 2011, sont d’anciens combattants de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA). Salva Kiir, le président actuel, est un militaire violent, plus spécialisé en exactions qu’en politique.
Son vieux rival, Riek Machar, diplômé d’une université britannique, est un ancien second qui a une haute idée de lui-même. Il brigue le pouvoir – ce qui lui a valu d’être limogé par Kiir de la vice-présidence en juillet - mais n’a pas le début d’un programme.
Il n’y a pas un ministre qui fait un travail de ministre, il n’y aucun effort pour construire des infrastructures, les gens sont froidement laissés à leur misère.
On est d’abord dans un conflit de clan, presque un conflit de mafieux. Il s’articule autour de la rivalité entre Salva Kiir et Riek Machar, mais ce n’est pas seulement un affrontement binaire entre ces deux personnages.
Beaucoup de seigneurs de guerre vont réémerger, ils commencent déjà à prendre des villes. Quant aux combattants, ce sont des jeunes qui prennent les armes, présentes en nombre, pour gagner quelques pièces. Tout le monde va se battre avec tout le monde, et les alliances seront déterminées en fonction de là où va l’argent.
On n’est donc pas dans un conflit ethnique ?
Il y a une dimension ethnique, qui va sûrement se renforcer, mais attention à ne pas réduire la situation à cela. On a affaire à deux grands peuples, eux-mêmes divisés en une multitude de clans.
Les Dinka, environ 3 millions de personnes, et les Nuer, environ 2 millions de personnes. Mais ils ne sont pas dans l’affrontement. Ils sont du même milieu, ont les mêmes modes de vie, parlent à peu près la même langue.
Les uns comme les autres sont des éleveurs et des guerriers. La rivalité se joue davantage au niveau des clans pour le contrôle de territoires d’élevage. Mais ils ne s’entretuent pas pour des questions de couleur de peau ou de religion.
La population du Soudan du Sud ne raisonne pas en termes de fractures ethniques. Si par le passé il y a eu des mouvements contre ce que l’on a appelé la «dinkacratie», les Dinka comme les Nuer sont aujourd’hui représentés au pouvoir.
Salav Kiir est un Dinka, tandis que Riek Machar est un Nuer, et les ministres sont issus des deux peuples. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun de ces deux grands peuples ne peut dominer le pays sans l’autre.
Que pèse le pétrole, de loin la première ressource du pays, dans ce conflit ?
Le contrôle des puits de pétrole, situés dans le nord du pays, est un enjeu évidemment très important et qui ne concerne pas le seul Sud-Soudan.
Le pétrole n’est cependant pas la seule ressource. Juba, la capitale, est devenue le lieu de tous les trafics. La cocaïne, par exemple, qui ne peut plus passer par le Mali. Mais le pétrole ne concerne pas directement les éleveurs de bétail, qui sont entraînés dans cette tourmente malgré eux.
Le Soudan historique, qui prélève d’importantes taxes sur l’acheminement du pétrole du sud par à travers le Soudan, va-t-il réagir ?
Le Soudan, qui ne voulait pas partager le gâteau avec le sud, avait fini par lui accorder une indépendance qu’il espérait bidon pour continuer à tirer profit du pétrole. Ce qu’il fait en taxant le passage du pétrole depuis le sud vers les ports d’embarquement.
On peut imaginer qu’aujourd’hui à Khartoum deux logiques s’affrontent. Maintenir la stabilité du pouvoir à Juba et celle des puits de pétrole. Ou alors jouer le tout pour le tout, soutenir les milices avec des armes et de l’argent, et essayer d’installer un pouvoir fantoche.
L’essentiel étant que le pétrole continue à couler.
Cordélia BONAL
Un père et son fils réfugiés dans un complexe de l'ONU à Juba, le 19 décembre. (Photo Goran Tomasevic. Reuters)
En deux semaines, le pays né en 2011 de la séparation d’avec Khartoum a basculé dans un conflit meurtrier. L’éclairage de Marc Lavergne, spécialiste de la région.
En deux semaines, le Sud-Soudan, jeune pays né de la séparation d’avec Khartoum en juillet 2011 au terme d’une longue guerre civile, a basculé dans un conflit meurtrier.
Mi-décembre, l’accusation de coup d’Etat du président actuel, Salva Kiir, contre son ex-vice président Riek Machar a mis le feu aux poudres.
On compte plusieurs milliers de morts, et l’ONU a décidé d’envoyer 6 000 casques bleus en renfort de la mission déjà sur place. Ce vendredi, les forces gouvernementales sud-soudanaises et les rebelles du camp de Riek Machar revendiquent chacun le contrôle de Malakal, une ville clé du nord du pays, riche en pétrole.
Comment en est-on arrivé là ?
L’éclairage de Marc Lavergne, chercheur au Groupe de recherches et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient du CNRS.
Quelle est la nature du conflit en cours ?
Le Soudan du Sud est en pleine désagrégation. C’est un jeune Etat sans structure, sans contrôle, sans légitimité, sans existence palpable. Un Etat en guerre permanente, qui a fait au bas mot 3 millions de morts en vingt ans de guerre civile.
C’est un pays très composite arrivé à l’indépendance sans avoir formé de cadres.
Le Soudan du Sud, ce sont d’abord des éleveurs, des gens qui vivent loin des villes et ne raisonnent pas en termes de nation ou de construction d’un Etat.
Les gens arrivés au pouvoir avec l’indépendance, en juillet 2011, sont d’anciens combattants de l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA). Salva Kiir, le président actuel, est un militaire violent, plus spécialisé en exactions qu’en politique.
Son vieux rival, Riek Machar, diplômé d’une université britannique, est un ancien second qui a une haute idée de lui-même. Il brigue le pouvoir – ce qui lui a valu d’être limogé par Kiir de la vice-présidence en juillet - mais n’a pas le début d’un programme.
Il n’y a pas un ministre qui fait un travail de ministre, il n’y aucun effort pour construire des infrastructures, les gens sont froidement laissés à leur misère.
On est d’abord dans un conflit de clan, presque un conflit de mafieux. Il s’articule autour de la rivalité entre Salva Kiir et Riek Machar, mais ce n’est pas seulement un affrontement binaire entre ces deux personnages.
Beaucoup de seigneurs de guerre vont réémerger, ils commencent déjà à prendre des villes. Quant aux combattants, ce sont des jeunes qui prennent les armes, présentes en nombre, pour gagner quelques pièces. Tout le monde va se battre avec tout le monde, et les alliances seront déterminées en fonction de là où va l’argent.
On n’est donc pas dans un conflit ethnique ?
Il y a une dimension ethnique, qui va sûrement se renforcer, mais attention à ne pas réduire la situation à cela. On a affaire à deux grands peuples, eux-mêmes divisés en une multitude de clans.
Les Dinka, environ 3 millions de personnes, et les Nuer, environ 2 millions de personnes. Mais ils ne sont pas dans l’affrontement. Ils sont du même milieu, ont les mêmes modes de vie, parlent à peu près la même langue.
Les uns comme les autres sont des éleveurs et des guerriers. La rivalité se joue davantage au niveau des clans pour le contrôle de territoires d’élevage. Mais ils ne s’entretuent pas pour des questions de couleur de peau ou de religion.
La population du Soudan du Sud ne raisonne pas en termes de fractures ethniques. Si par le passé il y a eu des mouvements contre ce que l’on a appelé la «dinkacratie», les Dinka comme les Nuer sont aujourd’hui représentés au pouvoir.
Salav Kiir est un Dinka, tandis que Riek Machar est un Nuer, et les ministres sont issus des deux peuples. Ce qui est sûr, c’est qu’aucun de ces deux grands peuples ne peut dominer le pays sans l’autre.
Que pèse le pétrole, de loin la première ressource du pays, dans ce conflit ?
Le contrôle des puits de pétrole, situés dans le nord du pays, est un enjeu évidemment très important et qui ne concerne pas le seul Sud-Soudan.
Le pétrole n’est cependant pas la seule ressource. Juba, la capitale, est devenue le lieu de tous les trafics. La cocaïne, par exemple, qui ne peut plus passer par le Mali. Mais le pétrole ne concerne pas directement les éleveurs de bétail, qui sont entraînés dans cette tourmente malgré eux.
Le Soudan historique, qui prélève d’importantes taxes sur l’acheminement du pétrole du sud par à travers le Soudan, va-t-il réagir ?
Le Soudan, qui ne voulait pas partager le gâteau avec le sud, avait fini par lui accorder une indépendance qu’il espérait bidon pour continuer à tirer profit du pétrole. Ce qu’il fait en taxant le passage du pétrole depuis le sud vers les ports d’embarquement.
On peut imaginer qu’aujourd’hui à Khartoum deux logiques s’affrontent. Maintenir la stabilité du pouvoir à Juba et celle des puits de pétrole. Ou alors jouer le tout pour le tout, soutenir les milices avec des armes et de l’argent, et essayer d’installer un pouvoir fantoche.
L’essentiel étant que le pétrole continue à couler.
Cordélia BONAL
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