Rose a 9 ans. Elle a été violée alors que sa mère était à l’église. Assise sur son lit, dans un refuge de Goma, elle raconte, la voix brisée par les larmes, comment les soldats ont débarqué dans sa maison, avant de lui sauter dessus et de lui écarter les jambes avec une telle brutalité qu’une de ses hanches est disloquée.
Elle a également de telles blessures génitales qu’il lui est désormais difficile de marcher. Cette petite fille fait partie des millions de femmes victimes de la guerre qui déchire le Congo depuis quinze ans, et où le viol est utilisé comme une arme pour démoraliser les communautés.
Un crime contre l’humanité dans une quasi indifférence générale
Cette guerre, l’une des plus meurtrières au monde, a déjà entraîné la mort de 5,4 millions de personnes et jeté 2 millions de déplacés sur les routes.
« On a du mal à imaginer l’ampleur de ce massacre, dit Jean-Marie Fardeau, directeur France de Human Rights Watch (1). Les violences sexuelles se sont généralisées ; le viol, qui signe la victoire d’un camp sur l’autre, est devenu un instrument de vengeance sur la population.
Une technique de guerre pratiquée de façon systématique par les groupes armés, rebelles ou gouvernementaux. »
Un crime contre l’humanité mais une réalité quotidienne au Congo, où depuis 1998, selon l’Onu, 200 000 femmes et enfants ont été victimes de violences sexuelles. Dans l’indifférence générale ou presque.
« Ce n’est tout de même plus le silence, tempère Jean-Marie Fardeau. La délégation française à l’Onu tient la plume des résolutions, des ONG agissent, des journalistes font leur métier, mais sur place, c’est le chaos et surtout, il n’y a pas de mobilisation citoyenne. »
Sur le Net, un film choc au service d’une cause humanitaire
C’est justement pour réveiller l’opinion publique que, le 1er février prochain, le film « Unwatchable » (2) sera diffusé gratuitement sur le Web (YouTube, Dailymotion, réseaux sociaux…).
Un clip viral qui envahira la Toile et créera le buzz dans le monde entier. Un film choc de trois minutes mettant en scène une histoire semblable à celle qu’a vécue Rose, mais interprétée par des acteurs anglais dans le rôle d’une famille middle class qui bascule dans l’horreur.
« Parce que cela se passe en Afrique, les gens ferment les yeux, explique Thea Wellband, l’actrice britannique qui joue la victime. Montrer ce qui se passe au Congo en le transposant dans un décor anglais vous fait vraiment réfléchir, vous oblige à vous demander ce que vous ressentiriez s’il s’agissait de votre mère, de votre sœur ou de votre fille. »
Avec un scénario basé sur les récits véridiques de centaines de Congolaises, « Unwatchable » décrit l’attaque d’une famille européenne comme les autres par des soldats qui font irruption dans leur maison et violent la jeune adolescente sous les yeux de sa mère, avant de torturer et de tuer ses parents le tout vu à travers le regard de la petite sœur de 6 ans.
L’équipe de tournage s’est déplacée d’Hollywood, et les acteurs ont dû lire les témoignages de victimes de viols et les confessions de soldats agresseurs pour que le film soit le plus réaliste possible et déclenche une prise de conscience internationale.
Car tant que les trafics de minerais financeront les groupes armés (voir encadré) et que l’impunité et le chaos protégeront les criminels, les viols et autres atrocités ne cesseront pas.
Elisabeth fut une femme jolie et joyeuse. Aujourd’hui, son corps est recouvert de brûlures au troisième degré terribles souvenirs du viol collectif qu’elle a subi et de la mort de sa petite fille, tuée lors de l’agression.
Longtemps, elle s’est crue chanceuse. Epouse et mère heureuse de quatre enfants, elle vivait au sein d’une famille unie et préservée malgré la guerre. Mais aujourd’hui, elle survit dans le centre d’une ONG, un bébé accroché au sein, l’enfant qu’elle portait dans son ventre quand elle a été violée.
Abandonnées par leurs maris après avoir été violées
« J’étais dans ma tente avec mon mari et ma plus jeune enfant quand la lame d’un couteau a coupé la toile. Mon mari est sorti pour voir ce qui se passait, mais le temps que j’attrape ma petite de 4 ans, trois hommes me faisaient face. »
Après avoir jeté Elisabeth à terre, l’un d’eux a posé son pistolet sur la tête de sa fille, en hurlant : « Si tu cries, elle est morte ! » Puis tour à tour, ils l’ont violée sous les yeux de la petite. En partant, ils ont mis le feu à la tente. Elisabeth a survécu, pas sa fille.
Et comme cela est hélas fréquent au Congo, son mari n’a pas supporté de vivre avec une femme « souillée » par plusieurs hommes. Sous la pression de sa communauté, il l’a quittée, la laissant élever seule leurs enfants.
Handicapée par ses blessures – sa peau brûlée est devenue dure comme du cuir –, Elisabeth ne peut plus vraiment travailler. Elle survit en mendiant de la nourriture pour ses enfants auprès de gens qui eux-mêmes luttent pour nourrir les leurs.
« Quand on m’a annoncé que ma fille était morte dans le feu, j’ai eu l’impression d’être morte à l’intérieur. Parfois, j’ai envie de me tuer… »
Le viol, la brutalité, le désespoir, l’abandon – une histoire hélas familière. Lorsqu’une femme a été violée, ce ne sont pas seulement les blessures physiques qui la font souffrir.
Dans la culture congolaise, c’est une telle honte que beaucoup n’osent pas parler ou venir se faire soigner, trop effrayées à l’idée que leur mari ou leur famille n’apprennent ce qui leur est arrivé.
Une femme, cependant, ne mâche pas ses mots. « Mentor » au sein de l’association catholique Caritas à Goma, la ville épicentre de la crise, Vumilia offre conseils et réconfort aux victimes.
Après un viol collectif, elle a été kidnappée puis obligée d’être « l’épouse » d’un rebelle avant de réussir à s’évader, enceinte de son violeur. Elle a donné naissance à des triplés mais, sans la protection d’un homme, proie facile, elle fut violée à nouveau.
Condamner les violeurs et offrir de l’espoir aux enfants
Aujourd’hui, seule une poignée d’hommes condamnés pour violences sexuelles croupit dans la prison de Goma. Il faut dire que les poursuites sont très longues, et beaucoup de victimes, quand elles ne préfèrent pas se taire, sont trop pauvres pour entamer une procédure.
Fin 2008, la Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête sur les crimes commis dans l’est du Congo. Cette même année, seuls vingt-sept soldats ont été reconnus coupables de viol dans les provinces du Nord et du Sud-Kivu, alors que l’Onu enregistrait 7 703 nouveaux cas.
Quant à leurs officiers, aucun n’a jamais été poursuivi : plus on prend du galon, plus l’impunité protège.
« Recherché par la CPI depuis 2003 comme criminel de guerre, Bosco Ntaganda, cet ancien rebelle devenu général, est désormais le n°2 de l’armée congolaise. Tous les jours, il joue tranquillement au tennis à Goma », déplore Jean-Marie Fardeau.
Il existe un havre de paix à Goma : le centre pour enfants Collectif Alpha Ujuvi, dirigé par sœur Deodata.
« Beaucoup de ces filles et de ces garçons ont été traités comme des esclaves sexuels, contaminés par le virus du sida, ou souffrent de graves blessures internes suite aux viols brutaux », dit-elle en couvant du regard ses petits protégés, une cinquantaine d’enfants âgés de 7 à 16 ans qui chantent, dansent et se prennent par la main pour entrer dans la ronde.
« Ce que cette génération a dû endurer est très triste mais, ajoute-t-elle, eux sont les plus chanceux. Nous leur offrons l’espoir le plus beau des cadeaux. »
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Robin Hammond. Adaptation Catherine Durand
marie claire
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