20/03/2014
Youssou N'Dour, Ray Lema, Lokua Kanza, etc.
© RFI/E.SadakaYoussou N'Dour et Idylle Mamba
20/03/2014 -
Bibi Tanga en février. Ray Lema, Youssou N'Dour, Idylle Mamba, Bonga et d'autres encore, plus récemment. Les musiciens africains sont nombreux à se mobiliser pour la Centrafrique et son peuple meurtri. Retour sur les raisons et l'efficacité d'un tel engagement.
"Il n'est pas question de livrer le monde aux assassins d'aube"*. C'est avec des mots d'Aimé Césaire qu'Edwy Plenel, directeur du site d'information Mediapart, a ouvert le concert de lundi 10 mars au Théâtre de la Ville à Paris.
Les fonds récoltés ce soir-là – près de 20.000 euros – serviront à remettre sur pied le centre culturel Linga Téré de Bangui, pillé en mars 2013 à quelques jours de la prise de la capitale centrafricaine par les milices de la Seleka.
Le langage de la paix
"L'Afrique a face à elle, deux voies : celle de l'ubuntu, l'interdépendance et l'échange dans l'ouverture, et celle de l'ubunyama, l'animalité", résume David Gakunzi, directeur de l'Institut de recherche et d'études africaines (IREA) et co-organisateur du concert.
"En temps de guerre, le langage de la paix n'est pas populaire. On est sommé de 'choisir son camp'. La musique permet de faire entrer cette idée dans la culture populaire".
Lorsqu'il a décroché son téléphone pour solliciter les artistes, il n'a eu que des réponses positives. Tellement qu'il a fallu faire un choix, forcément frustrant. Bibi Tanga, le chanteur centrafricain avait accepté, le Nigérian Kuku, également. Et de nombreux autres, qui n'ont finalement pu se produire ce soir-là, faute de temps.
Et si les musiciens africains sont si nombreux à s'être porté volontaires - bénévolement cela va sans dire -, c'est que la crise en Centrafrique les touche directement, ou parce qu'elle ravive des plaies encore à vif.
De fait, au Théâtre de la Ville, chacun dans sa langue et avec son style musical, les artistes se sont mués en "guerriers de la paix" au nom de la Centrafrique, mais aussi du Mali, de la RDC ou encore du Soudan du Sud.
La soirée en images
© RFI/Edmond Sadaka
Le directeur de l’Espace Linga Téré, Vincent Machambaka, remercie le public d’être venu si nombreux.
Joie et gravité
Dans cet assaut pacifiste, il y eut beaucoup de salves joyeuses et rayonnantes. La chanteuse centrafricaine Idylle Mamba, première à entrer en scène, a fait lever la salle en moins de deux minutes sur ses rythmes emportés.
Armé de sa voix et de sa guitare, So Kalmery, originaire de Bukavu, en RDC, a pour sa part enchanté le public de quelques-unes de ses pépites brakka, un style qui s'inspire de rythmes et mélodies traditionnelles tout en flirtant allègrement avec les couleurs du blues, de la soul ou du rap.
Là encore, derrière les modes harmoniques et les rythmes, une parabole de la beauté de l'échange. Bonga, le flamboyant chanteur angolais, a fait résonner ses rythmes chaloupés propres à faire rouler les épaules avant de reprendre une saudade empreinte de solitude et d'absence. Car si c'est bien l'ubuntu qui était célébré, ce soir-là, l'ombre portée de l'ubunyama n'était jamais loin, chacun le rappelant d'une phrase, d'un mot ou d'une chanson.
Le pianiste congolais Ray Lema, accompagné au sein de son Nzimbu Project de deux choristes et d'un guitariste, a livré lui aussi au public, un morceau grave en hommage à toutes les femmes violées, "ces femmes qui font les frais des guerres des hommes".
Mais c'est Youssou N'Dour qui marqua le plus la scène par la solennité de ses interventions. D'abord lors du très symbolique One Africa, une chanson pour la Centrafrique qu'il chante en duo, lui le musulman sénégalais, avec la chrétienne centrafricaine Idylle Mamba.
Pour le morceau de clôture, également : New Africa, avant lequel il a insisté sur le fait que l'origine des conflits en Afrique n'était "pas toujours interethnique ou confessionnelle, mais aussi une question de redistribution".
"Là où les artistes vont, les urnes peuvent passer"
Et il y aura une suite à cet élan de solidarité. En Centrafrique, d'abord. L'espace Linga Téré remis sur pied, il recommencera à accueillir des artistes de la sous-région.
"Dès juin prochain", glissent les plus optimistes. Ensuite, une tournée dans l'intérieur du pays sera programmée. "Dans l'idéal, avant les élections. Là où les artistes vont, les urnes peuvent passer", expose David Gakunzi.
Dans le reste de l'Afrique, également. Ray Lema a ainsi pour projet de mettre en place une Fondation pour la Paix, pour contribuer au financement de Linga Téré, mais aussi pour soutenir des projets comme l'Université Musicale Africaine, la formation de chorales ou encore l'aide aux projets de formation dans la résolution des conflits.
A Paris, l'Irea a bien l'intention d'organiser désormais à un rythme régulier ces concerts de promotion de l'ubuntu. Le 18 juillet prochain, pour le Mandela Day, un concert devrait être organisé à la fois à Paris, à Bamako et à Bujumbura.
Parce que, comme le dit David Gakunzi à propos de l'espace Linga Téré de Bangui : "Reconstruire, c'est affirmer que la culture n'est pas morte. Et la culture est la condition de la paix". A la fin de Nouvelle Bonté, Aimé Césaire écrit : "Une nouvelle bonté pointe à l'horizon".
(*) Nouvelle Bonté in Moi, laminaire… par Aimé Césaire (1982)
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Matthieu Millecamps
Youssou N'Dour, Ray Lema, Lokua Kanza, etc.
© RFI/E.SadakaYoussou N'Dour et Idylle Mamba
20/03/2014 -
Bibi Tanga en février. Ray Lema, Youssou N'Dour, Idylle Mamba, Bonga et d'autres encore, plus récemment. Les musiciens africains sont nombreux à se mobiliser pour la Centrafrique et son peuple meurtri. Retour sur les raisons et l'efficacité d'un tel engagement.
"Il n'est pas question de livrer le monde aux assassins d'aube"*. C'est avec des mots d'Aimé Césaire qu'Edwy Plenel, directeur du site d'information Mediapart, a ouvert le concert de lundi 10 mars au Théâtre de la Ville à Paris.
Les fonds récoltés ce soir-là – près de 20.000 euros – serviront à remettre sur pied le centre culturel Linga Téré de Bangui, pillé en mars 2013 à quelques jours de la prise de la capitale centrafricaine par les milices de la Seleka.
Le langage de la paix
"L'Afrique a face à elle, deux voies : celle de l'ubuntu, l'interdépendance et l'échange dans l'ouverture, et celle de l'ubunyama, l'animalité", résume David Gakunzi, directeur de l'Institut de recherche et d'études africaines (IREA) et co-organisateur du concert.
"En temps de guerre, le langage de la paix n'est pas populaire. On est sommé de 'choisir son camp'. La musique permet de faire entrer cette idée dans la culture populaire".
Lorsqu'il a décroché son téléphone pour solliciter les artistes, il n'a eu que des réponses positives. Tellement qu'il a fallu faire un choix, forcément frustrant. Bibi Tanga, le chanteur centrafricain avait accepté, le Nigérian Kuku, également. Et de nombreux autres, qui n'ont finalement pu se produire ce soir-là, faute de temps.
Et si les musiciens africains sont si nombreux à s'être porté volontaires - bénévolement cela va sans dire -, c'est que la crise en Centrafrique les touche directement, ou parce qu'elle ravive des plaies encore à vif.
De fait, au Théâtre de la Ville, chacun dans sa langue et avec son style musical, les artistes se sont mués en "guerriers de la paix" au nom de la Centrafrique, mais aussi du Mali, de la RDC ou encore du Soudan du Sud.
La soirée en images
© RFI/Edmond Sadaka
Le directeur de l’Espace Linga Téré, Vincent Machambaka, remercie le public d’être venu si nombreux.
Joie et gravité
Dans cet assaut pacifiste, il y eut beaucoup de salves joyeuses et rayonnantes. La chanteuse centrafricaine Idylle Mamba, première à entrer en scène, a fait lever la salle en moins de deux minutes sur ses rythmes emportés.
Armé de sa voix et de sa guitare, So Kalmery, originaire de Bukavu, en RDC, a pour sa part enchanté le public de quelques-unes de ses pépites brakka, un style qui s'inspire de rythmes et mélodies traditionnelles tout en flirtant allègrement avec les couleurs du blues, de la soul ou du rap.
Là encore, derrière les modes harmoniques et les rythmes, une parabole de la beauté de l'échange. Bonga, le flamboyant chanteur angolais, a fait résonner ses rythmes chaloupés propres à faire rouler les épaules avant de reprendre une saudade empreinte de solitude et d'absence. Car si c'est bien l'ubuntu qui était célébré, ce soir-là, l'ombre portée de l'ubunyama n'était jamais loin, chacun le rappelant d'une phrase, d'un mot ou d'une chanson.
Le pianiste congolais Ray Lema, accompagné au sein de son Nzimbu Project de deux choristes et d'un guitariste, a livré lui aussi au public, un morceau grave en hommage à toutes les femmes violées, "ces femmes qui font les frais des guerres des hommes".
Mais c'est Youssou N'Dour qui marqua le plus la scène par la solennité de ses interventions. D'abord lors du très symbolique One Africa, une chanson pour la Centrafrique qu'il chante en duo, lui le musulman sénégalais, avec la chrétienne centrafricaine Idylle Mamba.
Pour le morceau de clôture, également : New Africa, avant lequel il a insisté sur le fait que l'origine des conflits en Afrique n'était "pas toujours interethnique ou confessionnelle, mais aussi une question de redistribution".
"Là où les artistes vont, les urnes peuvent passer"
Et il y aura une suite à cet élan de solidarité. En Centrafrique, d'abord. L'espace Linga Téré remis sur pied, il recommencera à accueillir des artistes de la sous-région.
"Dès juin prochain", glissent les plus optimistes. Ensuite, une tournée dans l'intérieur du pays sera programmée. "Dans l'idéal, avant les élections. Là où les artistes vont, les urnes peuvent passer", expose David Gakunzi.
Dans le reste de l'Afrique, également. Ray Lema a ainsi pour projet de mettre en place une Fondation pour la Paix, pour contribuer au financement de Linga Téré, mais aussi pour soutenir des projets comme l'Université Musicale Africaine, la formation de chorales ou encore l'aide aux projets de formation dans la résolution des conflits.
A Paris, l'Irea a bien l'intention d'organiser désormais à un rythme régulier ces concerts de promotion de l'ubuntu. Le 18 juillet prochain, pour le Mandela Day, un concert devrait être organisé à la fois à Paris, à Bamako et à Bujumbura.
Parce que, comme le dit David Gakunzi à propos de l'espace Linga Téré de Bangui : "Reconstruire, c'est affirmer que la culture n'est pas morte. Et la culture est la condition de la paix". A la fin de Nouvelle Bonté, Aimé Césaire écrit : "Une nouvelle bonté pointe à l'horizon".
(*) Nouvelle Bonté in Moi, laminaire… par Aimé Césaire (1982)
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Matthieu Millecamps
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