13 Janvier 2014
En 2006, MO* Magazine a publié un dossier retentissant sur deux grands contrats miniers conclus au Congo. Ces contrats scindaient en deux entités la Gécamines-Ouest, le complexe minier auquel la ville de Kolwezi doit son existence.
Ainsi, la mine souterraine de Kamoto et les installations de production sont allées à Kinross Forrest Limited (KFL), tandis que la gigantesque et très riche mine à ciel ouvert de KOV est allée à Nikanor, l'entreprise de Dan Gertler, le fils de la plus puissante famille de diamantaires d'Israël.
Dan Gertler. Bloomberg/Simon Dawson
Pour quelle raison ces entreprises de taille plutôt réduite sont-elles les heureuses bénéficiaires de ces joyaux ?
En 2004 et 2005, l'instabilité était tellement grande dans le pays que les multinationales minières n'osaient pas encore s'y aventurer.
Les seuls à oser le faire étaient des personnes comme George Forrest, actif au Congo depuis des décennies déjà, et Dan Gertler, qui était (devenu) un ami personnel de Joseph Kabila.
Cette première vague de privatisations s'est déroulée à la veille des premières élections présidentielles.
Et il ne fait aucun doute que tant George Forrest que Dan Gertler ont largement financé la campagne électorale de Kabila, ce qui leur a d'ailleurs valu de figurer en première ligne lors du partage des riches mines.
A priori, il ne s'agissait pas là d'entreprises disposant des connaissances et des capitaux requis pour exploiter ces immenses richesses minières.
Un constat qui saute aux yeux lorsqu'on jette un petit coup d'œil sur place : tout ici est tellement gigantesque que les montants nécessaires doivent se calculer non pas en dizaines de millions, mais bien en milliards d'euros.
Tant George Forrest que Dan Gertler ont obtenu les concessions, sans pour autant devoir quoi que ce soit à l'État congolais. Certes, aux termes du contrat, un loyer devait être payé pour les installations et des dividendes versés sur les 25 % de la Gécamines.
Or, nous avions prédit que la réalisation effective ferait long feu et nous avions raison : aucun loyer n'a été payé et aucun dividende n'a à ce jour été versé.
En contrepartie, George Forrest et Dan Gertler étaient censés réunir les moyens nécessaires à la reprise de la production.
En 2006, le Groupe Forrest a créé la Kamoto Copper Company (KCC), mais, comme nous l'a confié Pierre Philippart, directeur de l'Entreprise Générale Malta Forrest (EGMF) à Kolwezi : « Nous savions d'entrée de jeu que nous n'y parviendrions pas seuls, car cela dépassait allègrement les possibilités financières d'une entreprise familiale. »
mise sur la touche
KFL a changé de nom pour devenir la Katanga Mining Limited (KML). Cette dernière conservait 75 % de la KCC, la Gécamines les 25 % restants. Le problème, c'est qu'alors que les concessions de Forrest et Gertler étaient naturellement en synergie, elles se retrouvaient à présent séparées, la KCC détenant ainsi la fabrique de cuivre à Luilu.
D'après les échos, la KML ne sautait guère de joie à l'idée de collaborer avec Dan Gertler. La KML a produit son premier cuivre en décembre 2007, mais un mois auparavant, la multinationale en matières premières Glencore avait déjà avancé quelque 150 millions de dollars.
La KML a ensuite eu de grosses difficultés financières. Il y avait, d'une part, la révision des contrats qui ne garantissait nullement le maintien des conditions initiales. Une incertitude qui a fait plonger l'action KML de cinquante à moins d'un dollar.
D'autre part, en raison de la crise financière, les banques ne se bousculaient pas vraiment au portillon pour investir au Congo, alors que le développement de Kamoto nécessitait des sommes astronomiques.
« Nous nous sommes efforcés de persuader les investisseurs d'acheter des actions en échange de capital, mais cela n'a pas marché », nous confie Pierre Chevalier, Vice-Président du Groupe Forrest International et ex-politicien.
Le fait que la Gécamines s'oppose aussi farouchement à George Forrest, alors qu'elle est en train de conclure, les uns à la suite des autres, des contrats lucratifs avec Dan Gertler, indique que George Forrest a perdu les faveurs d'une certaine frange de l'élite.
« Et si vous ne jouez pas le jeu comme les autres, vous allez au-devant de difficultés », soupire Pierre Chevalier, vice-Président du Groupe Forrest International et ex-politicien.
L'argent n'était manifestement pas un problème pour Glencore qui a, une nouvelle fois, injecté en janvier 2009 quelque 100 millions de dollars dans la KCC.
Afin d'apurer sa position financière et de poursuivre le développement planifié, la KML avait encore besoin de 250 millions de dollars, une somme qu'elle n'est pas parvenue à rassembler.
Glencore est intervenu une nouvelle fois en convertissant ses prêts en nouveau capital, ce qui s'est traduit par une forte dilution de la participation de George Forrest, qui a chuté de 40 à 1 %.
Ce fut l'influence croissante de Glencore qui a fini par imposer une fusion entre la KML et Nikanor. Ce n'est qu'ainsi qu'une implantation de niveau mondial a pu voir le jour. En 2014 avec une production de 300.000 tonnes, la KCC devrait devenir la plus grande entreprise cuprifère du Congo.
Entretemps, George Forrest a vendu les quelques pour cent qu'il détenait encore dans la société. Nous ne savons pas combien lui a rapporté cette opération.
Au moment de la transaction, George Forrest est en outre parvenu à décrocher un gros contrat de service chez Glencore : c'est désormais EGMF qui se charge de l'exploitation de la mine KOV. Nous n'avons aucune information sur la teneur de ce contrat.
Pierre Chevalier : « Il va de soi que nous aurions préféré rester nous aussi aux commandes de la KCC. Nous y avons investi de l'argent et de l'énergie, mais apparemment, nous étions trop petits. Nous jouons à présent de nouveau dans notre catégorie. Mais tout cela a quelque chose de décevant : c'est un peu comme si vous entraîniez Adnan Januzaj pour le voir ensuite redorer le blason d'une autre équipe. »
Autres règles du jeu
Ben Pirard d'EGMF nous fait visiter la mine KOV, dont les concentrations en cuivre de plus de 4 % en font l'une des plus riches au monde. Nous nous retrouvons devant un puits béant de 200 mètres de profondeur, cette dernière devant même à terme atteindre les 400 mètres.
Ben Pirard : « Il nous a fallu au préalable pomper pendant plus d'une année pour retirer toute l'eau du puits. N'oubliez pas que l'eau de la nappe phréatique reflue en permanence. Dès que vous arrêtez le pompage, le niveau de l'eau remonte en engloutissant tout. Une évacuation constante s'avère dès lors nécessaire. »
George Forrest ne jouit plus de la position dominante qu'il occupait en 2006. Un peu comme s'il n'était plus dans les bonnes grâces de certains dirigeants. Un constat illustré par tout le tumulte entourant la Compagnie Minière du Sud-Katanga (CMSK).
George Forrest, qui détenait une participation dans la CMSK, voulait la vendre pour 15 millions de dollars à une autre entreprise du groupe. La Gécamines a toutefois exercé son droit de préemption en exigeant de pouvoir acheter elle-même ces actions pour un montant de 15 millions de dollars, une prise de position qui n'a pas vraiment plu à George Forrest. Il s'est alors ensuivi un conflit juridique au Congo et devant la Cour internationale d'arbitrage à Paris.
En fin de compte, George Forrest a touché une somme d'argent bien plus élevée que les 15 millions de départ.
Le fait que la Gécamines s'oppose aussi farouchement à George Forrest, alors qu'elle est en train de conclure, les uns à la suite des autres, des contrats lucratifs avec Dan Gertler, indique que George Forrest a perdu les faveurs d'une certaine frange de l'élite. « Et si vous ne jouez pas le jeu comme les autres, vous allez au-devant de difficultés », soupire Pierre Chevalier.
Quant au fait que George Forrest, SN Brussels Airlines et Lufthansa ont dû batailler ferme pendant des années pour que Korongo Airlines puisse enfin avoir la chance de voler au Congo – alors qu'il y avait un réel besoin de compagnies aériennes fiables – il ne fait que confirmer ce constat.
L'un des copropriétaires de l'autre compagnie aérienne n'étant autre que Kabila, il y a fort à parier que cela a également joué un rôle.
Pierre Chevalier : « Nous respectons les règles internationales et éthiques. Cela requiert plus de temps. Et un soutien politique : le gouvernement belge a largement plaidé notre cause. Notre association récente avec des acteurs internationaux, tels que Lufthansa ou Heidelberg (ciment), nous permet de même de réaliser plus facilement certaines choses sans transgresser de règles éthiques. »
Il n'échappe bien entendu pas à Pierre Chevalier que Dan Gertler est à présent devenu le new sheriff in town, nous dit-il d'un air moqueur. Et tout cela nous amène inévitablement à nous demander ce que George Forrest a bien pu faire à l'époque pour être incontournable.
« À ce moment-là, nous étions le seul grand entrepreneur du pays ; tout était alors bien différent. » Le groupe Forrest entend dorénavant gérer différemment les critiques, souligne Pierre Chevalier : « Davantage nouer le dialogue plutôt qu'intenter des procès. »
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John Vandaele
MO
En 2006, MO* Magazine a publié un dossier retentissant sur deux grands contrats miniers conclus au Congo. Ces contrats scindaient en deux entités la Gécamines-Ouest, le complexe minier auquel la ville de Kolwezi doit son existence.
Ainsi, la mine souterraine de Kamoto et les installations de production sont allées à Kinross Forrest Limited (KFL), tandis que la gigantesque et très riche mine à ciel ouvert de KOV est allée à Nikanor, l'entreprise de Dan Gertler, le fils de la plus puissante famille de diamantaires d'Israël.
Dan Gertler. Bloomberg/Simon Dawson
Pour quelle raison ces entreprises de taille plutôt réduite sont-elles les heureuses bénéficiaires de ces joyaux ?
En 2004 et 2005, l'instabilité était tellement grande dans le pays que les multinationales minières n'osaient pas encore s'y aventurer.
Les seuls à oser le faire étaient des personnes comme George Forrest, actif au Congo depuis des décennies déjà, et Dan Gertler, qui était (devenu) un ami personnel de Joseph Kabila.
Cette première vague de privatisations s'est déroulée à la veille des premières élections présidentielles.
Et il ne fait aucun doute que tant George Forrest que Dan Gertler ont largement financé la campagne électorale de Kabila, ce qui leur a d'ailleurs valu de figurer en première ligne lors du partage des riches mines.
A priori, il ne s'agissait pas là d'entreprises disposant des connaissances et des capitaux requis pour exploiter ces immenses richesses minières.
Un constat qui saute aux yeux lorsqu'on jette un petit coup d'œil sur place : tout ici est tellement gigantesque que les montants nécessaires doivent se calculer non pas en dizaines de millions, mais bien en milliards d'euros.
Tant George Forrest que Dan Gertler ont obtenu les concessions, sans pour autant devoir quoi que ce soit à l'État congolais. Certes, aux termes du contrat, un loyer devait être payé pour les installations et des dividendes versés sur les 25 % de la Gécamines.
Or, nous avions prédit que la réalisation effective ferait long feu et nous avions raison : aucun loyer n'a été payé et aucun dividende n'a à ce jour été versé.
En contrepartie, George Forrest et Dan Gertler étaient censés réunir les moyens nécessaires à la reprise de la production.
En 2006, le Groupe Forrest a créé la Kamoto Copper Company (KCC), mais, comme nous l'a confié Pierre Philippart, directeur de l'Entreprise Générale Malta Forrest (EGMF) à Kolwezi : « Nous savions d'entrée de jeu que nous n'y parviendrions pas seuls, car cela dépassait allègrement les possibilités financières d'une entreprise familiale. »
mise sur la touche
KFL a changé de nom pour devenir la Katanga Mining Limited (KML). Cette dernière conservait 75 % de la KCC, la Gécamines les 25 % restants. Le problème, c'est qu'alors que les concessions de Forrest et Gertler étaient naturellement en synergie, elles se retrouvaient à présent séparées, la KCC détenant ainsi la fabrique de cuivre à Luilu.
D'après les échos, la KML ne sautait guère de joie à l'idée de collaborer avec Dan Gertler. La KML a produit son premier cuivre en décembre 2007, mais un mois auparavant, la multinationale en matières premières Glencore avait déjà avancé quelque 150 millions de dollars.
La KML a ensuite eu de grosses difficultés financières. Il y avait, d'une part, la révision des contrats qui ne garantissait nullement le maintien des conditions initiales. Une incertitude qui a fait plonger l'action KML de cinquante à moins d'un dollar.
D'autre part, en raison de la crise financière, les banques ne se bousculaient pas vraiment au portillon pour investir au Congo, alors que le développement de Kamoto nécessitait des sommes astronomiques.
« Nous nous sommes efforcés de persuader les investisseurs d'acheter des actions en échange de capital, mais cela n'a pas marché », nous confie Pierre Chevalier, Vice-Président du Groupe Forrest International et ex-politicien.
Le fait que la Gécamines s'oppose aussi farouchement à George Forrest, alors qu'elle est en train de conclure, les uns à la suite des autres, des contrats lucratifs avec Dan Gertler, indique que George Forrest a perdu les faveurs d'une certaine frange de l'élite.
« Et si vous ne jouez pas le jeu comme les autres, vous allez au-devant de difficultés », soupire Pierre Chevalier, vice-Président du Groupe Forrest International et ex-politicien.
L'argent n'était manifestement pas un problème pour Glencore qui a, une nouvelle fois, injecté en janvier 2009 quelque 100 millions de dollars dans la KCC.
Afin d'apurer sa position financière et de poursuivre le développement planifié, la KML avait encore besoin de 250 millions de dollars, une somme qu'elle n'est pas parvenue à rassembler.
Glencore est intervenu une nouvelle fois en convertissant ses prêts en nouveau capital, ce qui s'est traduit par une forte dilution de la participation de George Forrest, qui a chuté de 40 à 1 %.
Ce fut l'influence croissante de Glencore qui a fini par imposer une fusion entre la KML et Nikanor. Ce n'est qu'ainsi qu'une implantation de niveau mondial a pu voir le jour. En 2014 avec une production de 300.000 tonnes, la KCC devrait devenir la plus grande entreprise cuprifère du Congo.
Entretemps, George Forrest a vendu les quelques pour cent qu'il détenait encore dans la société. Nous ne savons pas combien lui a rapporté cette opération.
Au moment de la transaction, George Forrest est en outre parvenu à décrocher un gros contrat de service chez Glencore : c'est désormais EGMF qui se charge de l'exploitation de la mine KOV. Nous n'avons aucune information sur la teneur de ce contrat.
Pierre Chevalier : « Il va de soi que nous aurions préféré rester nous aussi aux commandes de la KCC. Nous y avons investi de l'argent et de l'énergie, mais apparemment, nous étions trop petits. Nous jouons à présent de nouveau dans notre catégorie. Mais tout cela a quelque chose de décevant : c'est un peu comme si vous entraîniez Adnan Januzaj pour le voir ensuite redorer le blason d'une autre équipe. »
Autres règles du jeu
Ben Pirard d'EGMF nous fait visiter la mine KOV, dont les concentrations en cuivre de plus de 4 % en font l'une des plus riches au monde. Nous nous retrouvons devant un puits béant de 200 mètres de profondeur, cette dernière devant même à terme atteindre les 400 mètres.
Ben Pirard : « Il nous a fallu au préalable pomper pendant plus d'une année pour retirer toute l'eau du puits. N'oubliez pas que l'eau de la nappe phréatique reflue en permanence. Dès que vous arrêtez le pompage, le niveau de l'eau remonte en engloutissant tout. Une évacuation constante s'avère dès lors nécessaire. »
George Forrest ne jouit plus de la position dominante qu'il occupait en 2006. Un peu comme s'il n'était plus dans les bonnes grâces de certains dirigeants. Un constat illustré par tout le tumulte entourant la Compagnie Minière du Sud-Katanga (CMSK).
George Forrest, qui détenait une participation dans la CMSK, voulait la vendre pour 15 millions de dollars à une autre entreprise du groupe. La Gécamines a toutefois exercé son droit de préemption en exigeant de pouvoir acheter elle-même ces actions pour un montant de 15 millions de dollars, une prise de position qui n'a pas vraiment plu à George Forrest. Il s'est alors ensuivi un conflit juridique au Congo et devant la Cour internationale d'arbitrage à Paris.
En fin de compte, George Forrest a touché une somme d'argent bien plus élevée que les 15 millions de départ.
Le fait que la Gécamines s'oppose aussi farouchement à George Forrest, alors qu'elle est en train de conclure, les uns à la suite des autres, des contrats lucratifs avec Dan Gertler, indique que George Forrest a perdu les faveurs d'une certaine frange de l'élite. « Et si vous ne jouez pas le jeu comme les autres, vous allez au-devant de difficultés », soupire Pierre Chevalier.
Quant au fait que George Forrest, SN Brussels Airlines et Lufthansa ont dû batailler ferme pendant des années pour que Korongo Airlines puisse enfin avoir la chance de voler au Congo – alors qu'il y avait un réel besoin de compagnies aériennes fiables – il ne fait que confirmer ce constat.
L'un des copropriétaires de l'autre compagnie aérienne n'étant autre que Kabila, il y a fort à parier que cela a également joué un rôle.
Pierre Chevalier : « Nous respectons les règles internationales et éthiques. Cela requiert plus de temps. Et un soutien politique : le gouvernement belge a largement plaidé notre cause. Notre association récente avec des acteurs internationaux, tels que Lufthansa ou Heidelberg (ciment), nous permet de même de réaliser plus facilement certaines choses sans transgresser de règles éthiques. »
Il n'échappe bien entendu pas à Pierre Chevalier que Dan Gertler est à présent devenu le new sheriff in town, nous dit-il d'un air moqueur. Et tout cela nous amène inévitablement à nous demander ce que George Forrest a bien pu faire à l'époque pour être incontournable.
« À ce moment-là, nous étions le seul grand entrepreneur du pays ; tout était alors bien différent. » Le groupe Forrest entend dorénavant gérer différemment les critiques, souligne Pierre Chevalier : « Davantage nouer le dialogue plutôt qu'intenter des procès. »
___
John Vandaele
MO
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