28 nov 2014
TRIBUNE – Alors qu’un nouveau secrétaire général de la Francophonie va être nommé ce week-end, maître Hamuli Réty demande au successeur d’Abdou Diouf de prendre en compte les victimes de viols au Congo et prône la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC.
Maître Hamuli Réty est à l’initiative de la campagne contre les viols en RDC et pour la mise en place d’un Tribunal pénal international pour les crimes au Congo © Ch. Rigaud – Afrikarabia
FRANCOPHONIE : On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite les femmes
L’Organisation Internationale de la Francophonie va changer de maître ce week-end et par la même occasion sa communauté va changer de coiffe. Sera-t-elle brune, blonde, rousse ou crépue, noire ou blanche ? Seule la fumée blanche des cheminées dakaroises nous le dira.
L’Histoire nous a appris qu’ordinairement, ces sommets sont perçus comme des messes banales sans grand impact sur les peuples. Rares sont les discours qui, comme celui de La Baule, ont pu provoquer un réel changement.
Ce dernier avait retenti comme un tsunami sur toute l’Afrique, provoquant par vagues entières, des conférences nationales souveraines. On n’attend pas qu’un tel discours soit prononcé à Dakar, quand bien même il est à prévoir que la reprise de sa souveraineté par le peuple Burkinabé inspire bien des orateurs.
La seule grande attente de Dakar sera de savoir quelle femme ou quel homme remplacera Abdou Diouf, l’homme qui a marqué l’institution de sa personnalité pendant douze années.
Dans le fond, la citoyenneté francophone reste à construire. Les 274 millions de locuteurs qui composent notre communauté s’interrogent encore sur l’utilité de cette organisation qui emballe tant les chefs d’État et laisse indifférents les peuples.
Le plus audacieux des citoyens francophones, reste à ce jour le franco-congolais Jean-Louis Tshimbalanga qui, de la place qui est la sienne et tel Don Quichotte de la Manche a, en vertu de sa propre lecture de la charte, eu le courage de trainer l’organisation devant la justice française pour la contraindre à ne pas organiser à Kinshasa, le XIVème sommet.
Cet acte marquera-t-il le début de la citoyenneté francophone ? Seul l’avenir nous le dira.
En tout état de cause, conscient des interrogations du peuple congolais, François Hollande a trouvé la façon originale d’exprimer à travers les entraves au protocole, un message juste que le peuple congolais voulait entendre. Son langage a été perçu 5 sur 5 par les congolais et au-delà, par l’Afrique toute entière.
Communion autour du français
Dans son discours de Kinshasa le Président Hollande a fait remarquer à juste titre, qu’en 2050, nous serons 700 millions d’hommes et de femmes à parler français et 80% d’entre nous, seront africains.
L’OIF fait état de 274 millions de locuteurs du français, soit un bond de 7 % en quatre ans. (Le mode de calcul pour arriver à ce chiffre paraît discutable rien qu’en considérant que la RDC à elle seule, compte officiellement 73 millions d’habitants et la France 66 millions). Qu’à cela ne tienne.
D’aucuns pensent malgré tout, qu’il est maintenant important de veiller à ce que la jeunesse puisse acquérir une éducation en français à la fine pointe du savoir scientifique et technologique, pour garder le cap.
Nous connaissons tous, les difficultés de la langue française volontairement compliquée pour s’embourgeoiser et « s’élitiser ».
Du coup, seules les générations d’avant soixante la maîtrisent encore, tout autant qu’elles restent d’ailleurs les seules à maîtriser la calligraphie.
D’une génération à l’autre, les jeunes écrivent et parlent de moins en moins bien le français. Il arrive même que plus on s’éloigne de la France, mieux on retrouve les soins apportés à la langue française.
Des enfants formés dans des écoles sérieuses d’Afrique et du Québec parlent et écrivent parfois mieux le français que ceux qui vivent en Île-de-France à quelques pâtés de maisons du Quai Conti.
Cette langue doit donc être simplifiée si elle veut survivre au temps. L’art de la compliquer devrait-il rester le fondement de l’immortalité des académiciens ?
Les générations futures ne le comprendraient pas de cette oreille et il n’est pas exclu que « la grève du français » devienne dans un avenir proche, un mode de protestation.
Quoi qu’il en soi, le français reste aujourd’hui le seul maillon solide qui unit ses locuteurs. C’est le seul patrimoine que nous ayons finalement en commun.
Paradoxalement cette communauté de langue n’a pas réussi à briser les barrières entre les francophones du nord et ceux du sud. Si les échanges entre pays du nord – membres de l’OIF se font quasi automatiquement grâce aux conventions spécifiques dans leurs zones géographiques respectives, ni Abdou Diouf, ni Boutros-Boutros Ghali n’ont réussi à faire tomber les barrières administratives pour les étudiants, les artisans et les commerçants, sans parler des migrations des travailleurs.
Pour les peuples de la communauté, ces échanges sont donc soit fermées, soit alors à sens unique.
Communion autour des valeurs
Au-delà de la culture et de l’éducation qui sont ses domaines originels de la coopération francophone, l’OIF se prévaut des nouvelles missions politiques et économiques qu’elle assume peu ou prou.
Ces secteurs sont de ceux qui sont restés dans la zone d’invisibilité pour les citoyens communautaires, soit parce que leur réalisation est nulle, soit encore que le peu de réalisation disparaît dans les labyrinthes diplomatiques inaptes à restituer l’information à la base.
Et c’est ici que l’histoire demandera des comptes à Boutros-Boutros Ghali et à Abdou Diouf.
Faut-il rappeler aux 77 délégations d’électeurs que voter pour « le » ou « la » secrétaire général-e, est une responsabilité majeure ?
Plus qu’un banal soutien ou ralliement régional, cet acte est primordial pour qui veut donner à l’organisation les moyens de sa politique. À bon secrétaire général, bel avenir pour l’institution donc.
Mon propos d’aujourd’hui porte essentiellement sur la situation que vivent les femmes victimes de viol comme arme de guerre à l’est de la RDC.
Les Congolais qui ont longtemps cru que cette organisation, forte de ses 77 membres, pouvait peser de tout son poids politique pour faire cesser les agressions répétées dont ils sont l’objet de la part des pays voisins et surtout du Rwanda, ont vite fait de déchanter.
Faut-il rappeler qu’après avoir renoncé au français au profit de l’anglais comme langue officielle, le Rwanda est resté membre à part entière de l’OIF !
La complaisance à l’égard du Rwanda durant les douze années de règne de Diouf n’a en rien, amélioré l’attitude de ce pays à l’égard de son voisin.
Bien au contraire, le Rwanda a agi en toute impunité tant au sein de l’OIF que devant la Cour de justice Internationale dont il a contesté la compétence. Il bénéficie des plus farouches soutiens anglosaxons.
Dans ma langue maternelle on dit « O’langwirwe n’owangui adoma agashongwire. » Sauf qu’ici – loin d’un banal caprice de dictateur – c’est des millions de vies des francophones qu’il s’agit.
Comment ne pas s’interroger sur la pertinence du mandat politique de l’Organisation, si elle ne peut se démarquer de l’ONU – de la communauté internationale ainsi que des anglo-saxons – et si elle ne veut, ni ne peut, ou tout simplement ne sait comment imprimer sa propre marque dans la résolution des conflits intra-muros ?
A quoi cela servirait-t-il en effet, d’être 700 millions en 2050 si c’est pour nous massacrer mutuellement ? Comment pouvons-nous espérer constituer un jour une force démographique si nous ne respectons pas la vie des membres de la communauté francophone ?
S’agissant du volet justice et paix, j’ai longtemps cru en la capacité de l’OIF d’imposer les valeurs de justice telles que renforcées par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, jusqu’au moment où s’est posée la question des agressions répétées contre la RDC avec son lot de massacres systématiques et généralisés.
Ce n’est un secret pour personne et l’ONU est la première à avancer le chiffre de 500.000 femmes violées et plus de 6 millions de morts dans l’ex Zaïre (première communauté francophone après la France).
Tous les États parlent de la lutte contre l’impunité mais aucun n’est déterminé à interroger les vraies responsabilités. Ils renvoient les victimes devant les cours et tribunaux congolais dont ils savent pertinemment qu’ils n’ont de pouvoir judiciaire que nominal, que les magistrats ne sont pas payés (ils sont d’ailleurs en grève pour réclamer 3 ans d’arriérés de salaire) et que les infrastructures tant judiciaires que carcérales laissent à désirer.
C’est alors que, soutenu par les 52 personnalités féminines de haut niveau, j’ai entamé une campagne pour interpeller nominativement les dirigeants politiques de ce monde et les membres du Conseil de sécurité afin de mettre fin aux viols / arme de guerre et pour appeler à la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC à l’instar du Rwanda et de l’ex-Yougoslavie, seul moyen efficace de lutter contre l’impunité de ces tortionnaires qui s’attaquent maintenant aux fillettes et aux bébés.
Les marraines et moi avons pensé, en toute bonne foi, que dans ce combat, l’OIF serait notre soutien de poids grâce aux valeurs qu’elle porte et à l’appartenance des victimes à sa communauté. Nous avions aussi tablé sur le fait que forte de ses 77 membres, l’OIF pourrait peser sur les décisions de l’assemblée générale des Nations unies.
Notre campagne a très rapidement réuni 50.000 signatures individuelles. Passant des promesses de campagne aux actes, Le Président Hollande n’a pas hésité un seul instant à marquer de son sceau personnel, son attachement et son soutien à cette cause en recevant personnellement à l’Élysée, la délégation des personnalités féminines marraines de cette cause dont (madame Françoise Héritier et Mireille Delmas Marty du Collège de France – la vice-présidente du tribunal de Paris madame Bertella-Geffroy – madame Andrée Michel auteure du Que sais-je sur « Le féminisme ».
Le président Hollande a promis de saisir la meilleure opportunité qui se présenterait pour recueillir le soutien majoritaire nécessaire pour saisir utilement le Conseil de sécurité.
Ce soutien présidentiel a fait avancer la cause d’un Tribunal pénal international pour la RDC et nous ne pouvons que lui en être reconnaissant-es.
Le Président Van Rompuy de l’Union européenne s’est, à son tour, organisé pour trouver le temps d’écouter la délégation des marraines qui comprenait l’avocate internationale irlandaise Sylvia Geraghty, la journaliste franco-néerlandaise Marlène Tuininga, la photographe française Marie Hélène Le–Ny, la psychologue suissesse Sylvie Rieder, la Belgo-congolaise Laetitia Kalimbiriro. Le président Van Rompuy a fermement affirmé : « Devant l’histoire je ne dirai pas n’avoir rien vu, rien su ni rien entendu de ce qui se passe en RDC. C’est d’ailleurs, pourquoi je fais cette photo avec vous. » Le président Van Rompuy a aussi promis d’en parler avec les 27 membres et surtout à ceux qui siègent au Conseil de sécurité.
Qu’importe finalement le peu d’intérêt des médias belges et européens pour notre cause, tant que le Royaume de Belgique, pays francophone dont l’opinion compte sur les affaires du Congo a manifesté à son tour la volonté d’écouter notre délégation tant au Sénat avec la sénatrice Marie Arena qui a reçu les congolais qui avaient marché de Paris à Bruxelles en 13 jours ainsi qu’au ministère des affaires étrangères en présence de l’ambassadeur de la Belgique à Kinshasa. Dans un jargon diplomatique, la Belgique s’est dite sensible au problème.
La campagne pour la justice et la lutte efficace contre l’impunité des auteurs et responsables des crimes de guerre, crimes contre l’humanité était lancée et à un rythme qui permettait d’espérer un aboutissement rapide, surtout que madame la juge Pillay, Haute Commissaire de l’ONU pour les Droits de l’Homme acceptait à son tour de nous écouter.
« Pour une si noble cause déclarera-t-elle, d’entrée de jeu, et lorsque j’ai vu la qualité des personnalités féminines qui soutiennent cette campagne, je me suis dit qu’il faut absolument que je trouve le temps de vous dire mes encouragements. Mesdames, monsieur, vous prêchez à une convertie ». L’écrivaine, reporteur-e genevoise Laurence Deonna, la psychologue Sylvie Rieder, Sylvia Geraghty, les congolo-suissesses Marume Audrey et Chouchouna Ndjoko, ont pu lui exposer les raisons pour lesquelles il faudrait que les Nations unies se fassent à l’idée que le Tribunal pénal international est le moyen incontournable de lutter contre l’impunité en RDC en vue d’instaurer la paix dans la région.
Contrairement aux médias belges, les médias suisses francophones ont bien saisi cette occasion pour s’emparer du problème et rappeler à la face du monde, le calvaire des ces femmes.
La chaîne de télévision « Leman Bleu » a consacré la très suivie émission « Genève à chaud » pour sensibiliser les Suisses sur ces atrocités. Cela a permis de mobiliser d‘autres organisations basées en Suisse comme « Track Impunity » et la fondation « Womanity ».
De son coté, la lauréate de Prix de la princesse d’Asturies pour la Paix 2014, Caddy Adzuba Kahasha, journaliste congolaise, a essentiellement axé son discours sur la demande d’instauration du Tribunal pénal international pour la RDC.
Le Roi Felipe VI et la Reine Letizia d’Espagne ont été sensibles à son message. Il faut noter que l’Espagne siègera au Conseil de sécurité des Nations unies pour les deux années qui viennent.
La quête d’une justice internationale n’excluant pas le bon fonctionnement de la justice interne, le Barreau de Paris, constitué de plus de 21.000 avocats apporte désormais un inestimable soutien aux confrères congolais.
En signant des accords de coopération avec les Barreaux de Bukavu et de Goma, chacun des 21.000 avocats de Paris peut désormais voler au secours des victimes des viols comme arme de guerre à l’est de la RDC. En contrepartie, les avocats congolais peuvent poursuivre, jusqu’à Paris, les bourreaux qui s’y hasarderaient.
Les victimes des viols comme arme de guerre et les millions de personnes massacrées sont elles francophones ?
Quand vint l’heure de frapper à la porte de l’OIF et forts de tout ce qui précède, nous étions convaincu-es de pousser la bonne porte, pour ne pas dire que nous nous sentions à domicile. En effet, qui, mieux qu’un Secrétaire général africain de surcroit successeur de Senghor était en mesure de comprendre et porter la cause des « femmes noires, femmes africaines » devant la communauté internationale ?
Dans la seule perspective de rencontrer le Secrétaire général, une réunion de préparation nous a été proposée en avril 2014 avec la Direction Paix Justice et Démocratie de l’OIF.
La question était de savoir si les 500.000 femmes victimes des viols comme arme de guerre en RDC et les 6 millions de personnes massacrées étaient considérées par le Secrétaire général comme des membres à part entière de la famille francophone.
Et si tel était le cas, que faisait-il ou qu’envisageait-il de faire, eu égard à sa mission et aux valeurs de justice et de solidarité portées par la Charte de l’OIF.
Promesse nous a été faite que le Secrétaire général Diouf nous ferait savoir la date à laquelle il recevrait les marraines.
Huit mois après la réunion et à deux jours de la fin de son mandat, force est de constater qu’Abdou Diouf quitte ses fonctions sans s’être donné le temps de recevoir ces femmes ni d’expliquer sa politique en matière de justice et de lutte contre l’impunité des auteurs de ces atroces violences.
Il aura été la seule autorité qui, contactée, aura refusé d’ouvrir la porte de son cœur au calvaire des victimes de l’est de la RDC. Dans sa paisible retraite il pourra toujours, le cœur apaisé, prétendre « n’avoir rien vu, rien su ni rien entendu ».
Comment peut-il diable, se glorifier de ce que le nombre de locuteurs du français augmente de 7 millions depuis 2010, s’il ignore ou feint d’ignorer que 6 millions ont été dans l’entretemps massacrées au Congo par les troupes d’un pays membre de l’OIF qu’est le Rwanda ?
Ghandi avait dit qu’on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux. Je dirais ici qu’on reconnaîtra le degré de civilisation du monde francophone à la manière dont il traite les femmes et plus spécifiquement ces femmes victimes des viols comme arme de guerre, torturées par des bourreaux qui sont des citoyens-membres de la communauté francophone.
Les générations futures s’interrogeront, pourquoi un jour « cet homme si grand » ou « ce si grand homme » selon l’angle de vue, a pu tourner le dos au massacre de six millions d’africains et aux violences faites à des centaines des milliers de femmes.
Comment n’a-t-il pu trouver ni se donner le temps d’écouter les personnalités féminines francophones, portées par la valeur de solidarité et qui ne demandaient qu’à voler au secours de leurs semblables, victimes de violences atroces et des exactions les plus cruelles ? Seule l’Histoire jugera.
Pour l’heure, nous sommes 274 millions de francophones sans droit de vote et nous ne pouvons donc qu’émettre des souhaits. Il faudra donc espérer qu’une femme, la seule candidate parmi un groupe d’hommes, soit désignée par la fumée du 29 au 30 novembre prochain à Dakar
Pour autant, la confiance n’exclut pas le contrôle, disent les Allemands.
Il n’est pas inhabituel de voir une femme, aussitôt arrivée au pouvoir, tourner le dos au drame des autres femmes et notamment à celles de la RDC qui ont vu passer tant de femmes de pouvoir et pas de solution du tout. Il faut espérer que Michaëlle Jean se distinguera de celles-là.
Je forme le vœu que « le » ou « la » prochain-e Secrétaire général-e de l’OIF trouve le temps nécessaire pour faire de l’organisation, une communauté des peuples solidaires, car après tout, une institution est ce qu’en fait « celle » ou « celui » qui en exerce l’autorité. Telle est la responsabilité de ceux qui ont la charge de désigner le successeur d’Abdou Diouf.
Le ROI est mort, vive la REINE ? Qui sera saura.
Par Hamuli RETY, Initiateur de la campagne contre les viols/arme de guerre et pour la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC. Ancien président des avocats du TPIR/Arusha
Paris, le 27 novembre 2014
_________________
Christophe RIGAUD
AFRIKARABIA
TRIBUNE – Alors qu’un nouveau secrétaire général de la Francophonie va être nommé ce week-end, maître Hamuli Réty demande au successeur d’Abdou Diouf de prendre en compte les victimes de viols au Congo et prône la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC.
Maître Hamuli Réty est à l’initiative de la campagne contre les viols en RDC et pour la mise en place d’un Tribunal pénal international pour les crimes au Congo © Ch. Rigaud – Afrikarabia
FRANCOPHONIE : On reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite les femmes
L’Organisation Internationale de la Francophonie va changer de maître ce week-end et par la même occasion sa communauté va changer de coiffe. Sera-t-elle brune, blonde, rousse ou crépue, noire ou blanche ? Seule la fumée blanche des cheminées dakaroises nous le dira.
L’Histoire nous a appris qu’ordinairement, ces sommets sont perçus comme des messes banales sans grand impact sur les peuples. Rares sont les discours qui, comme celui de La Baule, ont pu provoquer un réel changement.
Ce dernier avait retenti comme un tsunami sur toute l’Afrique, provoquant par vagues entières, des conférences nationales souveraines. On n’attend pas qu’un tel discours soit prononcé à Dakar, quand bien même il est à prévoir que la reprise de sa souveraineté par le peuple Burkinabé inspire bien des orateurs.
La seule grande attente de Dakar sera de savoir quelle femme ou quel homme remplacera Abdou Diouf, l’homme qui a marqué l’institution de sa personnalité pendant douze années.
Dans le fond, la citoyenneté francophone reste à construire. Les 274 millions de locuteurs qui composent notre communauté s’interrogent encore sur l’utilité de cette organisation qui emballe tant les chefs d’État et laisse indifférents les peuples.
Le plus audacieux des citoyens francophones, reste à ce jour le franco-congolais Jean-Louis Tshimbalanga qui, de la place qui est la sienne et tel Don Quichotte de la Manche a, en vertu de sa propre lecture de la charte, eu le courage de trainer l’organisation devant la justice française pour la contraindre à ne pas organiser à Kinshasa, le XIVème sommet.
Cet acte marquera-t-il le début de la citoyenneté francophone ? Seul l’avenir nous le dira.
En tout état de cause, conscient des interrogations du peuple congolais, François Hollande a trouvé la façon originale d’exprimer à travers les entraves au protocole, un message juste que le peuple congolais voulait entendre. Son langage a été perçu 5 sur 5 par les congolais et au-delà, par l’Afrique toute entière.
Communion autour du français
Dans son discours de Kinshasa le Président Hollande a fait remarquer à juste titre, qu’en 2050, nous serons 700 millions d’hommes et de femmes à parler français et 80% d’entre nous, seront africains.
L’OIF fait état de 274 millions de locuteurs du français, soit un bond de 7 % en quatre ans. (Le mode de calcul pour arriver à ce chiffre paraît discutable rien qu’en considérant que la RDC à elle seule, compte officiellement 73 millions d’habitants et la France 66 millions). Qu’à cela ne tienne.
D’aucuns pensent malgré tout, qu’il est maintenant important de veiller à ce que la jeunesse puisse acquérir une éducation en français à la fine pointe du savoir scientifique et technologique, pour garder le cap.
Nous connaissons tous, les difficultés de la langue française volontairement compliquée pour s’embourgeoiser et « s’élitiser ».
Du coup, seules les générations d’avant soixante la maîtrisent encore, tout autant qu’elles restent d’ailleurs les seules à maîtriser la calligraphie.
D’une génération à l’autre, les jeunes écrivent et parlent de moins en moins bien le français. Il arrive même que plus on s’éloigne de la France, mieux on retrouve les soins apportés à la langue française.
Des enfants formés dans des écoles sérieuses d’Afrique et du Québec parlent et écrivent parfois mieux le français que ceux qui vivent en Île-de-France à quelques pâtés de maisons du Quai Conti.
Cette langue doit donc être simplifiée si elle veut survivre au temps. L’art de la compliquer devrait-il rester le fondement de l’immortalité des académiciens ?
Les générations futures ne le comprendraient pas de cette oreille et il n’est pas exclu que « la grève du français » devienne dans un avenir proche, un mode de protestation.
Quoi qu’il en soi, le français reste aujourd’hui le seul maillon solide qui unit ses locuteurs. C’est le seul patrimoine que nous ayons finalement en commun.
Paradoxalement cette communauté de langue n’a pas réussi à briser les barrières entre les francophones du nord et ceux du sud. Si les échanges entre pays du nord – membres de l’OIF se font quasi automatiquement grâce aux conventions spécifiques dans leurs zones géographiques respectives, ni Abdou Diouf, ni Boutros-Boutros Ghali n’ont réussi à faire tomber les barrières administratives pour les étudiants, les artisans et les commerçants, sans parler des migrations des travailleurs.
Pour les peuples de la communauté, ces échanges sont donc soit fermées, soit alors à sens unique.
Communion autour des valeurs
Au-delà de la culture et de l’éducation qui sont ses domaines originels de la coopération francophone, l’OIF se prévaut des nouvelles missions politiques et économiques qu’elle assume peu ou prou.
Ces secteurs sont de ceux qui sont restés dans la zone d’invisibilité pour les citoyens communautaires, soit parce que leur réalisation est nulle, soit encore que le peu de réalisation disparaît dans les labyrinthes diplomatiques inaptes à restituer l’information à la base.
Et c’est ici que l’histoire demandera des comptes à Boutros-Boutros Ghali et à Abdou Diouf.
Faut-il rappeler aux 77 délégations d’électeurs que voter pour « le » ou « la » secrétaire général-e, est une responsabilité majeure ?
Plus qu’un banal soutien ou ralliement régional, cet acte est primordial pour qui veut donner à l’organisation les moyens de sa politique. À bon secrétaire général, bel avenir pour l’institution donc.
Mon propos d’aujourd’hui porte essentiellement sur la situation que vivent les femmes victimes de viol comme arme de guerre à l’est de la RDC.
Les Congolais qui ont longtemps cru que cette organisation, forte de ses 77 membres, pouvait peser de tout son poids politique pour faire cesser les agressions répétées dont ils sont l’objet de la part des pays voisins et surtout du Rwanda, ont vite fait de déchanter.
Faut-il rappeler qu’après avoir renoncé au français au profit de l’anglais comme langue officielle, le Rwanda est resté membre à part entière de l’OIF !
La complaisance à l’égard du Rwanda durant les douze années de règne de Diouf n’a en rien, amélioré l’attitude de ce pays à l’égard de son voisin.
Bien au contraire, le Rwanda a agi en toute impunité tant au sein de l’OIF que devant la Cour de justice Internationale dont il a contesté la compétence. Il bénéficie des plus farouches soutiens anglosaxons.
Dans ma langue maternelle on dit « O’langwirwe n’owangui adoma agashongwire. » Sauf qu’ici – loin d’un banal caprice de dictateur – c’est des millions de vies des francophones qu’il s’agit.
Comment ne pas s’interroger sur la pertinence du mandat politique de l’Organisation, si elle ne peut se démarquer de l’ONU – de la communauté internationale ainsi que des anglo-saxons – et si elle ne veut, ni ne peut, ou tout simplement ne sait comment imprimer sa propre marque dans la résolution des conflits intra-muros ?
A quoi cela servirait-t-il en effet, d’être 700 millions en 2050 si c’est pour nous massacrer mutuellement ? Comment pouvons-nous espérer constituer un jour une force démographique si nous ne respectons pas la vie des membres de la communauté francophone ?
S’agissant du volet justice et paix, j’ai longtemps cru en la capacité de l’OIF d’imposer les valeurs de justice telles que renforcées par la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, jusqu’au moment où s’est posée la question des agressions répétées contre la RDC avec son lot de massacres systématiques et généralisés.
Ce n’est un secret pour personne et l’ONU est la première à avancer le chiffre de 500.000 femmes violées et plus de 6 millions de morts dans l’ex Zaïre (première communauté francophone après la France).
Tous les États parlent de la lutte contre l’impunité mais aucun n’est déterminé à interroger les vraies responsabilités. Ils renvoient les victimes devant les cours et tribunaux congolais dont ils savent pertinemment qu’ils n’ont de pouvoir judiciaire que nominal, que les magistrats ne sont pas payés (ils sont d’ailleurs en grève pour réclamer 3 ans d’arriérés de salaire) et que les infrastructures tant judiciaires que carcérales laissent à désirer.
C’est alors que, soutenu par les 52 personnalités féminines de haut niveau, j’ai entamé une campagne pour interpeller nominativement les dirigeants politiques de ce monde et les membres du Conseil de sécurité afin de mettre fin aux viols / arme de guerre et pour appeler à la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC à l’instar du Rwanda et de l’ex-Yougoslavie, seul moyen efficace de lutter contre l’impunité de ces tortionnaires qui s’attaquent maintenant aux fillettes et aux bébés.
Les marraines et moi avons pensé, en toute bonne foi, que dans ce combat, l’OIF serait notre soutien de poids grâce aux valeurs qu’elle porte et à l’appartenance des victimes à sa communauté. Nous avions aussi tablé sur le fait que forte de ses 77 membres, l’OIF pourrait peser sur les décisions de l’assemblée générale des Nations unies.
Notre campagne a très rapidement réuni 50.000 signatures individuelles. Passant des promesses de campagne aux actes, Le Président Hollande n’a pas hésité un seul instant à marquer de son sceau personnel, son attachement et son soutien à cette cause en recevant personnellement à l’Élysée, la délégation des personnalités féminines marraines de cette cause dont (madame Françoise Héritier et Mireille Delmas Marty du Collège de France – la vice-présidente du tribunal de Paris madame Bertella-Geffroy – madame Andrée Michel auteure du Que sais-je sur « Le féminisme ».
Le président Hollande a promis de saisir la meilleure opportunité qui se présenterait pour recueillir le soutien majoritaire nécessaire pour saisir utilement le Conseil de sécurité.
Ce soutien présidentiel a fait avancer la cause d’un Tribunal pénal international pour la RDC et nous ne pouvons que lui en être reconnaissant-es.
Le Président Van Rompuy de l’Union européenne s’est, à son tour, organisé pour trouver le temps d’écouter la délégation des marraines qui comprenait l’avocate internationale irlandaise Sylvia Geraghty, la journaliste franco-néerlandaise Marlène Tuininga, la photographe française Marie Hélène Le–Ny, la psychologue suissesse Sylvie Rieder, la Belgo-congolaise Laetitia Kalimbiriro. Le président Van Rompuy a fermement affirmé : « Devant l’histoire je ne dirai pas n’avoir rien vu, rien su ni rien entendu de ce qui se passe en RDC. C’est d’ailleurs, pourquoi je fais cette photo avec vous. » Le président Van Rompuy a aussi promis d’en parler avec les 27 membres et surtout à ceux qui siègent au Conseil de sécurité.
Qu’importe finalement le peu d’intérêt des médias belges et européens pour notre cause, tant que le Royaume de Belgique, pays francophone dont l’opinion compte sur les affaires du Congo a manifesté à son tour la volonté d’écouter notre délégation tant au Sénat avec la sénatrice Marie Arena qui a reçu les congolais qui avaient marché de Paris à Bruxelles en 13 jours ainsi qu’au ministère des affaires étrangères en présence de l’ambassadeur de la Belgique à Kinshasa. Dans un jargon diplomatique, la Belgique s’est dite sensible au problème.
La campagne pour la justice et la lutte efficace contre l’impunité des auteurs et responsables des crimes de guerre, crimes contre l’humanité était lancée et à un rythme qui permettait d’espérer un aboutissement rapide, surtout que madame la juge Pillay, Haute Commissaire de l’ONU pour les Droits de l’Homme acceptait à son tour de nous écouter.
« Pour une si noble cause déclarera-t-elle, d’entrée de jeu, et lorsque j’ai vu la qualité des personnalités féminines qui soutiennent cette campagne, je me suis dit qu’il faut absolument que je trouve le temps de vous dire mes encouragements. Mesdames, monsieur, vous prêchez à une convertie ». L’écrivaine, reporteur-e genevoise Laurence Deonna, la psychologue Sylvie Rieder, Sylvia Geraghty, les congolo-suissesses Marume Audrey et Chouchouna Ndjoko, ont pu lui exposer les raisons pour lesquelles il faudrait que les Nations unies se fassent à l’idée que le Tribunal pénal international est le moyen incontournable de lutter contre l’impunité en RDC en vue d’instaurer la paix dans la région.
Contrairement aux médias belges, les médias suisses francophones ont bien saisi cette occasion pour s’emparer du problème et rappeler à la face du monde, le calvaire des ces femmes.
La chaîne de télévision « Leman Bleu » a consacré la très suivie émission « Genève à chaud » pour sensibiliser les Suisses sur ces atrocités. Cela a permis de mobiliser d‘autres organisations basées en Suisse comme « Track Impunity » et la fondation « Womanity ».
De son coté, la lauréate de Prix de la princesse d’Asturies pour la Paix 2014, Caddy Adzuba Kahasha, journaliste congolaise, a essentiellement axé son discours sur la demande d’instauration du Tribunal pénal international pour la RDC.
Le Roi Felipe VI et la Reine Letizia d’Espagne ont été sensibles à son message. Il faut noter que l’Espagne siègera au Conseil de sécurité des Nations unies pour les deux années qui viennent.
La quête d’une justice internationale n’excluant pas le bon fonctionnement de la justice interne, le Barreau de Paris, constitué de plus de 21.000 avocats apporte désormais un inestimable soutien aux confrères congolais.
En signant des accords de coopération avec les Barreaux de Bukavu et de Goma, chacun des 21.000 avocats de Paris peut désormais voler au secours des victimes des viols comme arme de guerre à l’est de la RDC. En contrepartie, les avocats congolais peuvent poursuivre, jusqu’à Paris, les bourreaux qui s’y hasarderaient.
Les victimes des viols comme arme de guerre et les millions de personnes massacrées sont elles francophones ?
Quand vint l’heure de frapper à la porte de l’OIF et forts de tout ce qui précède, nous étions convaincu-es de pousser la bonne porte, pour ne pas dire que nous nous sentions à domicile. En effet, qui, mieux qu’un Secrétaire général africain de surcroit successeur de Senghor était en mesure de comprendre et porter la cause des « femmes noires, femmes africaines » devant la communauté internationale ?
Dans la seule perspective de rencontrer le Secrétaire général, une réunion de préparation nous a été proposée en avril 2014 avec la Direction Paix Justice et Démocratie de l’OIF.
La question était de savoir si les 500.000 femmes victimes des viols comme arme de guerre en RDC et les 6 millions de personnes massacrées étaient considérées par le Secrétaire général comme des membres à part entière de la famille francophone.
Et si tel était le cas, que faisait-il ou qu’envisageait-il de faire, eu égard à sa mission et aux valeurs de justice et de solidarité portées par la Charte de l’OIF.
Promesse nous a été faite que le Secrétaire général Diouf nous ferait savoir la date à laquelle il recevrait les marraines.
Huit mois après la réunion et à deux jours de la fin de son mandat, force est de constater qu’Abdou Diouf quitte ses fonctions sans s’être donné le temps de recevoir ces femmes ni d’expliquer sa politique en matière de justice et de lutte contre l’impunité des auteurs de ces atroces violences.
Il aura été la seule autorité qui, contactée, aura refusé d’ouvrir la porte de son cœur au calvaire des victimes de l’est de la RDC. Dans sa paisible retraite il pourra toujours, le cœur apaisé, prétendre « n’avoir rien vu, rien su ni rien entendu ».
Comment peut-il diable, se glorifier de ce que le nombre de locuteurs du français augmente de 7 millions depuis 2010, s’il ignore ou feint d’ignorer que 6 millions ont été dans l’entretemps massacrées au Congo par les troupes d’un pays membre de l’OIF qu’est le Rwanda ?
Ghandi avait dit qu’on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux. Je dirais ici qu’on reconnaîtra le degré de civilisation du monde francophone à la manière dont il traite les femmes et plus spécifiquement ces femmes victimes des viols comme arme de guerre, torturées par des bourreaux qui sont des citoyens-membres de la communauté francophone.
Les générations futures s’interrogeront, pourquoi un jour « cet homme si grand » ou « ce si grand homme » selon l’angle de vue, a pu tourner le dos au massacre de six millions d’africains et aux violences faites à des centaines des milliers de femmes.
Comment n’a-t-il pu trouver ni se donner le temps d’écouter les personnalités féminines francophones, portées par la valeur de solidarité et qui ne demandaient qu’à voler au secours de leurs semblables, victimes de violences atroces et des exactions les plus cruelles ? Seule l’Histoire jugera.
Pour l’heure, nous sommes 274 millions de francophones sans droit de vote et nous ne pouvons donc qu’émettre des souhaits. Il faudra donc espérer qu’une femme, la seule candidate parmi un groupe d’hommes, soit désignée par la fumée du 29 au 30 novembre prochain à Dakar
Pour autant, la confiance n’exclut pas le contrôle, disent les Allemands.
Il n’est pas inhabituel de voir une femme, aussitôt arrivée au pouvoir, tourner le dos au drame des autres femmes et notamment à celles de la RDC qui ont vu passer tant de femmes de pouvoir et pas de solution du tout. Il faut espérer que Michaëlle Jean se distinguera de celles-là.
Je forme le vœu que « le » ou « la » prochain-e Secrétaire général-e de l’OIF trouve le temps nécessaire pour faire de l’organisation, une communauté des peuples solidaires, car après tout, une institution est ce qu’en fait « celle » ou « celui » qui en exerce l’autorité. Telle est la responsabilité de ceux qui ont la charge de désigner le successeur d’Abdou Diouf.
Le ROI est mort, vive la REINE ? Qui sera saura.
Par Hamuli RETY, Initiateur de la campagne contre les viols/arme de guerre et pour la création d’un Tribunal pénal international pour la RDC. Ancien président des avocats du TPIR/Arusha
Paris, le 27 novembre 2014
_________________
Christophe RIGAUD
AFRIKARABIA
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire