Une machette à la main (dans le rond rouge, et dans la main des autres patrouilleurs), les "chasseurs de microbes arpentent une rue d'Abobo. Capture d'écran d'une vidéo filmée au mois d'avril par les patrouilleurs.
Ils se définissent comme des "chasseurs de microbes". Des habitants d’Abobo, une commune d’Abidjan, se sont constitués en comité de vigilance et patrouillent de nuit, machette à la main, à la recherche de ces membres de gangs qui terrorisent leur quartier.
Les "microbes" sont des gangs réputés ultra-violents qui sévissent à Abidjan. Composés d’adolescents, voire d’enfants, ils s’adonnent au racket en bande. À Abobo, une commune du nord d’Abidjan, le phénomène inquiète particulièrement les habitants. Des ex-combattants, qui ont combattu pour Alassane Ouattara lors de la crise post-électorale mais qui sont aujourd’hui désœuvrés, sont accusés par la population de protéger ces groupes de délinquants. D'autres membres d'ONG attribuent leur protection aux gnambros, des gros bras du milieu des transports en commun à Abidjan.
"Je chasse les ‘microbes’, c’est une façon pour moi de ‘payer mes dettes’"D’autres ex-combattants ont choisi au contraire de combattre ces "microbes ". Abou, commerçant à Abobo, est l’un d’entre eux.
Nous avons commencé à 14 patrouilleurs bénévoles. Aujourd’hui, nous sommes environ une cinquantaine. Nous nous relayons dès la tombée de la nuit et jusqu’à l’aube pour protéger ceux qui partent tôt sur les marchés et leur éviter de tomber dans une embuscade de "microbes".
On fait aussi parfois des descentes dans les "fumoirs", des lieux où les microbes se réunissent avant leurs attaques pour boire et se droguer. Notre objectif est de les attraper et de les confier à la police. Mais lorsque ça devient trop dangereux, on s’autorise à les "neutraliser" [Abdou refuse cependant de dire si son groupe a tué des "microbes" depuis que la patrouille existe, NDLR].
Sur ces images transmises par Abou, des "chasseurs de microbes, patrouillent mi-avril dans la commune d'Abobo Kennedy. Ils rassurent notamment des femmes en train de puiser de l'eau très tôt.
Je ne me contente pas de patrouiller. Je recense également des témoignages en vidéos des familles de victimes, et je monte des dossiers avec des images de leurs blessures et avec des photos de leurs agresseurs présumés. Je confie ensuite l’ensemble de mes recherches aux autorités d’Abobo.
Abou nous a fait parvenir quelques unes des pièces de son dossier qu'il affirme tenir. Dans celui-ci, deux présumés "microbes" arrêtés en aout 2014 par sa brigade et ayant blessés des habitants d'Abobo.
"J’espère montrer que je peux être utile et intégrer à terme la police"
Je n’ai jamais touché un centime pour ces activités. Je fais cela car les "microbes" sont issus d’une situation que j’ai moi-même contribué à créer. Certains de ces jeunes ont combattu dans le même camp que moi à l’époque. Aujourd’hui, en montrant que je peux être utile, j’espère à terme intégrer la police ou la gendarmerie et pouvoir subvenir aux besoins de ma famille.
Abou se targue d’avoir "arrêté trente-hui microbes et détourné de ces activités criminelles une cinquantaine de mineurs" en trois ans. Il concède que le phénomène est moins important depuis le lynchage par la population de Zama, le chef de gang "microbes" de la commune voisine d’Attécoubé. Il affirme cependant que beaucoup de microbes sont encore en liberté et considère que le problème n’est réglé qu’à "50 %".
Contacté par France 24, Amara Bamba, le directeur de cabinet du maire d’Abobo, explique que la municipalité "n’a pas connaissance de ces comités de vigilance" et que "seules les patrouilles du Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO) sont autorisées à interpeller de présumés ‘microbes’".
Quel soutien de la population ?
Le comité de vigilance d’Abou est très populaire à Abidjan. En novembre dernier, alors qu’il venait d’être arrêté par la police lorsqu'il patrouillait, la population de Kennedy, un sous-quartier d’Abobo, avait même manifesté pour demander sa libération.
Sur cette vidéo filmée au mois de novembre, la foule à Abobo acclame la libération par la police d'Abou, considéré comme le principal artisan de la lutte contre le phénomène des "microbes" dans le quartier.
"Ces comités de vigilance ne font qu’ajouter au sentiment d’insécurité"Certains de nos Observateurs avouent toutefois ne pas être rassurés par l’activité de ce comité. Sylvestre (pseudonyme) habite à Abobo :
C’est anormal que des civils fassent le travail de la police. Cette brigade affirme cibler ses actions, mais on ne sait jamais si les personnes à qui ils s’en prennent sont vraiment des "microbes". Ce qui est clair, c’est qu’ils démontrent que le travail de la police est insuffisant. [La dernière opération du CCDO remonte à aout 2014 et a permis l’arrestation de 122 "microbes". Depuis, quelques opérations ont eu lieu, mais aucune d’envergure, NDLR]
"La police ne fait pas son travail"
Le problème des "microbes" pourrait en partie être réglé par des actions simples : installer des éclairages publics dans les quartiers où ils sont actifs, renforcer les effectifs de police et les patrouilles à pied la nuit… Au-delà de ça, on tolère ces comités mais ils ne font qu’ajouter au sentiment d’insécurité. Ici, on se demande si les autorités ne sont pas réticentes à mener des actions contre des mineurs de peur que cela puisse choquer les associations de défense des enfants et la communauté internationale [cet argument a également été avancé par la mairie d’Abobo, NDLR]."
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Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à France 24.
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Contributeurs
Ils se définissent comme des "chasseurs de microbes". Des habitants d’Abobo, une commune d’Abidjan, se sont constitués en comité de vigilance et patrouillent de nuit, machette à la main, à la recherche de ces membres de gangs qui terrorisent leur quartier.
Les "microbes" sont des gangs réputés ultra-violents qui sévissent à Abidjan. Composés d’adolescents, voire d’enfants, ils s’adonnent au racket en bande. À Abobo, une commune du nord d’Abidjan, le phénomène inquiète particulièrement les habitants. Des ex-combattants, qui ont combattu pour Alassane Ouattara lors de la crise post-électorale mais qui sont aujourd’hui désœuvrés, sont accusés par la population de protéger ces groupes de délinquants. D'autres membres d'ONG attribuent leur protection aux gnambros, des gros bras du milieu des transports en commun à Abidjan.
"Je chasse les ‘microbes’, c’est une façon pour moi de ‘payer mes dettes’"D’autres ex-combattants ont choisi au contraire de combattre ces "microbes ". Abou, commerçant à Abobo, est l’un d’entre eux.
Nous avons commencé à 14 patrouilleurs bénévoles. Aujourd’hui, nous sommes environ une cinquantaine. Nous nous relayons dès la tombée de la nuit et jusqu’à l’aube pour protéger ceux qui partent tôt sur les marchés et leur éviter de tomber dans une embuscade de "microbes".
On fait aussi parfois des descentes dans les "fumoirs", des lieux où les microbes se réunissent avant leurs attaques pour boire et se droguer. Notre objectif est de les attraper et de les confier à la police. Mais lorsque ça devient trop dangereux, on s’autorise à les "neutraliser" [Abdou refuse cependant de dire si son groupe a tué des "microbes" depuis que la patrouille existe, NDLR].
Sur ces images transmises par Abou, des "chasseurs de microbes, patrouillent mi-avril dans la commune d'Abobo Kennedy. Ils rassurent notamment des femmes en train de puiser de l'eau très tôt.
Je ne me contente pas de patrouiller. Je recense également des témoignages en vidéos des familles de victimes, et je monte des dossiers avec des images de leurs blessures et avec des photos de leurs agresseurs présumés. Je confie ensuite l’ensemble de mes recherches aux autorités d’Abobo.
Abou nous a fait parvenir quelques unes des pièces de son dossier qu'il affirme tenir. Dans celui-ci, deux présumés "microbes" arrêtés en aout 2014 par sa brigade et ayant blessés des habitants d'Abobo.
"J’espère montrer que je peux être utile et intégrer à terme la police"
Je n’ai jamais touché un centime pour ces activités. Je fais cela car les "microbes" sont issus d’une situation que j’ai moi-même contribué à créer. Certains de ces jeunes ont combattu dans le même camp que moi à l’époque. Aujourd’hui, en montrant que je peux être utile, j’espère à terme intégrer la police ou la gendarmerie et pouvoir subvenir aux besoins de ma famille.
Abou se targue d’avoir "arrêté trente-hui microbes et détourné de ces activités criminelles une cinquantaine de mineurs" en trois ans. Il concède que le phénomène est moins important depuis le lynchage par la population de Zama, le chef de gang "microbes" de la commune voisine d’Attécoubé. Il affirme cependant que beaucoup de microbes sont encore en liberté et considère que le problème n’est réglé qu’à "50 %".
Contacté par France 24, Amara Bamba, le directeur de cabinet du maire d’Abobo, explique que la municipalité "n’a pas connaissance de ces comités de vigilance" et que "seules les patrouilles du Centre de coordination des décisions opérationnelles (CCDO) sont autorisées à interpeller de présumés ‘microbes’".
Quel soutien de la population ?
Le comité de vigilance d’Abou est très populaire à Abidjan. En novembre dernier, alors qu’il venait d’être arrêté par la police lorsqu'il patrouillait, la population de Kennedy, un sous-quartier d’Abobo, avait même manifesté pour demander sa libération.
Sur cette vidéo filmée au mois de novembre, la foule à Abobo acclame la libération par la police d'Abou, considéré comme le principal artisan de la lutte contre le phénomène des "microbes" dans le quartier.
"Ces comités de vigilance ne font qu’ajouter au sentiment d’insécurité"Certains de nos Observateurs avouent toutefois ne pas être rassurés par l’activité de ce comité. Sylvestre (pseudonyme) habite à Abobo :
C’est anormal que des civils fassent le travail de la police. Cette brigade affirme cibler ses actions, mais on ne sait jamais si les personnes à qui ils s’en prennent sont vraiment des "microbes". Ce qui est clair, c’est qu’ils démontrent que le travail de la police est insuffisant. [La dernière opération du CCDO remonte à aout 2014 et a permis l’arrestation de 122 "microbes". Depuis, quelques opérations ont eu lieu, mais aucune d’envergure, NDLR]
"La police ne fait pas son travail"
Le problème des "microbes" pourrait en partie être réglé par des actions simples : installer des éclairages publics dans les quartiers où ils sont actifs, renforcer les effectifs de police et les patrouilles à pied la nuit… Au-delà de ça, on tolère ces comités mais ils ne font qu’ajouter au sentiment d’insécurité. Ici, on se demande si les autorités ne sont pas réticentes à mener des actions contre des mineurs de peur que cela puisse choquer les associations de défense des enfants et la communauté internationale [cet argument a également été avancé par la mairie d’Abobo, NDLR]."
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Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à France 24.
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