mercredi 16 mars 2011

Libye: la joie bruyante des kadhafistes de Tripoli

Par Vincent Hugeux, envoyé spécial à Tripoli, publié le 16/03/2011
Libye: la joie bruyante des kadhafistes de Tripoli
Les habitants de Tripoli fêtent, officiellement, la reconquête annoncée par les médias officiels -il n'y en a pas d'autres-, de Misrata, ville située à 150 kilomètres d'ici, et, bien plus à l'est, d'Ajdabiya, ultime verrou sur la route de Benghazi, le lointain fief du soulèvement.  
REUTERS/Chris Helgren

La reconquête à l'arme lourde des villes tenues par l'insurrection dope les ardeurs des partisans du Guide libyen

 
Crépitements de kalachnikovs, longues rafales lâchées vers le ciel, sourdes détonations : la nuit dernière, Tripoli célébrait au canon et en fanfare la "victoire finale" des forces loyales à Mouammar Kadhafi sur l'insurrection. Khaled se joindrait volontiers au concert de klaxons que donnent les partisans du "Frère Guide", dont les convois sillonnent drapeaux verts au vent les artères de la capitale. Peine perdue: l'avertisseur de son taxi noir et blanc hors d'âge couine à peine. Qu'importe. "Tu vois comme les gens sont heureux !", claironne dans un anglais rustique ce jeune trentenaire. 
Dans le quartier de Bab al-Azizia, un embouteillage obstrue l'artère qui longe le mur d'enceinte, hérissé de barbelés et jalonné de miradors, de la caserne-résidence du grand timonier de la Jamahiriya libyenne: ici, comme sur la place voisine, on danse, on chante, on brandit des portraits du Qaïd as-Thawra (Guide de la Révolution). Mais que fête-t-on au juste ? La reconquête annoncée par les médias officiels -il n'y en a pas d'autres-, de Misrata, ville située à 150 kilomètres d'ici, et, bien plus à l'est, d'Ajdabiya, ultime verrou sur la route de Benghazi, le lointain fief du soulèvement. 
Prématuré ? Sans doute. Reste que la retraite des "terroristes" -ainsi se doit-on de désigner les rebelles, relégués au rang de féaux d'al-Qaeda-, matraqués à l'artillerie lourde et sonnés par les raids aériens, semble virer à la déroute. Dans le hall de l'hôtel Rixos, le palace où sont hébergés la plupart des reporters étrangers, la télévision nationale diffuse en boucle les images, prétendument tournées ce mardi au coeur du bastion de l'insurrection déclenchée voilà un mois, d'une manif pro-Kadhafi aux allures de marée verte. "Les congrès populaires de Benghazi, précise en anglais puis en français le sous-titrage, entament des marches de soutien et d'adhésion au Frère Leader." 
Il sera aussi question d'une attaque du siège du Conseil national de transition (CNT), l'organe politique de la révolte, par des "officiers libres". Allusion transparente à la poignée "d'officiers unionistes libres" emmenés par un fringant capitaine prénommé Mouammar, qui, le 1er septembre 1969, déposèrent le vieux roi Idris. Mais voilà: sur place, à cet instant, pas la moindre trace de combat. De même, les couleurs de la monarchie, adoptées par la rébellion, flottent toujours sur la capitale de la Cyrénaïque. Au côté il est vrai du drapeau bleu-blanc-rouge, hissé en hommage à cette France qui, en solo, a reconnu le CNT et plaide vainement pour l'instauration dans le ciel libyen d'une "zone d'exclusion aérienne." A ce propos, le "bouillant colonel" s'inquiète de la santé mentale du locataire de l'Elysée. "Nicolas Sarkozy est mon ami, mais je crois qu'il est devenu fou, confie-t-il ainsi dans un entretien accordé à une chaîne allemande. Il souffre d'une maladie psychique. C'est ce que dit son entourage. 
Dopée par les revers militaires de "l'ennemi", la propagande maison tourne à plein régime. "Bientôt, prédisait un sms expédié massivement hier, Ajdabiya sera sûre et calme comme avant". L'aviation de la Jamahiriya ne largue pas que des bombes, mais aussi des tracts ainsi libellés: "Votre armée arrive pour vous libérer des terroristes." Cela posé, on promet aussi de fouiller la ville "maison par maison", histoire d'en débusquer les "rats". A la faveur d'une interview au quotidien italien Il Giornale, Kadhafi offre aux insurgés cette alternative: la reddition ou la fuite.  
A minuit passé, les "kadhafistes" tripolitains les plus fervents improvisent encore ça et là en pleine rue des happenings, claironnant sous la lune leur "amour" du Guide. Au Caire, puis à Tunis, on saluait au son du klaxon la chute du pharaon. Ici, c'est le retour en force d'un tyran bédouin que l'on fête bruyamment. 

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