Les conflits armés dont il est question ici, sont bel et bien les conflits armés internes aux États, communément appelés sécessions ou rébellions qui, voici des décennies, ont été analysés par les spécialistes des relations internationales, sous l’angle de trois paradigmes : géo-économie, identités ethniques, guerre froide.
Le paradigme de la géo-économie est né de la théorie réaliste d’après laquelle l’impossibilité pour l’humanité de satisfaire ses besoins en ressources naturelles, trouve ses origines dans la répartition inégale de celles-ci.
Pour ce faire, les États qui en sont dépourvues et dont la dynamique démographique est forte, sont obligés pour leur survie (théorie de l’« espace vital »), de s’en procurer ailleurs. Et ce, non point par les vertus de la loi du marché (libre-échange ou multilatéralisme), mais plutôt par l’usage de la force.
Subrepticement, une corrélation fut établie entre ressources naturelles et guerres entre les États. Pourtant, le fait qu’un État s’empare par la force des ressources d’un autre État, est constitutif d’une agression, acte illégal s’il en est, banni par la charte de l’ONU (article 2), suscitant la légitime défense individuelle ou collective de l’État victime (article 51, charte de l’ONU).
Les mêmes spécialistes soutenaient la thèse selon laquelle, les conflits armés en Afrique étaient des conflits ethniques, provoqués par des hordes de barbares qui, agrippés aux oripeaux de la féodalité, rejetaient la modernité symbolisée par le modèle de l’État-nation et la culture occidentale, en tant que bienfait de la colonisation.
Il s’agit des conflits entre la tradition et la modernité, l’allégeance paysanne et l’allégeance citoyenne, la désintégration des communautés rurales et la transformation des structures sociopolitiques des villes, les valeurs et les comportements affectant le progrès, selon la théorie du développement politique.
Enfin, sous l’angle du paradigme de la guerre froide, les conflits armés en Afrique sont des guerres par procuration (théorie du linkage), menées par les puissances étrangères à l’ombre de la rivalité Est-Ouest, soit pour accéder aux ressources naturelles (guerre économique), soit pour élargir le champ des alliances idéologiques (guerre idéologique).
Autrement dit, les conflits armés en Afrique sont des guerres stratégico-géopolitiques, correspondant à la division du monde en deux blocs antagoniques, dominés par deux puissances hégémoniques : les États-Unis et l’Union soviétique.
Curieusement, la fin de la guerre froide a ramené l’explication causale des conflits armés internes à trois variables dépendantes : identités ethniques plus ressources naturelles égale conflits armés internes.
Deux questions viennent à l’esprit : cette équation matérialise-t-elle la spécificité africaine de la conflictualité interne ?
Exprime-t-elle, au contraire, la substantifique moelle d’une théorie générale de la conflictualité interne dans le monde ?
Rien n’est moins sûr, car la validité d’une théorie repose sur la vérification des hypothèses la sous-tendant, à partir des critères objectifs d’évaluation, selon une approche méthodologique rigoureuse sur le protocole adopté et conduisant au même résultat, selon qu’il s’agit du cas particulier ou du cas général. Or, le doute demeure sur cette corrélation.
Pour dissiper ce doute, il a été décidé de soumettre les autres conflits armés internes, particulièrement la sécession du Biafra (Nigeria), les rébellions armées du Liberia, de la Sierra Leone, de la Côte d’Ivoire, de la République centrafricaine, du Mali, à l’approche stratégico-polémologique, pour vérifier si les résultats de l’échantillon sur l’Afrique médiane[1] (Angola, Burundi, Ouganda, Rwanda, République démocratique du Congo, République du Congo), avaient une portée générale.
À cette fin, trois paramètres font l’objet d’élucidation : typologie et dynamique des conflits armés internes déchirant les États africains ; validation ou invalidation de la causalité trilogique « identités ethniques plus ressources naturelles égale conflits armés internes » ; voie de sortie de la guerre à la paix.
Conflits armés internes : typologie et dynamique
Pour décanter cette problématique, l’approche stratégico-polémologique a été privilégiée afin de mettre en exergue les ressorts stratégiques et sociologiques des rébellions et des sécessions en tant que guerre, c’est-à-dire une violence politique dont l’enjeu est la lutte pour le pouvoir d’État, d’une part, les sécessions et les rébellions en tant que champ clos des rivalités, d’autre part.
Les conflits armés internes relèvent de la stratégie en tant que science, art ou plan susceptible d’être révisé, qui gouverne la levée, l’armement, et l’utilisation des forces militaires, pour que les fins de celle-ci soient efficacement poursuivies et atteintes contre un ennemi réel, potentiel ou simplement présumé.
Abordée sous cet angle, la stratégie peut être définie, selon le général Beaufre, comme « l’art de la dialectique des volontés employant la force pour résoudre leur conflit ».[2]
En effet, la guerre est une épreuve des volontés collectives s’érigeant en épreuve de vérité sur la valeur estimée par chacun des duellistes, des enjeux de litige qui conditionnent son avenir devant chacun, sur leurs capacités à soutenir ce jugement, donc sur leurs puissances et vulnérabilités respectives.
Que la guerre puisse arbitrer et décider, dans le jeu sans fin la coexistence conflictuelle ne peut manquer d’influencer, dans le quotidien même, les perceptions, les calculs, les jugements et les conduites politiques des uns et des autres.
« Schéma banal, en effet, la guerre fut toujours utilisée comme le moyen le plus simple de décider les crises, le moyen s’imposant avant la clarté de l’évidence, celle de la force physique, pour trancher sans équivoque le nœud des tensions qu’engendre le dangereux voisinage d’instincts de faire, trop puissants pour ne pas chercher qui dévorer et d’instincts de vie refusant de céder », selon Lucien Poirier.[3]
Les situations sont diverses et complexes : guerre asymétrique, sécessions et rébellions, affrontement des armées classiques des États, en utilisant les ingrédients de la stratégie militaire ; dimension verticale et dimension horizontale ; niveau technique (maîtrise des armes et des combattants) ; niveau tactique (talent pour faire bon usage du terrain, des armes et du contexte particulier d’affrontement) ; niveau commandement (qualités de meneur d’hommes, le moral des troupes, leur discipline, leur cohésion, la chance ou le hasard assorti des probabilités) ; niveau opérationnel ou défense/offensive (guerre-éclair, défense en profondeur, guerre d’usure, guerre de mouvement, défense ponctuelle, etc.).
Par-delà la singularité des sécessions et des rébellions examinées, elles bénéficient du point de vue opérationnel d’un avantage, dans la mesure où leurs forces sont insaisissables, sans chercher à défendre une position quelconque en cas d’attaque, libres de combattre peu ou beaucoup, maintenant ou plus tard, à leur guise.
En effet, la guerre est une épreuve des volontés collectives s’érigeant en épreuve de vérité sur la valeur estimée par chacun des duellistes, des enjeux de litige qui conditionnent son avenir devant chacun, sur leurs capacités à soutenir ce jugement, donc sur leurs puissances et vulnérabilités respectives.
Que la guerre puisse arbitrer et décider, dans le jeu sans fin la coexistence conflictuelle ne peut manquer d’influencer, dans le quotidien même, les perceptions, les calculs, les jugements et les conduites politiques des uns et des autres.
« Schéma banal, en effet, la guerre fut toujours utilisée comme le moyen le plus simple de décider les crises, le moyen s’imposant avant la clarté de l’évidence, celle de la force physique, pour trancher sans équivoque le nœud des tensions qu’engendre le dangereux voisinage d’instincts de faire, trop puissants pour ne pas chercher qui dévorer et d’instincts de vie refusant de céder », selon Lucien Poirier.[3]
Les situations sont diverses et complexes : guerre asymétrique, sécessions et rébellions, affrontement des armées classiques des États, en utilisant les ingrédients de la stratégie militaire ; dimension verticale et dimension horizontale ; niveau technique (maîtrise des armes et des combattants) ; niveau tactique (talent pour faire bon usage du terrain, des armes et du contexte particulier d’affrontement) ; niveau commandement (qualités de meneur d’hommes, le moral des troupes, leur discipline, leur cohésion, la chance ou le hasard assorti des probabilités) ; niveau opérationnel ou défense/offensive (guerre-éclair, défense en profondeur, guerre d’usure, guerre de mouvement, défense ponctuelle, etc.).
Par-delà la singularité des sécessions et des rébellions examinées, elles bénéficient du point de vue opérationnel d’un avantage, dans la mesure où leurs forces sont insaisissables, sans chercher à défendre une position quelconque en cas d’attaque, libres de combattre peu ou beaucoup, maintenant ou plus tard, à leur guise.
Souvent, les combattants rebelles font corps avec la population civile, soit pour se protéger des représailles de l’État, soit pour solliciter son soutien matériel ou moral.
L’analyse des conflits armés internes relève de la polémologie, la sociologie des conflits. Elle a pour but « la connaissance objective de la guerre, de la violence et des crises, par une approche rationnelle des phénomènes, afin de dégager des critères impartiaux.
L’analyse des conflits armés internes relève de la polémologie, la sociologie des conflits. Elle a pour but « la connaissance objective de la guerre, de la violence et des crises, par une approche rationnelle des phénomènes, afin de dégager des critères impartiaux.
Elle implique donc une pluridisciplinarité très large dans les sciences humaines. Données permanentes et contraintes incontournables, se trouvent dans la géographie et l’héritage historique».[4]
Dans ce contexte la polémologie s’efforce d’analyser les acteurs de la conflictualité asymétrique opposant l’État et les groupes des citoyens insurgés, mettant en cause la relation pouvoir et gouvernance des territoires, pouvoir et légitimité, pouvoir et gouvernance des ressources, pouvoir et gouvernance des populations.
La polémologie se penche également sur les logiques des conflits (intérêts, rôle structurant de l’intervention des forces extérieures dans le conflit), les processus et les dynamiques de leur déroulement (permanence ou rupture), les moyens de la guerre et leur mobilisation, les espaces de la conflictualité, les victimes de la conflictualité, le contexte historique de la conflictualité, l’issue de la conflictualité, le déclenchement de la dynamique de paix pour solder la violence politique, etc.
Selon l’approche polémologique, en effet, le conflit est une relation violente qui circule et crée un lien entre les acteurs au lieu de les séparer.
Dans ce contexte la polémologie s’efforce d’analyser les acteurs de la conflictualité asymétrique opposant l’État et les groupes des citoyens insurgés, mettant en cause la relation pouvoir et gouvernance des territoires, pouvoir et légitimité, pouvoir et gouvernance des ressources, pouvoir et gouvernance des populations.
La polémologie se penche également sur les logiques des conflits (intérêts, rôle structurant de l’intervention des forces extérieures dans le conflit), les processus et les dynamiques de leur déroulement (permanence ou rupture), les moyens de la guerre et leur mobilisation, les espaces de la conflictualité, les victimes de la conflictualité, le contexte historique de la conflictualité, l’issue de la conflictualité, le déclenchement de la dynamique de paix pour solder la violence politique, etc.
Selon l’approche polémologique, en effet, le conflit est une relation violente qui circule et crée un lien entre les acteurs au lieu de les séparer.
D’où les formes mimétiques, épidémiques que peut prendre la violence dans certains cas, dans un espace, dans un champ, selon l’intensité, la nature, la mobilisation, la position symétrique ou asymétrique des acteurs engagés[5], etc.
Sécessions et rébellions : violence de haute intensité
Sécessions et rébellions expriment la violence société/État ou violence de haute intensité par opposition à la violence de basse intensité (opérations villes mortes, émeutes, échauffourées, boycott fiscal ou électoral, désobéissance civique, etc.).[6]
Sécessions et rébellions : violence de haute intensité
Sécessions et rébellions expriment la violence société/État ou violence de haute intensité par opposition à la violence de basse intensité (opérations villes mortes, émeutes, échauffourées, boycott fiscal ou électoral, désobéissance civique, etc.).[6]
Elle peut tirer sa substance de la lutte soit contre l’oppression, soit contre la violation des droits de l’homme, soit contre la violation des droits des peuples.
Il s’agit d’une violence objective ou mode de régulation sociale, par opposition à la violence subjective dont la source est recherchée dans la nature humaine, soit par une approche biologique (la guerre est un phénomène pathologique, naturel, instinctif), soit par une approche psychologique (la guerre naît des frustrations subies par les individus pris ès qualité dans tous les processus de socialisation).
En effet, dans les sociétés primitives (sociétés sans État) autant que dans les sociétés modernes (sociétés avec État), le pouvoir politique ou pouvoir d’État est un enjeu sociétal vital, parce qu’il est à la fois l’acte constitutif d’une communauté de destin et la condition de sa survie, c’est-à-dire sa capacité de faire, faire faire et interdire de faire (souveraineté).
Il s’agit d’une violence objective ou mode de régulation sociale, par opposition à la violence subjective dont la source est recherchée dans la nature humaine, soit par une approche biologique (la guerre est un phénomène pathologique, naturel, instinctif), soit par une approche psychologique (la guerre naît des frustrations subies par les individus pris ès qualité dans tous les processus de socialisation).
En effet, dans les sociétés primitives (sociétés sans État) autant que dans les sociétés modernes (sociétés avec État), le pouvoir politique ou pouvoir d’État est un enjeu sociétal vital, parce qu’il est à la fois l’acte constitutif d’une communauté de destin et la condition de sa survie, c’est-à-dire sa capacité de faire, faire faire et interdire de faire (souveraineté).
Autrement dit, c’est cette capacité objective, la « souveraineté », qui conditionne, d’une part, la gouvernance des territoires, des peuples et des ressources, et, d’autre part, la rationalisation des moyens d’anéantir ou à défaut, de maîtriser la gestion des dangers du dedans et des menaces du dehors.
Il s’entend, dès lors, qu’aucun État ne peut naître et à plus forte raison prospérer, si la lutte pour le pouvoir d’État n’est pas démocratiquement pacifiée par un consensus minimal sur le système politique (structuration et systématisation d’une vision du monde, de la société et des menaces) ; par le partage des pouvoirs dans l’État et entre l’État, les territoires, la société (forces politiques et sociales identifiées, responsables de leurs actes) ; par la garantie des libertés et des droits fondamentaux, la protection des personnes et des biens, le respect des mécanismes de régulation de la lutte pour le pouvoir d’État, qui en garantit la légalité et la légitimité.
La violation ou l’absence des mécanismes de pacification démocratique de la lutte pour le pouvoir d’État peut être la cause immédiate des sécessions et des rébellions en tant que mode de participation politique[7] contre le pouvoir d’État, la guerre étant un « acte de violence destiné à contraire l’adversaire à exécuter notre volonté », selon Carl Von Clausewitz.[8]
Par ailleurs, l’État n’exerce que « le monopole de la violence légitime », selon l’expression de Max Weber. Il n’exerce pas le monopole de la violence sociale, contrairement aux idées reçues.
Un champ clos des rivalités
Champ clos des rivalités, d’intérêts, d’alliances et contre-alliances, des rapports de force et des vulnérabilités, de calcul coûts/risques où la frontière entre l’interne et l’international est une illusion savamment entretenue,[9] les rébellions et les sécessions sont traversées par des contradictions inhérentes à la logique de toute guerre, qu’elle soit symétrique (CAI[10]) ou asymétrique (CANI[11]), selon le droit international humanitaire.
Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler que reprochant à L.-D. Kabila de n’avoir pas payé le prix de la guerre de 1996-1997 contre le régime de Mobutu avec le blanc-seing des États-Unis, ses alliés rwandais et ougandais ont décidé, au cours de l’été 1998, de le chasser du pouvoir à Kinshasa.
Il n’a pu sauver la mise que grâce au soutien militaire de l’Angola et du Zimbabwe, contraignant le Rwanda et l’Ouganda à sous-traiter la guerre par procuration au RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) et au MLC (Mouvement pour la libération du Congo), deux mouvements politico-militaires créés à cet effet.
De même, le général François Bozizé, Président de la République centrafricaine, a failli être chassé du pouvoir, en janvier 2013, par une rébellion armée, constituée en majorité des forces qui l’avaient aidé à prendre le pouvoir par coup d’État en 2003, contre le Président Ange-Félix Patassé, au motif qu’il n’a pas tenu ses promesses de « mettre de l’ordre dans la maison et regagner la caserne sitôt la transition finie ».
Outre son maintien au pouvoir, les contestations des élections de 2005 et de 2011 ont contribué à accroître les tensions et l’instabilité dans ce pays. D’où la multiplication des rébellions qui l’ont contraint à signer des accords de paix, notamment :
— l’accord de paix de Syrte (2 février 2007) sous la médiation libyenne avec le Front démocratique du peuple centrafricain ;
— l’accord de paix de Birao (13 avril 2007), avec l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement ;
— l’accord de paix global de Libreville (21 août 2008) sous la médiation gabonaise, avec les mouvements politico-militaires dont l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie et l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement ; celui-ci prévoyait « le principe de la participation des représentants des mouvements politico-militaires signataires (…) à la gestion des affaires de l’État dans un esprit de réconciliation nationale, à l’issue du dialogue politique inclusif » (article 6) ;
— l’accord de Libreville sur la résolution de la crise politico-sécuritaire en RCA (11 janvier 2013), maintient le général président Bozizé au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat (article 1) ; institue un gouvernement d’union nationale inclusif pour une durée de 12 mois, éventuellement renouvelable (article 2), dirigé par un Premier ministre, chef de gouvernement, issu de l’opposition (article 4).
Autrement dit, sécessions et rébellions obéissent à la logique paradoxale[12] de la stratégie de guerre (convergence, voire intervention des contraires) nécessitant une force armée, dont la constitution et l’emploi exigent la mobilisation des ressources naturelles, des territoires et des populations (identités ethniques, citoyens), un moral de fer, un commandement efficient (procédures, tactiques, méthodes), connaissance de terrain, etc.
Dès lors, ressources naturelles, territoires, identités ethniques, sont les moyens au service d’une fin, la lutte pour le pouvoir d’État. Ainsi, la thèse selon laquelle la présence des ressources naturelles et des identités ethniques sur le territoire d’un État est belligène, est une ratiocination qui ne résiste pas à l’analyse stratégico-polémologique des sécessions et des rébellions en Afrique.
Il s’entend, dès lors, qu’aucun État ne peut naître et à plus forte raison prospérer, si la lutte pour le pouvoir d’État n’est pas démocratiquement pacifiée par un consensus minimal sur le système politique (structuration et systématisation d’une vision du monde, de la société et des menaces) ; par le partage des pouvoirs dans l’État et entre l’État, les territoires, la société (forces politiques et sociales identifiées, responsables de leurs actes) ; par la garantie des libertés et des droits fondamentaux, la protection des personnes et des biens, le respect des mécanismes de régulation de la lutte pour le pouvoir d’État, qui en garantit la légalité et la légitimité.
La violation ou l’absence des mécanismes de pacification démocratique de la lutte pour le pouvoir d’État peut être la cause immédiate des sécessions et des rébellions en tant que mode de participation politique[7] contre le pouvoir d’État, la guerre étant un « acte de violence destiné à contraire l’adversaire à exécuter notre volonté », selon Carl Von Clausewitz.[8]
Par ailleurs, l’État n’exerce que « le monopole de la violence légitime », selon l’expression de Max Weber. Il n’exerce pas le monopole de la violence sociale, contrairement aux idées reçues.
Un champ clos des rivalités
Champ clos des rivalités, d’intérêts, d’alliances et contre-alliances, des rapports de force et des vulnérabilités, de calcul coûts/risques où la frontière entre l’interne et l’international est une illusion savamment entretenue,[9] les rébellions et les sécessions sont traversées par des contradictions inhérentes à la logique de toute guerre, qu’elle soit symétrique (CAI[10]) ou asymétrique (CANI[11]), selon le droit international humanitaire.
Il suffit, pour s’en convaincre, de rappeler que reprochant à L.-D. Kabila de n’avoir pas payé le prix de la guerre de 1996-1997 contre le régime de Mobutu avec le blanc-seing des États-Unis, ses alliés rwandais et ougandais ont décidé, au cours de l’été 1998, de le chasser du pouvoir à Kinshasa.
Il n’a pu sauver la mise que grâce au soutien militaire de l’Angola et du Zimbabwe, contraignant le Rwanda et l’Ouganda à sous-traiter la guerre par procuration au RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) et au MLC (Mouvement pour la libération du Congo), deux mouvements politico-militaires créés à cet effet.
De même, le général François Bozizé, Président de la République centrafricaine, a failli être chassé du pouvoir, en janvier 2013, par une rébellion armée, constituée en majorité des forces qui l’avaient aidé à prendre le pouvoir par coup d’État en 2003, contre le Président Ange-Félix Patassé, au motif qu’il n’a pas tenu ses promesses de « mettre de l’ordre dans la maison et regagner la caserne sitôt la transition finie ».
Outre son maintien au pouvoir, les contestations des élections de 2005 et de 2011 ont contribué à accroître les tensions et l’instabilité dans ce pays. D’où la multiplication des rébellions qui l’ont contraint à signer des accords de paix, notamment :
— l’accord de paix de Syrte (2 février 2007) sous la médiation libyenne avec le Front démocratique du peuple centrafricain ;
— l’accord de paix de Birao (13 avril 2007), avec l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement ;
— l’accord de paix global de Libreville (21 août 2008) sous la médiation gabonaise, avec les mouvements politico-militaires dont l’Armée populaire pour la restauration de la démocratie et l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement ; celui-ci prévoyait « le principe de la participation des représentants des mouvements politico-militaires signataires (…) à la gestion des affaires de l’État dans un esprit de réconciliation nationale, à l’issue du dialogue politique inclusif » (article 6) ;
— l’accord de Libreville sur la résolution de la crise politico-sécuritaire en RCA (11 janvier 2013), maintient le général président Bozizé au pouvoir jusqu’à la fin de son mandat (article 1) ; institue un gouvernement d’union nationale inclusif pour une durée de 12 mois, éventuellement renouvelable (article 2), dirigé par un Premier ministre, chef de gouvernement, issu de l’opposition (article 4).
Autrement dit, sécessions et rébellions obéissent à la logique paradoxale[12] de la stratégie de guerre (convergence, voire intervention des contraires) nécessitant une force armée, dont la constitution et l’emploi exigent la mobilisation des ressources naturelles, des territoires et des populations (identités ethniques, citoyens), un moral de fer, un commandement efficient (procédures, tactiques, méthodes), connaissance de terrain, etc.
Dès lors, ressources naturelles, territoires, identités ethniques, sont les moyens au service d’une fin, la lutte pour le pouvoir d’État. Ainsi, la thèse selon laquelle la présence des ressources naturelles et des identités ethniques sur le territoire d’un État est belligène, est une ratiocination qui ne résiste pas à l’analyse stratégico-polémologique des sécessions et des rébellions en Afrique.
Faillite et destruction de l’État
Les identités ethniques (substrat humain), les ressources naturelles (substrat territorial), le gouvernement (substrat politique), sont des variables structurelles de l’État et leur soumission à la souveraineté de l’État n’est pas belligène en soi.
Ce qui l’est en revanche, c’est la faillite ou la déstructuration de l’État, qui met en danger les identités ethniques, les territoires et les ressources naturelles face aux menaces internes ou externes.
Au sens propre (construction humaine) comme au sens figuré (fiction juridique), l’État est faillible (Union soviétique, Yougoslavie, Tchécoslovaquie) et les États africains ne sont pas l’exception à la règle.
Néanmoins, la faillite dont il est l’objet ici, c’est celle de l’État en tant que souveraineté, c’est-à-dire capacité de faire, faire faire et interdire de faire,[13] dont la déliquescence fait basculer dans l’informel les normes, l’esprit des lois, la lettre des institutions, l’organisation de l’État et de la société globale, dévoie les intelligences et disperse les dévouements.
Cela explique pourquoi l’hypothèse des « souverainetés déchues »,[14] s’applique aux pays susmentionnés.
Ici, la déstructuration de l’État, s’entend au sens de l’opposition frontale entre l’État et la nation, l’État et les territoires. Et ce, à cause du placage du modèle occidental de l’État-nation sur les sociétés africaines plurales labourées jadis par deux modèles spécifiques de l’État et de la nation : le modèle de l’État multinational[15] ou État de plusieurs peuples façonné jadis à l’image des royaumes du Kongo, du Monomotapa, du Bénin, du Ghana, du Songhaï, d’Éthiopie, etc. ; le modèle de la nation cosmopolite ou multi-nation, que l’on pourrait définir comme « une communauté des citoyens et des peuples dits ethnies, exprimant la volonté de vivre ensemble, en vue de bâtir un destin commun, dans la loyauté et le respect de la différence ».[16]
Les logiques nationales sous-tendant ces deux modèles d’État et de nation peuvent être belligènes, à cause de l’irréductibilité de leurs primats : primat de l’unicité ethnique, culturelle, linguistique, religieuse, selon l’État-nation ; primat de la diversité ethnique, culturelle, linguistique, religieuse, selon l’État multinational.
Et ce, à deux conditions au moins.
Ici, la déstructuration de l’État, s’entend au sens de l’opposition frontale entre l’État et la nation, l’État et les territoires. Et ce, à cause du placage du modèle occidental de l’État-nation sur les sociétés africaines plurales labourées jadis par deux modèles spécifiques de l’État et de la nation : le modèle de l’État multinational[15] ou État de plusieurs peuples façonné jadis à l’image des royaumes du Kongo, du Monomotapa, du Bénin, du Ghana, du Songhaï, d’Éthiopie, etc. ; le modèle de la nation cosmopolite ou multi-nation, que l’on pourrait définir comme « une communauté des citoyens et des peuples dits ethnies, exprimant la volonté de vivre ensemble, en vue de bâtir un destin commun, dans la loyauté et le respect de la différence ».[16]
Les logiques nationales sous-tendant ces deux modèles d’État et de nation peuvent être belligènes, à cause de l’irréductibilité de leurs primats : primat de l’unicité ethnique, culturelle, linguistique, religieuse, selon l’État-nation ; primat de la diversité ethnique, culturelle, linguistique, religieuse, selon l’État multinational.
Et ce, à deux conditions au moins.
Primo, si la faillite de l’État entraîne l’éviction du nationalisme de l’État de l’espace public et sa substitution par les idéologies sectaires (tribalisme, régionalisme, autochtonie).
Secundo, si la désorganisation de la société globale profite aux leaders des sécessions et des rébellions, en déficit de mobilisation sociale.
Dans cette hypothèse, ils peuvent être capables d’instrumentaliser les identités ethniques et de piller les ressources naturelles abandonnées à leur triste sort.
Telle est la conséquence de la myopie politique et intellectuelle de l’intelligentsia africaine, qui n’a pas su s’extirper des fourches caudines de l’idéologie de la modernité, pour repenser l’État, la nation, les territoires et les ressources, à la lumière des réalités historiques, sociologiques, politiques, juridiques et culturelles africaines à l’ère de la globalisation.
Face à ces souverainetés déchues, comment le sentiment national peut-il être ardent, si les ethnies et les citoyens de tel ou tel territoire ont conscience que le sol qu’ils occupent et les ressources qu’il recèle sont négligés ou défavorisés au profit d’autres ?
Dans cette hypothèse, ils peuvent être capables d’instrumentaliser les identités ethniques et de piller les ressources naturelles abandonnées à leur triste sort.
Telle est la conséquence de la myopie politique et intellectuelle de l’intelligentsia africaine, qui n’a pas su s’extirper des fourches caudines de l’idéologie de la modernité, pour repenser l’État, la nation, les territoires et les ressources, à la lumière des réalités historiques, sociologiques, politiques, juridiques et culturelles africaines à l’ère de la globalisation.
Face à ces souverainetés déchues, comment le sentiment national peut-il être ardent, si les ethnies et les citoyens de tel ou tel territoire ont conscience que le sol qu’ils occupent et les ressources qu’il recèle sont négligés ou défavorisés au profit d’autres ?
À quoi sert-il que le territoire, les ressources et la population (ethnies, citoyens) aient le label national, alors que les cœurs sont apatrides[17] ?
De la théorie du chaos à la recherche de la paix civile
Le chaos dont il est l’objet ici, est celui des « souverainetés déchues »,[18] pour paraphraser Bertrand Badie, c’est-à-dire des États africains dont la fragilité s’apparente à deux scénarios susmentionnés : soit à la faillite de l’État, soit à la déstructuration de l’État.
Dans cet ordre d’idées, la guerre de sécession ou de rébellion en Afrique est portée par sa propre dynamique dont la montée aux extrêmes est l’étape ultime, avant de se terminer soit par une victoire, soit par une défaite, soit par un enlisement, en fonction des stratégies de riposte, soit du gouvernement contesté les armes à la main, soit de la communauté internationale venue à son secours.
Tel est le cas des négociations de Kampala du 9 décembre 2012, imposées au gouvernement de Kinshasa et à la rébellion M23, par le sommet de la Conférence internationale de la région des Grands lacs, après la prise de la ville de Goma par ce mouvement rebelle, le 20 novembre 2012.
Dès lors, la sortie de la guerre s’inscrit dans la théorie du chaos[19] de ces souverainetés déchues, où l’entropie et la néguentropie servent des baromètres, pour jauger l’intensité à partir de laquelle les métastases du désordre généré par l’ascension aux extrêmes produisent, au point de rupture, un nouvel ordre politique et social mettant cycliquement fin au chaos systémique.
Ainsi appréhendé, le chaos systémique des souverainetés déchues structure la condition humaine dans laquelle l’homme doit puiser en permanence les forces de sa survie en tant qu’animal politique et social.
Car, l’état du système politique et social est déterminé par la valeur de certaines variables du modèle et la logique interne du système contraint le système.
D’où, le chaos systémique des souverainetés déchues cache un ordre interne sans prédictibilité, dont il sied d’identifier la teneur et de maîtriser le mouvement à l’issue de la guerre, selon deux perspectives: en cas de victoire et en cas de défaite.
D’où, le chaos systémique des souverainetés déchues cache un ordre interne sans prédictibilité, dont il sied d’identifier la teneur et de maîtriser le mouvement à l’issue de la guerre, selon deux perspectives: en cas de victoire et en cas de défaite.
La paix des vainqueurs et la paix sans vainqueurs
La prise de pouvoir d’État est dans l’esprit des protagonistes des sécessions et des rébellions le couronnement suprême de la guerre civile. Au pire, elle peut s’exprimer par la volonté d’anéantissement de l’adversaire devenu l’ennemi à abattre. C’est la paix des vainqueurs correspondant à la célèbre maxime « malheur aux vaincus ».[20]
Exception faite du Rwanda où la non-application de l’Accord de paix d’Arusha a débouché sur un génocide, à la suite de l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, l’histoire politique africaine ne s’inscrit pas dans la philosophie de paix par anéantissement : c’est notamment le cas après la fin des sécessions de Katanga et de Bakwanga au Congo en 1962 et celle de Biafra en 1967-1970.
Dans l’hypothèse où la guerre de sécession ou de rébellion se termine sans vainqueur ni vaincu, la paix civile est un projet de fondation d’une communauté politique, inscrit par la guerre dans le pacte social (accord de paix) en vue de pacifier la lutte pour le pouvoir d’État. Il s’agit de la stratégie de recherche de la paix par la démocratie et l’État de droit, matérialisée par de nombreux accords de paix.[21]
C’était notamment le cas du Mali — toujours au centre de l’actualité — avant la succession des crises en 2012 qui ont plongé le pays dans le chaos et un processus de désintégration.
Indépendant depuis le 22 septembre 1960, le Mali est dirigé par le président Modibo Kéita jusqu’au 19 octobre 1968, date du coup d’État mené par le lieutenant Moussa Traoré.
Bien avant ce putsch, un climat délétère régnait sur le pays, dû à la radicalisation du socialisme : révolte paysanne contre la collectivisation des terres, épuration du parti unique et des instances de l’État, dissolution de l’Assemblée nationale, création du comité populaire de la révolution et des milices, peur de voir substituer les milices à l’armée régulière, etc.
En 1991, un coup d’État organisé par le colonel Toumani Touré, met fin au régime dictatorial de Moussa Traoré. Une transition vers la démocratisation est mise en œuvre. Elle aboutit à l’élection à la présidence de la République en 1992, d’Alpha Omar Kanaré.
Après avoir exercé ses deux mandats, il est remplacé par le général Toumani Touré, élu président au cours de deux mandats (2002-2012), avant d’être chassé du pouvoir par le putsch du capitaine Sonogo, le 22 mars 2012.
Avant et après l’indépendance, le Mali a fait l’objet de violences politiques attribuées aux Touaregs en tant que peuple ou ethnie, alors que le Nord du Mali n’est pas peuplé que des Touaregs.
L’Accord de Tamanrasset, un accord de cessation des hostilités dans les 6e (Tombouctou) et 7e (Gao) régions du Mali, est signé par le gouvernement et le Mouvement populaire de l’Azaouad et le Front islamique arabe, le 6 janvier 1991.
Avant et après l’indépendance, le Mali a fait l’objet de violences politiques attribuées aux Touaregs en tant que peuple ou ethnie, alors que le Nord du Mali n’est pas peuplé que des Touaregs.
L’Accord de Tamanrasset, un accord de cessation des hostilités dans les 6e (Tombouctou) et 7e (Gao) régions du Mali, est signé par le gouvernement et le Mouvement populaire de l’Azaouad et le Front islamique arabe, le 6 janvier 1991.
Entre autres griefs, les mouvements rebelles accusent le gouvernement de n’avoir rien fait pour lutter contre l’appauvrissement croissant des populations et des territoires du Nord (Tombouctou, Kidal, Gao).
En dépit de la signature de l’Accord de Tamanrasset, sa mise en œuvre est jugée partielle par les mouvements rebelles qui décident, à nouveau, de recourir à la force contre l’État malien.
En dépit de la signature de l’Accord de Tamanrasset, sa mise en œuvre est jugée partielle par les mouvements rebelles qui décident, à nouveau, de recourir à la force contre l’État malien.
Pour mettre fin à ces nouvelles hostilités, un accord est signé à Alger, le 4 juillet 2006, entre le gouvernement malien et l’Alliance démocratique du 23 mai pour le changement, sous la médiation algérienne.
Il ressort de cet accord, entre autres, la volonté de considérer la décentralisation de l’État malien, comme la condition de la paix, dans la mesure où elle permet de réaffirmer l’indivisibilité de l’État et le transfert des compétences (pouvoirs et ressources) de l’État aux autorités locales et les territoires du Nord.
Cette recomposition géopolitique interne du Mali, bien que timidement esquissée à travers les rudiments de la décentralisation, est politique et non ethnique.
S’estimant floué par la non-application de différents accords de paix, le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad), décide de franchir le Rubicon en déclarant la sécession des territoires du Nord : il fait la « Déclaration de l’indépendance de l’Azawad » le 6 avril 2012.
Cependant, quelques mois plus tard, le MNLA est militairement évincé de Kidal, de Gao et de Tombouctou par d’autres mouvements insurrectionnels tels qu’Ansar Dine et MUJAO.
Il ressort de cet accord, entre autres, la volonté de considérer la décentralisation de l’État malien, comme la condition de la paix, dans la mesure où elle permet de réaffirmer l’indivisibilité de l’État et le transfert des compétences (pouvoirs et ressources) de l’État aux autorités locales et les territoires du Nord.
Cette recomposition géopolitique interne du Mali, bien que timidement esquissée à travers les rudiments de la décentralisation, est politique et non ethnique.
S’estimant floué par la non-application de différents accords de paix, le MNLA (Mouvement national pour la libération de l’Azawad), décide de franchir le Rubicon en déclarant la sécession des territoires du Nord : il fait la « Déclaration de l’indépendance de l’Azawad » le 6 avril 2012.
Cependant, quelques mois plus tard, le MNLA est militairement évincé de Kidal, de Gao et de Tombouctou par d’autres mouvements insurrectionnels tels qu’Ansar Dine et MUJAO.
Cette défaite militaire pousse les dirigeants du MNLA à se tourner vers les négociations inter-maliennes d’Ouagadougou, lancées par la CEDEAO le 3 décembre 2012, en vue d’explorer les pistes préliminaires à un dialogue entre l’État malien et les mouvements rebelles.
Toutefois, ces négociations ont tourné court, à la suite de l’intervention militaire de la France (opération Serval), le 11 janvier 2013, pour stopper l’assaut des forces rebelles partisanes de la charia, sur Bamako.
Toutefois, ces négociations ont tourné court, à la suite de l’intervention militaire de la France (opération Serval), le 11 janvier 2013, pour stopper l’assaut des forces rebelles partisanes de la charia, sur Bamako.
En effet, les rebelles ont profité des gesticulations de la communauté internationale sur la constitution et de l’emploi d’une force d’intervention de la CEDEAO dans le Nord, pour changer la donne.
Depuis, toutes les grandes villes du Nord ont été libérées. La guerre éclair de la France a repoussé les rebelles dans le désert, à la grande joie des populations des villes libérées. Cependant, la guerre n’est pas encore finie.
Il est à craindre que les forces rebelles se dissimulent dans la population et utilisent les attentats, les mines, les enlèvements, les assassinats ciblés, pour ruiner le moral des soldats et des populations.
Depuis, toutes les grandes villes du Nord ont été libérées. La guerre éclair de la France a repoussé les rebelles dans le désert, à la grande joie des populations des villes libérées. Cependant, la guerre n’est pas encore finie.
Il est à craindre que les forces rebelles se dissimulent dans la population et utilisent les attentats, les mines, les enlèvements, les assassinats ciblés, pour ruiner le moral des soldats et des populations.
Pour combien de temps ? L’avenir seul le dira !
Ce que l’on sait en revanche, c’est que l’écume ethnique (touareg) ou religieuse (islam) des rébellions armées du Nord Mali, est un leurre destiné à cacher la lutte pour le pouvoir d’État.
Un schéma de recherche de la paix
Il y a lieu de conclure que dans les États post-conflit d’Afrique, le processus de sortie de la guerre civile vers la paix suit le schéma suivant :
— négociations et signature d’un accord de paix ou de cessez-le-feu ;
— mise sur pied d’organisme de suivi chargé de garantir l’application de l’accord (généralement les Nations Unies) ;
— formation d’un gouvernement de réconciliation nationale fondé sur le principe de partage des pouvoirs entre les belligérants, chargé de conduire la transition vers les élections ;
— mécanisme DDR (Désarmement, démobilisation, réinsertion) ;
— organisation des élections générales sanctionnant la fin de la transition.
Le paradoxe est que le système de partage des pouvoirs et des ressources d’État entre belligérants exclut du bénéfice le pouvoir ethnique, seul habilité à parler au nom des ethnies ou peuples précoloniaux et à les engager par sa signature.
Dès lors, la revendication ethnique des rébellions et des cessions n’est qu’une forme d’usurpation identitaire sinon un leurre. Les ressources naturelles, les territoires et les entités ethniques, sont les moyens au service d’une fin : la lutte pour la conquête du pouvoir.
L’État de droit démocratique reste illusoire : le décalage entre l’idéal de paix par l’État de droit et la démocratie est effrayant. En effet, dans la quasi-totalité des États post-conflits, l’État de droit est à la fois formel (ingénierie juridique et constitutionnelle) et informel (pratique institutionnelle), car ces États ne se soumettent pas au droit et le droit n’est pas le vecteur de limitation de la puissance publique.
De même, des rapports État de droit-démocratie sont efficients. D’une part, dans les États post-conflits, le juge n’est pas la clef de voûte et la condition de la réalisation de l’État de droit, alors que la hiérarchie des normes ne devient effective que si elle est sanctionnée par un juge ; d’autre part, les droits fondamentaux ne sont réellement assurés que si un juge est là pour en assurer la protection.
Autrement dit, « le contrôle de constitutionnalité des lois est bien le critère essentiel de l’État de droit et la condition de sa substitution à l’État légal », souligne Jacques Chevalier.[22] Il en résulte le manque de l’esprit des lois et la désorganisation des institutions publiques.
À cela s’ajoute l’absence de réinvention du modèle africain de l’État de plusieurs peuples, de nation cosmopolite et de démocratie segmentaire (démocratie de proximité), dont la conséquence est que les nouvelles normes et les nouvelles institutions roulent sur le corps social sans jamais le pénétrer.
Dès lors, des conflits armés internes (sécessions et rébellions) demeurent la variable structurelle de la violence politique dans les souverainetés déchues de la capacité de défense et de sécurité (État gendarme), de la gouvernance (État manageur), du savoir de penser le futur (État savant), de régulation pacifique de la lutte pour le pouvoir d’État dont dépend la quête perpétuelle de légitimité à laquelle sont soumis les dirigeants et les régimes.
Par ailleurs, une guerre civile menée à son terme (sécessions du Katanga, de Bakwanga et du Biafra) conduit à une paix qui peut être stable, si les exigences du vainqueur sont suffisamment modestes pour ne pas éveiller de ressentiment profond chez le vaincu, et si les craintes soulevées par le vainqueur ne suscitent pas l’entrée en lice de nouveaux belligérants.
Si au contraire, la guerre civile est abrégée par des évènements extérieurs avant que les objectifs des adversaires en présence aient été modifiés, la paix sera fragile. Tel est le cas des rébellions qui se terminent sans vainqueur ni vaincu.
Parallèlement, les combattants dépourvus des moyens de subsistance par les mécanismes de DDR mal-ficelés, sont prêts à aller combattre ailleurs, pour survivre, trans-nationalité et trans-frontalité aidant.
L’approche stratégico-polémologique confirme le caractère général de la conflictualité politique interne, même si chaque guerre civile a ses spécificités.
Mwayila Tshiyembe
[1] Mwayila Tshiyembe, Géopolitique de paix en Afrique médiane, Paris, L’Harmattan, 2003.
[2] André Beaufre, Introduction à la stratégie, Paris, Armand Colin, 1963, p. 16.
[3] Lucien Poirier, Les voies de la stratégie, Paris, Fayard, 1985, p. 14.
[4] Institut français de polémologie, Études polémologiques, FEDN, n°s 25-26, 1982, pp.13-14.
[5] Daniel Hermant et Didier Bigo, « De l’espoir à la crainte ? Les lectures de la conflictualité », in revue Cultures et Conflits, 25 février 2005, Rubriques électroniques.
[6] Mwayila Tshiyembe, Géopolitique de paix en Afrique médiane, Paris, l’Harmattan, 2003, p.23
[7] Philippe Braud, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 1992, pp. 265-274.
[8] Carl Von Clausewitz, De la guerre, Livre I, Paris, Collection 10/18, 1965, p. 62.
[9] La guerre de l’AFDL (1996-1997) contre le régime de Mobutu, est à la fois une guerre d’agression et une guerre civile sous-tendant la stratégie de vassalisation de la RDC par le Rwanda et l’Ouganda avec la bénédiction des USA.
[10] Conflits armés internationaux ou conflits interétatiques.
[11] Conflits armés non internationaux.
[12] Edward Luttwak, Le paradoxe de la stratégie, Paris, Odile Jacob, 1989, p.13
[13] Mwayila Tshiyembe, Quel est le meilleur système politique pour la RDC : fédéralisme ? Régionalisme ? Décentralisation ?, Paris, l’Harmattan, 2012, pp.54-57
[14] Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté. Les Etats entre ruse et responsabilité, Paris, Fayard, chapitre iv, 1999
[15] Mwayila Tshiyembe, Etat multinational et démocratie africaine. Sociologie de la renaissance politique, Paris, l’Harmattan, 2001
[16] Mwayila Tshiyembe, Refondation de la nation et nationalité en République démocratique du Congo, Paris, l’Harmattan, 2007.
[17] Mwayila Tshiyembe, L’État postcolonial, facteur d’insécurité en Afrique, Paris, Présence Africaine, 1990, chapitre 1.
[18] Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté. Les États entre la ruse et la responsabilité, Paris, Fayard, 1999, chapitre 4.
[19] Damien Lagauzère, Sociologie et théorie du chaos, Paris, l’Harmattan, 2007
[20] Cris de guerre poussé par le chef gaulois Brennus, vainqueur des Romains sur les bords de l’Allia en 390 avant Jésus-Christ, lorsqu’après un long siège de la ville, consentit à se retirer moyennant le paiement de mille livres d’or.
[21] — Accords de paix de Lusaka (1999) et de Pretoria (Accord global et inclusif, 2002) pour la RDC ;
— Accord de paix de Lusaka pour l’Angola (1994) ;
— Accord de paix d’Arusha pour le Rwanda (1993) ;
— Accord de paix d’Arusha pour le Burundi (2000) ;
— Accord de paix de Brazzaville (1999) ;
— Accords de paix pour le Sierra Leone : Accord d’Abidjan (20 novembre 1996) et l’Accord de Lomé (7 juillet 1999) ;
— Accords de paix pour la Côte d’Ivoire : Accord de Linas-Marcoussis (24 janvier 2003) et Accord de Ouagadougou (4 mars 2007) ;
— Accords de paix pour le Mali : Accord de Tamanrasset (6 janvier 1991) ; Accord d’Alger (juillet, 2006) ; négociations de Ouagadougou avec le MNLA, Ansar Dine et d’autres forces ;
— Accord de paix pour le Liberia : Accord de Cotonou (25 juillet 1993) et Accord de paix global d’Accra (18 août 2003).
[22] Jacques Chevalier, L’État de droit, Paris, Montchrestien, 1992, p. 150.
Ce que l’on sait en revanche, c’est que l’écume ethnique (touareg) ou religieuse (islam) des rébellions armées du Nord Mali, est un leurre destiné à cacher la lutte pour le pouvoir d’État.
Un schéma de recherche de la paix
Il y a lieu de conclure que dans les États post-conflit d’Afrique, le processus de sortie de la guerre civile vers la paix suit le schéma suivant :
— négociations et signature d’un accord de paix ou de cessez-le-feu ;
— mise sur pied d’organisme de suivi chargé de garantir l’application de l’accord (généralement les Nations Unies) ;
— formation d’un gouvernement de réconciliation nationale fondé sur le principe de partage des pouvoirs entre les belligérants, chargé de conduire la transition vers les élections ;
— mécanisme DDR (Désarmement, démobilisation, réinsertion) ;
— organisation des élections générales sanctionnant la fin de la transition.
Le paradoxe est que le système de partage des pouvoirs et des ressources d’État entre belligérants exclut du bénéfice le pouvoir ethnique, seul habilité à parler au nom des ethnies ou peuples précoloniaux et à les engager par sa signature.
Dès lors, la revendication ethnique des rébellions et des cessions n’est qu’une forme d’usurpation identitaire sinon un leurre. Les ressources naturelles, les territoires et les entités ethniques, sont les moyens au service d’une fin : la lutte pour la conquête du pouvoir.
L’État de droit démocratique reste illusoire : le décalage entre l’idéal de paix par l’État de droit et la démocratie est effrayant. En effet, dans la quasi-totalité des États post-conflits, l’État de droit est à la fois formel (ingénierie juridique et constitutionnelle) et informel (pratique institutionnelle), car ces États ne se soumettent pas au droit et le droit n’est pas le vecteur de limitation de la puissance publique.
De même, des rapports État de droit-démocratie sont efficients. D’une part, dans les États post-conflits, le juge n’est pas la clef de voûte et la condition de la réalisation de l’État de droit, alors que la hiérarchie des normes ne devient effective que si elle est sanctionnée par un juge ; d’autre part, les droits fondamentaux ne sont réellement assurés que si un juge est là pour en assurer la protection.
Autrement dit, « le contrôle de constitutionnalité des lois est bien le critère essentiel de l’État de droit et la condition de sa substitution à l’État légal », souligne Jacques Chevalier.[22] Il en résulte le manque de l’esprit des lois et la désorganisation des institutions publiques.
À cela s’ajoute l’absence de réinvention du modèle africain de l’État de plusieurs peuples, de nation cosmopolite et de démocratie segmentaire (démocratie de proximité), dont la conséquence est que les nouvelles normes et les nouvelles institutions roulent sur le corps social sans jamais le pénétrer.
Dès lors, des conflits armés internes (sécessions et rébellions) demeurent la variable structurelle de la violence politique dans les souverainetés déchues de la capacité de défense et de sécurité (État gendarme), de la gouvernance (État manageur), du savoir de penser le futur (État savant), de régulation pacifique de la lutte pour le pouvoir d’État dont dépend la quête perpétuelle de légitimité à laquelle sont soumis les dirigeants et les régimes.
Par ailleurs, une guerre civile menée à son terme (sécessions du Katanga, de Bakwanga et du Biafra) conduit à une paix qui peut être stable, si les exigences du vainqueur sont suffisamment modestes pour ne pas éveiller de ressentiment profond chez le vaincu, et si les craintes soulevées par le vainqueur ne suscitent pas l’entrée en lice de nouveaux belligérants.
Si au contraire, la guerre civile est abrégée par des évènements extérieurs avant que les objectifs des adversaires en présence aient été modifiés, la paix sera fragile. Tel est le cas des rébellions qui se terminent sans vainqueur ni vaincu.
Parallèlement, les combattants dépourvus des moyens de subsistance par les mécanismes de DDR mal-ficelés, sont prêts à aller combattre ailleurs, pour survivre, trans-nationalité et trans-frontalité aidant.
L’approche stratégico-polémologique confirme le caractère général de la conflictualité politique interne, même si chaque guerre civile a ses spécificités.
Mwayila Tshiyembe
[1] Mwayila Tshiyembe, Géopolitique de paix en Afrique médiane, Paris, L’Harmattan, 2003.
[2] André Beaufre, Introduction à la stratégie, Paris, Armand Colin, 1963, p. 16.
[3] Lucien Poirier, Les voies de la stratégie, Paris, Fayard, 1985, p. 14.
[4] Institut français de polémologie, Études polémologiques, FEDN, n°s 25-26, 1982, pp.13-14.
[5] Daniel Hermant et Didier Bigo, « De l’espoir à la crainte ? Les lectures de la conflictualité », in revue Cultures et Conflits, 25 février 2005, Rubriques électroniques.
[6] Mwayila Tshiyembe, Géopolitique de paix en Afrique médiane, Paris, l’Harmattan, 2003, p.23
[7] Philippe Braud, Sociologie politique, Paris, LGDJ, 1992, pp. 265-274.
[8] Carl Von Clausewitz, De la guerre, Livre I, Paris, Collection 10/18, 1965, p. 62.
[9] La guerre de l’AFDL (1996-1997) contre le régime de Mobutu, est à la fois une guerre d’agression et une guerre civile sous-tendant la stratégie de vassalisation de la RDC par le Rwanda et l’Ouganda avec la bénédiction des USA.
[10] Conflits armés internationaux ou conflits interétatiques.
[11] Conflits armés non internationaux.
[12] Edward Luttwak, Le paradoxe de la stratégie, Paris, Odile Jacob, 1989, p.13
[13] Mwayila Tshiyembe, Quel est le meilleur système politique pour la RDC : fédéralisme ? Régionalisme ? Décentralisation ?, Paris, l’Harmattan, 2012, pp.54-57
[14] Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté. Les Etats entre ruse et responsabilité, Paris, Fayard, chapitre iv, 1999
[15] Mwayila Tshiyembe, Etat multinational et démocratie africaine. Sociologie de la renaissance politique, Paris, l’Harmattan, 2001
[16] Mwayila Tshiyembe, Refondation de la nation et nationalité en République démocratique du Congo, Paris, l’Harmattan, 2007.
[17] Mwayila Tshiyembe, L’État postcolonial, facteur d’insécurité en Afrique, Paris, Présence Africaine, 1990, chapitre 1.
[18] Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté. Les États entre la ruse et la responsabilité, Paris, Fayard, 1999, chapitre 4.
[19] Damien Lagauzère, Sociologie et théorie du chaos, Paris, l’Harmattan, 2007
[20] Cris de guerre poussé par le chef gaulois Brennus, vainqueur des Romains sur les bords de l’Allia en 390 avant Jésus-Christ, lorsqu’après un long siège de la ville, consentit à se retirer moyennant le paiement de mille livres d’or.
[21] — Accords de paix de Lusaka (1999) et de Pretoria (Accord global et inclusif, 2002) pour la RDC ;
— Accord de paix de Lusaka pour l’Angola (1994) ;
— Accord de paix d’Arusha pour le Rwanda (1993) ;
— Accord de paix d’Arusha pour le Burundi (2000) ;
— Accord de paix de Brazzaville (1999) ;
— Accords de paix pour le Sierra Leone : Accord d’Abidjan (20 novembre 1996) et l’Accord de Lomé (7 juillet 1999) ;
— Accords de paix pour la Côte d’Ivoire : Accord de Linas-Marcoussis (24 janvier 2003) et Accord de Ouagadougou (4 mars 2007) ;
— Accords de paix pour le Mali : Accord de Tamanrasset (6 janvier 1991) ; Accord d’Alger (juillet, 2006) ; négociations de Ouagadougou avec le MNLA, Ansar Dine et d’autres forces ;
— Accord de paix pour le Liberia : Accord de Cotonou (25 juillet 1993) et Accord de paix global d’Accra (18 août 2003).
[22] Jacques Chevalier, L’État de droit, Paris, Montchrestien, 1992, p. 150.
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